Le Menteur, au théâtre
de Poche-Montparnasse :
Corneille en verve

Au programme des classes de lycée sous l’intitulé « Mensonge et comédie », cette pièce peu facile est interprétée avec aisance par des personnages virevoltants, dans cette mise en scène tambour battant de Marion Bierry. Un hommage à une époque éprise de baroque et de séduction.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)

Au programme des classes de lycée sous l’intitulé « Mensonge et comédie », cette pièce peu facile est interprétée avec aisance par des personnages virevoltants, dans cette mise en scène tambour battant de Marion Bierry. Un hommage à une époque éprise de baroque et de séduction.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)

Rien de tel pour faire aimer ou redécouvrir un classique que d’aller au théâtre de Poche-Montparnasse, qui, spectacle après spectacle, montre avec brio comment rafraîchir notre répertoire tout en respectant l’esprit et la lettre. Dernière preuve, avec ce Menteur de Corneille, mis en scène par Marion Bierry et remarquablement interprété par des comédiens étincelants de vivacité et de générosité, à l’image d’Alexandre Bierry, héros éponyme de la pièce.

Le Menteur est une comédie au programme des classes de lycée sous l’intitulé « Mensonge et comédie ». C’est une pièce difficile à lire, au vocabulaire daté, au contexte culturel lointain (le Paris galant de Louis XIII) et aux références littéraires oubliées (la comédie d’intrigue espagnole). C’est pourtant avec naturel et aisance que l’adaptation de Marion Bierry transporte dans cette action un peu folle, où un jeune étudiant de retour de province, Dorante, prêt à aimer toutes les filles à marier de Paris, va de mensonge en mensonge dans sa quête de l’élue de son cœur. Fort d’une présence d’esprit à toute épreuve, d’une imagination débordante et d’une impétuosité à la hauteur de sa jeunesse, il se joue des situations périlleuses où ses mensonges l’entraînent et des contradictions où il se retrouve acculé. Mille fois sur le point d’être démasqué, mille fois son sens de l’improvisation le sauve et l’excuse.

Pour sentir tout cela, ce Dorante, plus comédien que menteur, plus insouciant que calculateur, plus fougueux que cynique, il faut voir la pièce, menée tambour battant, avec des personnages virevoltants, sans cesse à droite et à gauche, cachés et découverts, dupeurs dupés, se piégeant ou croyant se piéger les uns les autres : les filles, Lucrèce et Clarice, complices ou rivales, les garçons, Dorante et Alcippe, rivaux ou alliés… Et l’on comprend que ce Menteur est l’essence même de la comédie, du jeu, du masque et du langage séducteur, un hymne au théâtre si caractéristique de l’époque de Corneille éprise de baroque et de séduction.

Éloge de la comédie

Ce sujet véritable, l’éloge de la comédie, est moins clair à la lecture de la pièce tant l’intrigue compliquée et à rebondissement ralentit la compréhension et sollicite l’attention : qui est qui ? Qui aime qui ? Au théâtre, au contraire, en raison même d’une mise en scène habile, d’une diction impeccable et d’une expressivité éloquente, c’est tout l’art du menteur qui se déploie sur scène, avec les postures, les improvisations, le cabotinage d’un jeune homme grisé par la découverte qu’il y a du comédien en lui. Son valet – excellent Benjamin Boyer – est son écolier, témoin de ses exercices, tantôt inquiet de la déraison de son maître, tantôt fasciné par l’efficacité de son imagination, tirant lui-même la leçon de la pièce, interpellant finalement le spectateur de la sorte : « Par un si rare exemple, apprenez à mentir ! »

La pièce est loin d’être une dissertation morale sur le mensonge jugeant ou condamnant. Elle offre aux regards un jeu auquel tous les personnages participent, les uns et les autres trompant pour mieux savoir, mentant pour mieux tenir leur vérité. Cette légèreté va finalement bien au-delà de la comédie espagnole. Ces intrigues enjouées sont celles aussi des amoureux espiègles de Marivaux, celles des maris ou des femmes des vaudevilles, jamais à court de justifications rocambolesques. C’est par une juste intuition, pleine d’efficacité, que Marion Bierry a transformé certaines tirades ou dialogues de la pièce en airs d’opérette, chantés sur un mode parodique.

Le théâtre classique aujourd’hui n’est pas que la propriété exclusive de grands metteurs en scène invités de grands théâtres nationaux avec des projets inouïs, affranchis de tout souci de la tradition. Le théâtre de Poche-Montparnasse, comme le théâtre du Ranelagh ou encore le Lucernaire, sont de ces salles précieuses où l’éducation à la culture classique peut se faire avec intelligence et subtilité, comme l’atteste ce Menteur. Partenaires essentiels du monde de l’éducation, les équipes dédiées aux relations avec les enseignants sont des interlocuteurs à consulter sans modération pour que vivent les œuvres classiques à l’école, après une sortie réussie au théâtre.

P. C.

Le Menteur, de Corneille, mise en scène de Marion Bierry, au théâtre de Poche-Montparnasse à Paris, jusqu’au 24 juin. À partir de juillet au festival d’Avignon, théâtre du Girasol.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Pascal Caglar
Pascal Caglar