Le nouveau programme de français en seconde et en première : continuité ou rupture ?
La rédaction des programmes de l’enseignement est un exercice difficile qui combine ordinairement un souci affiché de permanence (il ne faut pas rendre soudain caduques les habitudes prises par les enseignants et les usagers du système éducatif) et une exigence de renouvellement (présenté comme un progrès nécessaire, une adaptation aux besoins des élèves et aux finalités assignées à l’enseignement de telle ou telle discipline).
Qu’en est-il du programme de l’enseignement de français en classe de seconde et en classe de première que vient de publier le ministre de l’Éducation nationale (Bulletin officiel spécial n° 1 du 22 janvier 2019) : continuité ou rupture ?
D’une rupture l’autre
Il y a quelque vingt ans un Groupe de travail disciplinaire dirigé par l’universitaire Alain Viala avait élaboré un programme qui rompait avec la tradition en multipliant les « objets d’étude » (de cinq à sept en seconde et en première) et les « perspectives d’étude » (histoire littéraire et culturelle, genres et registres, argumentation, intertextualité et singularité des textes). Lourd, peu lisible et peu cohérent du fait de la réduction de la place accordée à l’histoire littéraire et aux genres, il donnait une impression d’émiettement qui ne facilitait pas sa mise en œuvre.
D’où des corrections et simplifications intervenues en 2007 et surtout en 2010 avec la publication, sous la houlette de Jean-Michel Blanquer, alors directeur général de l’enseignement scolaire, d’un nouveau programme de l’enseignement de français en classe de seconde et en classe de première (Bulletin officiel spécial n° 9 du 30 septembre 2010). Ce programme était orienté selon deux « perspectives » seulement, « l’étude de la littérature dans son contexte historique et culturel et l’analyse des grands genres littéraires » (« l’étude de l’argumentation et des effets sur les destinataires » et la « réflexion sur la production et la singularité des textes » n’étaient plus explicitement prescrites) et ne comportait plus que quatre (et non cinq à sept) « objets d’étude ». Ceux-ci étaient en outre construits sur des catégories et des découpages plus traditionnels (quasi-disparition de la notion de « registre ») croisant l’histoire littéraire et les genres : poésie, théâtre et roman, auxquels s’ajoutait la catégorie transgénérique des « genres et formes [en seconde] de l’argumentation ».
La place réaffirmée de l’histoire littéraire
Le nouveau programme confirme et approfondit cette rupture avec celui de 2001 : dans un souci louable de clarté et de simplification il est fortement structuré par les genres et l’histoire littéraires. À la poésie, au roman et au théâtre, il ajoute un quatrième genre particulier, défini non par sa caractérisation formelle mais par sa visée, et désigné par l’appellation traditionnelle et générale (à défaut d’être générique) de « littérature d’idées ». Il ne formule que deux perspectives d’étude : le travail sera mené « selon deux perspectives complémentaires, sur des parcours associant un genre et une période d’une part, et sur des œuvres intégrales d’autre part », de façon à inscrire l’étude des œuvres « dans une connaissance plus précise de leur contexte historique, littéraire et artistique ».
Le théâtre et le roman sont ainsi abordés par des « lectures intégrales et cursives », à charge pour le professeur de choisir « des œuvres de siècles différents, de manière à proposer un travail de mise en perspective diachronique sur ces deux genres ». De même « les genres poétiques et la littérature d’idées » doivent l’être par « des parcours qui prennent la forme de groupements de textes organisés de façon chronologique ».
Diachronique (si l’on s’intéresse à l’histoire d’un genre) ou synchronique (si l’on s’arrête sur « une période »), le cadre chronologique est déterminant, notamment dans les « parcours » ; les autres groupements (complémentaires) « correspondant à des questions littéraires », la cohérence thématique n’est plus envisagée qu’en seconde pour l’étude de poèmes « rassemblés autour d’un thème ». Remarquons au passage qu’il n’est pas question de problématique – et on ne regrettera pas l’absence de cette notion qui a fait l’objet d’un emploi extensif, abusif (au point que dans la langue courante une problématique est simplement un problème, une difficulté…).
Le rétablissement d’un programme national d’œuvres
Tout en étant, par définition, prescriptifs, les programmes de français doivent permettre à ceux qui les mettent en œuvre de faire des choix, pédagogiques et personnels. Ceux de 2001 sont apparus nettement plus contraignants que le précédent (qui datait de 1981) ; celui de 2019 pourrait bien accentuer cette tendance.
En seconde, le professeur bénéficie d’une grande liberté : il « organise librement son enseignement » à condition de le fonder sur des « parcours » et des lectures intégrales permettant de traiter les quatre objets d’étude définis.
