Le Monde de demain :
les origines du groupe NTM
Le développement du rap en France tient à l’association explosive de deux jeunes de Saint-Denis. L’histoire du groupe légendaire NTM démarre quand Joey Starr et Kool Shen graphent sur les murs de leur cité du « 9.3 ». Saluée par la critique, la mini-série de Katell Quillévéré et Hélier Cisterne retrace la genèse de leur succès tapageur et de l’explosion de la culture hip-hop dans les années 1980.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université
Le développement du rap en France tient à l’association explosive de deux jeunes de Saint-Denis. L’histoire du groupe légendaire NTM démarre quand Joey Starr et Kool Shen graphent sur les murs de leur cité du « 9.3 ». Saluée par la critique, la mini-série de Katell Quillévéré et Hélier Cisterne retrace la genèse de leur succès tapageur et de l’explosion de la culture hip-hop dans les années 1980.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université
Le titre de la mini-série de Katell Quillévéré (réalisatrice entre autres de Suzanne et de Réparer les vivants) et Hélier Cisterne (réalisateur de neuf épisodes de la série culte « Le bureau des légendes ») est aussi celui d’un des premiers titres du groupe « Suprême NTM » sorti sur disque vinyle pour l’album Authentik en 1990, Le Monde de demain.
« Le monde de demain / Quoiqu’il advienne est dans nos mains / La puissance nous appartient. » NTM
Deux années après la mort par overdose du graffeur new-yorkais Jean-Michel Basquiat, deux ados de Saint-Denis s’initiaient à la culture hip-hop non par la musique, mais d’abord par la danse et le graff. La mini-série en six épisodes de Katell Quillévéré et Hélier Cisterne met en scène leur choc artistique devant des danseurs de « hip-hop » en performance sur le parvis du Trocadéro. Le graff, la tchatche et cette danse singulière que la France découvre en 1984 à la télévision par l’émission « H.I.P H.O.P.1 », animée par le DJ Sidney, constituent leurs premières expressions créatrices.
Au commencement, il y a donc la cité et les vies parallèles de Didier Morville et Bruno Lopes. Le premier est orphelin de mère et subit, en serrant les dents, les châtiments corporels que lui inflige son père. Le second, issue d’une famille portugaise aimante, allait obliquer pour une formation de footballeur professionnel quand il tombe dans le hip-hop2.
Avant de devenir indispensables l’un à l’autre, les deux ados se reniflent, se cherchent et se défient pour savoir qui va prendre l’ascendant, notamment en tant que danseurs. La série a le mérite de ne pas simplifier dès le départ l’attraction qui les unit, « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », dit la fable de La Fontaine. Les deux s’attirent alors qu’ils ne sont pas dans les mêmes bandes, parce qu’ils sentent, qu’ils partagent un enthousiasme commun. Leur amitié, faite d’affrontements et de d’esquives, se noue sur la toile cirée jetée sur le bitume où ils tentent leurs premières figures.
Rien n’est simple dans la cité, la drogue tourne et des jeunes sont retrouvés morts dans les caves. Didier, seul et sans repères, lâche l’école et commence à zoner à Paris dans les milieux de la mode. Bruno s’obstine jusqu’au bac, parce qu’il a ses parents sur le dos : « Tout le monde travaille chez les Lopes ». Le rôle de la famille dans leurs parcours et la construction de leurs personnalités – Didier en chien fou, Bruno calme, déterminé et bosseur – sert presque de fil conducteur aux six épisodes.
La série gagne en crédit en mettant en perspective la part de hasard ou de coïncidence dans la découverte du phrasé « rap ». En effet, ce qui va constituer la marque de fabrique de Suprême NTM met du temps à maturer chez ces deux adolescents furieusement contestataires et turbulents. Le rap débarque comme un défi supplémentaire qu’ils relèvent pour répondre à la provocation d’un grand frère : on leur serine que le hip-hop c’est la danse, le graff, le rap. Sans le troisième pilier, pas de respect. Ils s’y mettent, presque en contrebande, décrochant un premier concert alors qu’ils n’ont quasiment aucun titre prêt.
La découverte de l’art de la rue
La culture rap, telle qu’elle est montrée, en est alors à ses balbutiements dans l’hexagone. D’où la belle idée scénaristique de montrer le rôle fondateur de Dj Dee Nasty (de son vrai nom Daniel Bigeault, interprété par Andranic Manet), revenu des États-Unis avec la révélation que le rap est la musique de l’avenir. Ce personnage à la fois visionnaire (on lui doit le premier album de rap français produit en 1984) et non charismatique reste une pièce maîtresse de l’histoire. Au travers de cet anti-héros aussi inoffensif qu’inachetable formant un couple atypique avec Béatrice (Léo Chalié), une danseuse de « peep-show », fille d’un Chinois de Belleville, le spectateur entre dans l’univers impitoyable des maisons de disque et plus globalement de la production musicale de l’époque. Il progresse presque en parallèle des deux autres dans la série, même s’ils se retrouvent (sans se parler) lors des fameux concerts en plein air sur des terrains vagues organisés par Dee Nasty.
