Le nouveau Capes de lettres à l’épreuve du feu
Les nouvelles épreuves privilégient l’oral et la culture littéraire. Elles manifestent aussi une volonté d’évaluer les qualités didactiques davantage encore que le savoir académique. Celui-ci reste cependant au cœur de l’exercice canonique de la dissertation. Éclairages.
Par Laeticia Malpot, professeure de lettres
Les nouvelles épreuves privilégient l’oral et la culture littéraire. Elles manifestent aussi une volonté d’évaluer les qualités didactiques davantage encore que le savoir académique. Celui-ci reste cependant au cœur de l’exercice canonique de la dissertation. Éclairages.
Par Laetitia Malpot, professeure de lettres
Dernière phase de la réforme du Capes entamée en 2020 : à compter de la session 2022, « Seuls les étudiants inscrits en seconde année de master ou les candidats déjà titulaires d’un master (et non plus en première année) pourront se présenter aux concours externes de recrutement des professeurs, résume le site Devenir enseignant. Pour être nommés stagiaires, les lauréats devront justifier de la détention d’un master. » L’étudiant en deuxième année de master sera ainsi pleinement étudiant : le statut de fonctionnaire stagiaire en M2 disparaît. Une fois le Capes obtenu, un professeur ne sera considéré comme stagiaire que s’il est détenteur d’un master.
Admissibilité : deux épreuves rénovées
Les capétiens de lettres modernes seront désormais confrontés à une dissertation sur œuvre, comme à l’agrégation, qui succède au modèle de la dissertation sur « genre ». Cette « épreuve disciplinaire » repose sur un programme. Pour la session 2022, quatre œuvres ont été retenues. Elles seront maintenues en 2023, tandis que deux autres œuvres leur seront ajoutées, dont les titres seront connus courant mai. Au programme, cette année : La Mort du roi Arthur, les Contes de Charles Perrault, L’Île des esclaves de Marivaux, et Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire.
Si l’épreuve d’ancien français a été supprimée de la deuxième épreuve d’admissibilité, l’étude littéraire d’une œuvre médiévale demeure dans la première épreuve. On observera que les Contes de Perrault sont également au programme de l’agrégation, et que les Fleurs du mal figurent parmi les trois œuvres que les professeurs peuvent choisir dans le cadre de l’objet d’étude sur la poésie en classe de première, en vue de l’épreuve anticipée de français (EAF). Cette épreuve de composition française, dotée d’un coefficient 2, dure 6 heures. Elle vise « à évaluer les connaissances académiques et la maîtrise des savoirs disciplinaires[1] ».
La deuxième épreuve d’admissibilité s’intitule « Épreuve disciplinaire appliquée ». Elle permet « d’apprécier la compétence à construire une séquence didactique[2] ». Le candidat se voit proposer un corpus hétérogène (incluant des textes littéraires appartenant à deux siècles distincts, une œuvre iconographique, ainsi que des documents à vocation pédagogique). Dans un premier temps, il doit exploiter le corpus littéraire selon trois angles : sémantique, grammatical et stylistique.
Dans un second temps, il doit engager une approche plus spécifiquement didactique du corpus tant du point de vue de l’analyse littéraire que linguisitique. L’épreuve, dotée d’un coefficient 2, dure 5 heures.
Les candidates et candidats en lettres classiques passent une troisième épreuve écrite dite « Épreuve écrite disciplinaire de langues anciennes » qui consiste en une version grecque ou latine.
L’admission : de l’ancien et du nouveau
Les candidates et candidats admissibles sont ensuite soumis à deux épreuves orales.
La première s’intitule « leçon ». Elle n’est pas à confondre avec la leçon d’agrégation puisque cette épreuve possède un volet didactique clairement revendiqué par les nouveaux programmes. Elle vise en effet « la conception et l’animation d’une séance d’enseignement[3] » et permet, toujours selon Éduscol, « d’apprécier à la fois la maîtrise de compétences disciplinaires et de compétences pédagogiques[4] ». Le candidat est invité à proposer une explication d’un texte issu du corpus dans un premier temps, puis un projet de séance qui s’appuie sur l’ensemble de ce corpus élaboré en fonction du domaine retenu lors de l’inscription au concours (lettres modernes, cinéma, théâtre, latin ou encore français langue seconde). Le futur professeur prépare sa séance durant trois heures et la présente durant une heure devant le jury. Le coefficient de l’épreuve de leçon s’élève à 5. Il apparaît ainsi supérieur à celui des deux dissertations réunies, ce qui indique très clairement une volonté de donner plus de poids aux épreuves orales.