En première, en revanche, cette liberté est réduite par « un programme national » proposant, pour chacun des quatre objets d’étude, « trois œuvres – parmi lesquelles le professeur en choisit une – et un parcours associé couvrant une période au sein de laquelle elle s’inscrit et correspondant à un contexte littéraire, esthétique et culturel ». À cela près, « l’étude des œuvres et des parcours associés […] est librement menée par le professeur »…
Faut-il voir là une tentative d’imposer l’étude d’œuvres et de questions négligées par les professeurs ? C’était déjà ce qui avait inspiré l’Inspection générale qui, dans les années 1990, à la lecture des observations de l’équipe « Français-lycée » de l’INRP sur les listes d’oral, avait découvert l’existence d’une routine disciplinaire et avait voulu la rompre en faisant étudier des œuvres d’auteurs quelque peu délaissés (un roman de Malraux, une pièce de Giraudoux). Bien que cette disposition ait suscité alors des réserves et des oppositions (mais aussi l’intérêt des éditeurs parascolaires…), elle présentait un intérêt certain ; elle le conservera si l’association des œuvres et des « parcours » est judicieuse. On se demande toutefois comment se fera, « pour chaque objet d’étude », le renouvellement « par moitié tous les ans » de « trois œuvres […] et un parcours »…
Le poids du corpus
La notion de « séquence d’enseignement » n’apparaissant plus dans ce nouveau programme, l’évaluation de la charge de travail que représente sa mise en œuvre est rendue plus difficile. Un « objet d’étude » ne constitue pas en soi une « séquence » puisque lui est associé un « corpus » comportant un nombre variable d’œuvres, de « parcours » et de « groupements » et qu’à chacun d’eux peut être consacrée une séquence. Par exemple, dans un document de 2011 qui visait à « préciser quelques données quantitatives », les IPR de l’académie de Créteil considéraient que, « en classe de seconde et de première des séries générales », les quatre « objets d’étude » devaient permettre de constituer « au moins six séquences, huit au mieux, douze dans l’idéal » (des séquences relativement courtes, donc).
Cette liberté pédagogique, indispensable pour répondre aux attentes et aux besoins des élèves et nettement réaffirmée dans le nouveau programme, entraînera des réalisations différentes et rend un peu vaine toute tentative de quantification. Notons quand même que le souci – louable, évidemment – de faire lire les élèves en leur imposant l’étude ou la lecture d’« au moins » sept œuvres en seconde et huit en première constitue un objectif ambitieux, sans doute trop pour certaines classes. Il l’est encore davantage si l’on y ajoute les « parcours » prescrits (deux ou trois en seconde, quatre en première) et les « approches artistiques » et « groupement de textes complémentaires » qui « pourront éclairer et enrichir le corpus ». (Voir ci-dessous les tableaux synthétiques.)
Compte tenu des moyens horaires mis à leur disposition, les professeurs devront se montrer ingénieux. Ils ne manqueront pas, certes, d’opérer des croisements, de réunir différents éléments du corpus dans une même séquence, d’utiliser parfois la liberté qui leur est donnée de ne faire lire que des « sections substantielles et cohérentes d’œuvres intégrales », mais sera-ce suffisant ? On peut craindre que ce déséquilibre entre des objectifs ambitieux et un horaire réduit ne les conduise à choisir des textes courts, éliminant ainsi des œuvres importantes. Peut-être est-ce ce danger qui a conduit, justement, à imposer des titres en première…
Le grand retour de l’enseignement de la langue
La question des horaires se pose avec encore plus d’acuité si l’on mesure qu’au lycée
« le travail sur la langue doit […] retrouver une place fondamentale, comme c’est le cas au collège, car c’est de la maîtrise de la langue que dépendent à la fois l’accès des élèves aux textes du patrimoine littéraire et leur capacité à s’exprimer avec justesse à l’écrit et à l’oral ».
On ne peut que se réjouir que cette place ait été considérablement accrue (un tiers des pages du programme lui est consacré, en première comme en seconde) et qu’« un enseignement continué de la langue » apparaisse dans la première des six finalités de l’enseignement du français comme le moyen d’« améliorer les capacités d’expression et de compréhension des élèves ». La rupture est ici sensible avec le programme de 2010 dans lequel « l’étude continuée de la langue, comme instrument privilégié de la pensée, moyen d’exprimer ses sentiments et ses idées » ne figurait qu’en quatrième position. On notera aussi qu’au lycée la langue, plus que d’une « étude », fait l’objet d’un « enseignement », ce qui met l’enseignant en demeure de l’organiser de manière plus systématique, complète, réfléchie.
Plus clairement que le précédent en effet, ce nouveau programme assigne à cet enseignement deux objectifs également importants : les « compétences langagières », qui permettent à l’élève de « s’approprier le fonctionnement et les nuances de sa langue », et les « connaissances linguistiques », nécessaires à l’analyse du « fonctionnement de la langue et des discours, en particulier le discours littéraire ».
On peut lire dans cette précision insistante un double constat implicite : 1. Ces dernières années, au lycée, les professeurs de français n’enseignaient pas assez les « compétences langagières ». 2. Celles des élèves qui entrent en seconde sont notoirement insuffisantes – ce qui rend d’autant plus indispensable leur enseignement.