Aussi, de façon très judicieuse, la série ne se concentre-t-elle pas uniquement sur les deux personnages principaux incarnés à l’écran par Antony Bajon (Kool Shen) et Melvin Boomer (Joey Starr), elle parvient à faire interagir différents univers, y compris celui de la mode, qui n’apparaît d’ailleurs pas sous un jour très reluisant : finalement, entre le rap de Saint-Denis et les mannequins des beaux quartiers, il n’y a que le fric comme fossé.
On est encore loin des concerts de NTM (acronyme de « Nique Ta Mère ») à guichets fermés et des polémiques suscités par des textes ouvertement hostiles à la police. Le premier rap français ressemble alors à un art brut, de bric et de broc, pratiqué en plein air sur des terrains désaffectés et dans des studios de radios crasseux.
Cependant, la série parvient à montrer comment une musique confidentielle et ghettoïsée parvient à s’amplifier, comme ce fut le cas d’abord aux États-Unis, jusqu’à devenir l’expression cathartique d’une jeunesse stigmatisée qui n’en peut plus de refouler ses pulsions de rage et de changement.
Le parti pris du non-idéalisme
Loin d’adopter la stylisation lumineuse d’un biopic gentillet, la série ne place pas les personnages sous le feu de projecteurs trop précoces. Le parti pris se veut inversement plus réaliste en évitant de jeter trop de lumière sur les scènes filmées. Ici, en effet, les hautes tours coupent l’éclairage naturel du soleil et les murs sont mal entretenus. Les jeunes ont mauvaise mine et sniffent de la colle dans les coins. On comprend qu’ils taguent les façades délabrées avec les couleurs vives de leurs bombes de peinture.
Dans ce monde exclusivement masculin, la série s’attache à mettre en évidence la branche féminine du mouvement hip-hop : danseuses et tagueuses trouvent leur place dès le début par l’intermédiaire d’une adolescente rebelle et inspirée, fille métisse d’une mère noire et aimante qui travaille dans une maison. Elle porte le blase de « Lady V » (Virginie Sullé, interprétée par Laïka Blanc-Francard) et apparaît dans un documentaire TV que Didier et Bruno regardent avec des potes. Kool Shen est frappé par son style. Il va la pister dans Paris en cherchant ses graffs sur les murs du 13e arrondissement, dans le quartier des Olympiades, autre spot hip-hop mais dans la capitale.
Danseuse du groupe NTM pendant une décennie, Lady V formera avec Kool Shen un couple hors normes. La relation fusionnelle de ces deux tempéraments indépendants et artistes ne pourra qu’émouvoir tous ceux qui connaissent la fin tragique de la jeune femme, tuée dans un accident de la route en 2000. Comment exister dans le mouvement hip-hop quand on est une femme autrement qu’en jouant la pom-pom girl ? C’est la question que lui renvoie comme un tacle sa meilleure amie et danseuse.
C’est presque dans l’intimité des deux couples, Daniel-Béatrice et Didier-Virginie, que le scénario est le plus intense. La dimension politique de NTM comme voix des banlieues n’apparaît qu’en demi-teinte : rage contre la police, soutient d’un dealer qui les envoie chanter pour les quartiers, « eux qui peuvent faire autre chose de leur vie », concert sauvage dans la rue le jour où une date est annulée par un maire effrayé, quelques images d’archives sur les manifestations contre la loi Devaquet, l’affaire Oussékine et des violences policières passent à la télé.
Le Monde de demain ne plaira pas qu’aux ados des années 1980, fans de NTM. La série a ceci de particulièrement touchant que, sans jamais perdre en efficacité narrative, elle saisit subtilement les âmes blessées de ces deux esprits rebelles qui ont ouvert la voie à une musique peu commune, comme en témoigne le texte de « Sur le drapeau » (2018).
« J’arrive déter’ sur le beat, pas de limite
Du style, d’esquisse pas de gimmicks (9.3)
Dans l’ADN, du Suprême et t’oses encore demander ” qui c’est qui nique ? “
On a juste planté les graines, gros, ça a poussé, poussé, poussé
Ça fourmille de partout, ça s’en bat des parcours
Ça, ça les pousse à nous écouter
C’est la rue, c’est la rue, nous cherche pas d’éthique
C’est la merde dans ton quartier, mais t’appelles pas les flics
De moins en moins de solo, de plus en plus d’équipes
Nous on vise pas le sol, on envoie v’là les titres
Depuis l’temps, qu’on arrache tout c’est tiltant
J’vous avoue que pour nous, c’est trippant
Garder la couronne chez nous comme challenge, c’est vrai, ça reste excitant
Seine-Saint-Denis Connexion, non, t’étais peut-être pas prêt
Maintenant, même le maire connaît l’son, j’crois qu’il peut même dabber
9.3 c’est l’amour, la peine, 9.3 c’est la haine, la paix
Ça fabrique des mecs à part, ça fabrique des M’bappé. »
A. S.
Le Monde de demain, série créée par Katell Quillevéré et Hélier Cisterne. Avec Anthony Bajon, Melvin Boomer, Andranic Manet, Victor Bonnel, Laïka Blanc-Francard, Léo Chalié (Fr., 2021, 6 x 52 min). Disponible en intégralité sur Arte.TV
(2) https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017319/culture-hip-hop/
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.