La dernière épreuve représente un changement radical car elle consiste en un « entretien ». Celui-ci doit permettre au candidat d’exprimer sa motivation à enseigner et sa connaissance du métier et des contextes d’exercice de la profession. L’épreuve dure 30 minutes et son coefficient est de 3.
Ces modifications majeures manifestent la volonté d’adapter ce concours difficile à un contexte de crise des recrutements. Ce sont les qualités didactiques du candidat qui sont évaluées dans cette nouvelle mouture du concours davantage que son savoir académique. Reste que l’exercice canonique de la dissertation constitue toujours le moyen d’évaluer un niveau disciplinaire.
Zoom sur le nouveau format de composition française
Pour aider les candidates et candidats dans la préparation des épreuves, Éduscol propose des annales zéro[5]. Nous avons choisi de vous présenter un exemple de sujet pour l’épreuve disciplinaire. Il porte sur Le Malade imaginaire de Molière, inscrit au programme national d’œuvres de la classe de première pour les années 2020-2023 :
Le Malade imaginaire de Molière est-il une comédie ?
Voici les pistes proposées par les annales zéro, qui peuvent intéresser aussi bien les futurs professeurs de lettres que ceux déjà en poste qui ont choisi de faire étudier Molière à leurs élèves de première, en cette année du quadricentenaire du dramaturge.
Deux points de méthode importants doivent être soulignés.
1) Le sujet prend une forme qui n’était pas usitée jusqu’à présent au Capes. En effet, il s’agit d’examiner un sujet qui consiste en une question : c’est dorénavant, avec la citation, un des formats possibles de l’épreuve. Évoquons quelques principes essentiels qui en découlent.
L’analyse du sujet
Avec un sujet si bref, il y a nécessairement moins de termes à définir et à faire jouer les uns par rapport aux autres. On a même ici une formulation minimale (a = b ?), mais qui peut se prêter à un essai de définition, ainsi qu’à un examen logique approfondi. Il faut, bien entendu, questionner la notion de « comédie », en déployant ses différents sens, pour penser à la fois la question du genre et de ses codes, celle de ses mécanismes, des personnages et de la tonalité.
Il faudrait même interroger le verbe « être », copule a priori transparente et supprimable, en se demandant, par exemple, si cette attribution est figée une fois pour toutes, si Le Malade imaginaire ne peut pas devenir autre chose. Bien qu’il s’agisse d’une dissertation de lettres modernes, et non d’études théâtrales, la présence au programme d’une pièce de théâtre demande d’avoir réfléchi pendant l’année à son devenir scénique. Molière, dans la « Note au lecteur » de L’Amour médecin, y invite tout particulièrement : « On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir, dans la lecture, tout le jeu du théâtre. »
Ajoutons qu’un candidat peut, au-delà des termes énoncés, comprendre l’esprit du sujet : or, celui-ci frappe à la fois par son évidence et par son caractère provocateur. D’emblée, un tel sujet paraît tendre vers l’évidence, et il est d’abord difficile de contredire une telle question, ne serait-ce que par le sous-titre de la pièce, « Comédie mêlée de musique et de danse ». Mais c’est sans doute à l’aune de cette hybridité qu’il faut commencer à explorer le sujet. Il faut percevoir également comment l’écriture, sondant les codes du genre comique, fait poindre une inquiétude qui se fonde sur le rapport au corps, à la maladie et à la mort.
La problématique et le plan
Le candidat se demandera peut-être comment dégager la problématique, ou quelle autre question-problématique poser sur cette question-sujet. Il ne faut pas chercher à tout prix à reformuler le sujet, en pensant trouver la question que le sujet aurait laissée de côté. La problématique doit, au contraire, miser sur la richesse du sujet et en repérer tous les enjeux. Il n’est de question pertinente qu’adossée à une bonne analyse.
Dans l’introduction, il faut surtout s’étonner de cette question que pose le sujet, se demander ce qui l’a motivée, identifier les présupposés et comprendre que l’apparente tautologie (cette comédie est-elle une comédie ?) recèle en fait l’idée que Le Malade imaginaire joue d’une forme de complexité et de richesse au sein même d’un genre codé. Il n’y a pas, de toute façon, lieu de fétichiser la problématique ; le devoir sera jugé à l’aune de la pertinence du questionnement et des analyses développées tout au long de la dissertation.
Le plan doit éviter la simplification ou le schématisme. Dans un plan dialectique, qui peut être attendu pour un sujet comme celui-ci, il ne faudrait pas affirmer de façon catégorique, en première partie, que Le Malade imaginaire est totalement une comédie, une comédie parfaite, et dire, en deuxième partie, que ce n’est pas du tout une comédie, surtout si les arguments s’appuient sur les mêmes points.