Deux constats qui relèvent de l’évidence pour tout observateur de bonne foi mais qui amènent inévitablement à se poser deux questions :
1. D’où vient que les « compétences langagières » des ex-collégiens sont si faibles qu’il faille revenir au lycée sur des points de grammaire élémentaires comme « les accords dans le groupe nominal et entre le sujet et le verbe (classe de seconde)», « l’analyse syntaxique de la phrase complexe» ou « l’expression de la négation (classe de première) », « les relations logiques fondamentales » : « l’expression de la condition », « de la cause, de la conséquence et du but », « de la comparaison », « de l’opposition et de la concession » ?
2. Comment les professeurs de seconde et de première, compte tenu, d’une part de la lourdeur du corpus déjà signalée et de la multitude d’activités et d’exercices prescrits (qui n’ont pas été évoqués ici), d’autre part de l’horaire qui est attribué à leur discipline, pourront-ils mener à bien cet indispensable enseignement de la langue ?
Ce nouveau programme opère bien une rupture avec le précédent, marquée par un réel effort de simplification et de clarification ainsi que par le désir de répondre aux besoins des élèves, évalués avec un certain réalisme comme le montre la longue liste des connaissances et compétences grammaticales qui doivent être acquises ou approfondies au lycée. On aimerait que ce réalisme amène le ministère de l’Éducation nationale à donner des réponses simples et claires aux questions qui viennent d’être posées, dans l’espoir qu’elles puissent dissiper l’impression de continuité qui s’impose au lecteur quand il retrouve dans ce programme l’habituel écart entre l’idéal, le souhaitable et le possible…
Programme de la classe de seconde
Objets d’étude | Corpus | Lectures intégrales cursives |
Parcours et groupements | |
La poésie du Moyen Âge au XVIIIe siècle |
• L’étude de textes rassemblés autour d’un thème ou d’une forme poétique ; • La lecture cursive d’au moins un recueil ou d’une section de recueil. |
1 |
1 | |
La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle |
• L’étude d’un groupement de textes autour d’un débat d’idées, du XIXe au XXIe, au choix du professeur, par exemple sur les questions éthiques, sociales ou sur les questions esthétiques liées à la modernité (batailles et procès littéraires, histoire de la réception d’une œuvre artistique, etc.) permettant d’intégrer l’étude de la presse et des médias ; • Lecture cursive d’articles, de discours ou d’essais. |
1 ou |
1 1 |
|
Le roman et le récit du XVIIIe siècle au XXIe siècle |
• Deux œuvres intégrales de forme et de siècle différents : un roman et, par ailleurs, un recueil de nouvelles, ou un récit de voyage, un récit relevant de l’une des formes du biographique, un journal, etc. ; • La lecture cursive d’au moins un roman ou un récit d’une autre période. |
2 |
1 |
|
Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle |
• Deux pièces de genre et de siècle différents ; • La lecture cursive d’au moins une pièce d’une autre période. |
2 | 1 |
|
• L’élève étudie quatre œuvres intégrales et deux parcours par an. • Trois œuvres au moins, distinctes de celles qui sont étudiées en cours, doivent être lues par l’élève. • Des approches artistiques ou un groupement de textes complémentaires […] pourront éclairer et enrichir le corpus. |
Programme de la classe de première
Objets d’étude | Corpus | Lectures intégrales cursives |
Parcours et groupements |
|
La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle |
• L’œuvre et le parcours associé fixés par le programme ; • La lecture cursive d’au moins un recueil appartenant à un autre siècle que celui de l’œuvre au programme, ou d’une anthologie poétique. |
1 |
1 |
1 parcours 1 groupement éventuel |
La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle |
• L’œuvre et le parcours associé fixés par le programme ; • La lecture cursive d’au moins un recueil appartenant à un autre siècle que celui de l’œuvre au programme, ou d’une anthologie de textes relevant de la littérature d’idées. |
1 | 1 |
1 parcours 1 groupement éventuel |
Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle |
• L’œuvre et le parcours associé fixés par le programme ; • La lecture cursive d’au moins un roman ou un récit appartenant à un autre siècle que celui de l’œuvre au programme. |
1 | 1 |
1 parcours 1 groupement éventuel |
Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle |
• L’œuvre et le parcours associé fixés par le programme ; • La lecture cursive d’au moins une pièce de théâtre appartenant à un autre siècle que celui de l’œuvre au programme. |
1 | 1 |
1 parcours 1 groupement éventuel |
• L’élève étudie quatre œuvres et les parcours associés : ils sont définis par un programme national de douze œuvres, renouvelé par moitié tous les ans. • La lecture cursive est constamment encouragée par le professeur. Quatre œuvres au moins – une par objet d’étude, toutes distinctes de celles étudiées dans le cadre des parcours – doivent être lues par l’élève. • Une approche culturelle ou artistique ou un groupement de textes complémentaires pourront éclairer et enrichir le corpus [de chacun des quatre objets d’étude]. |
Jacques Vassevière
• BO spécial n°1 du 22 janvier 2019.
• Les programmes au format pdf.