Il faudra plutôt envisager comme objection l’idée que ce n’est pas seulement une comédie. Que la pièce est décomposable, un peu comme L’Illusion comique selon Corneille, qui qualifiait sa pièce de « monstre » : « Le premier acte n’est qu’un prologue ; les trois suivants font une comédie imparfaite, le dernier est une tragédie» – mais il ajoute aussi, juste après que « tout cela, cousu ensemble, fait une comédie ». Ce qui s’avère très intéressant pour notre sujet : les comédies sont peut-être des formes particulièrement souples, qui peuvent s’accommoder d’une certaine hétérogénéité. C’est de cette façon, en définissant ce terme de « comédie » et en en faisant varier la définition au cours du développement, que le candidat pourra construire une réflexion pertinente.
2) Les candidats auront travaillé pendant l’année sur six œuvres ; le sujet porte sur l’une d’entre elles. C’est une différence notable avec l’ancien format de l’épreuve de composition française du Capes, qui entraîne d’autres conséquences. Le jury attendra du candidat une grande maîtrise de l’œuvre. Il faut être capable de citer des passages : d’un mot (comme le bon mot de Toinette à Argan, qui sera « bien engendré » si Thomas Diafoirus épouse Angélique), à une réplique entière (par exemple l’un des « compliments » de Thomas, à Argan ou à Angélique).
Chaque paragraphe de la dissertation doit comporter au moins un exemple tiré de l’œuvre, précis et personnel. Rappelons toutefois que citation ne vaut pas raisonnement ; une citation est au service d’une démonstration et n’est pas simplement illustrative. Inversement, tout développement d’un exemple ne passe pas nécessairement par une citation ; le candidat aura conscience de la variété des exemples : l’analyse structurelle d’une scène, l’étude de la place ou de l’évolution d’un personnage n’imposent pas forcément de citer la pièce. Les références bien assimilées à des études qui portent sur l’œuvre seront toujours les bienvenues.
Pendant l’année, le candidat gagnera à s’être constitué pour chaque œuvre au programme un corpus critique de référence (cf. pour Molière, les travaux de P. Dandrey ou de G. Forestier par exemple) qu’il sera à même dans son développement de convoquer à bon escient. Il n’hésitera pas, en outre, à aller chercher dans d’autres textes, qui n’appartiennent pas nécessairement à la théorie ou la critique littéraires, mais qui l’aident à élaborer une pensée complexe. Ainsi en irait-il, par rapport au sujet donné, d’une référence précise à l’Histoire de la folie à l’âge classique de M. Foucault.
Une approche culturelle au service de l’étude littéraire
Attention : l’œuvre ne doit pas être commentée, à l’exclusion de tout autre texte. Ce ne sont pas aux autres textes du programme que nous faisons allusion, mais à toute œuvre de la littérature française, et plus ponctuellement de littérature étrangère, qui peut enrichir la réflexion. Ces références extérieures permettront, d’une part, d’évaluer la culture littéraire générale du candidat ou de la candidate, absolument essentielle pour le futur professeur de français au collège ou au lycée.
D’autre part, dans la dissertation, ces références sont très souvent décisives dans la progression de la démonstration, notamment afin de situer une œuvre dans son contexte, ainsi que ses constantes et singularités par rapport à d’autres textes produits à la même époque.
Enfin, le sujet ne doit jamais être un prétexte, et le candidat doit vraiment s’interdire de plaquer des développements tout prêts. De toute évidence, les correcteurs n’attendent pas la récitation d’un cours ni le déroulé d’un exposé sur une œuvre, mais une approche critique personnelle, nourrie et réfléchie.
À l’aune de ces quelques pistes de traitement du sujet « zéro », on mesure à quel point « l’épreuve disciplinaire » nécessite une relecture à la fois personnelle et rigoureuse des œuvres au programme. La passation du Capes présuppose par conséquent un vrai engagement à la fois en tant que « sujet-lecteur » et de « lecteur-expert ». Il s’agit d’une invitation à approfondir sa lecture des œuvres tant par le biais de la critique universitaire que sous la forme d’une approche globale ayant la vertu de les remettre dans leur contexte de production. Autant de contraintes qui ne sauraient se limiter à la réussite d’un concours d’enseignement et qui constituent des gages d’une pratique professionnelle sûre et épanouie.
L. M.
[1] https://www.devenirenseignant.gouv.fr/cid159054/epreuves-capes-externe-cafep-capes-section-lettres-lettres-modernes.html
[2] ibid
[3] ibid
[4] Ibid
[5] https://www.devenirenseignant.gouv.fr/cid157873/sujets-zero-2022.html