"Le Faiseur", de Balzac, au programme du concours d'entrée à l'ENS
Pour la première fois, le théâtre d’Honoré de Balzac accède à la dignité des classiques. Le Faiseur figure au programme du concours d’entrée à l’ENS lettres pour 2014.
Cette pièce, écrite en 1840, a été imprimée en septembre 1848 et créée sous le titre Mercadet, un an après sa mort le 24 août 1851, au Théâtre du Gymnase, puis à la Comédie-Française le 22 octobre 1868, dans une version remaniée par Adolphe d’Ennery. En 1957, Jean Vilar établit une nouvelle version sous le titre Le Faiseur ; elle a été créée à la Comédie-Française le 3 avril 1931.
Balzac a d’abord voulu tenter sa chance sur la scène et n’a jamais cessé d’écrire des pièces de théâtre, malgré le célèbre jugement de l’académicien Andrieux, décrétant à propos de sa première pièce Cromwell : « Ce jeune homme doit faire de tout excepté de la littérature. »
Le portrait d’un spéculateur cynique
Le théâtre de Balzac a rencontré peu de succès et continue à avoir mauvaise presse, mais mérite largement d’être réhabilité, ce qui a fait l’objet en juin dernier d’une journée d’études du GIRB (Groupe international de recherches balzaciennes, présidé par Nicole Mozet) intitulée « Splendeurs d’un parent pauvre ? Le théâtre de Balzac ».
En effet, comme le dit le programme de cette journée, « Le théâtre de Balzac existe et s’impose comme une œuvre véritable : sept pièces complètes (Cromwell, L’École des Ménages, Vautrin, Les Ressources de Quinola, Paméla Giraud, Mercadet ou Le Faiseur, La Marâtre), dont cinq furent jouées de son vivant, sans compter une vingtaine de fragments dramatiques – il n’y a là rien ni d’une ébauche, ni d’un ensemble mineur […]. Si hétérogènes et inégales qu’elles puissent paraître, toutes ces pièces sont intéressantes – Le Faiseur, même, se signalant comme un incontestable chef-d’œuvre. »
Attaché à rénover le théâtre par l’introduction du vrai, Balzac a sans doute alourdi ses pièces d’explications difficiles à mettre en scène. Il a mis longtemps à comprendre que le roman était « une espèce de scène, la seule où un auteur puisse trouver la liberté de la pensée ».
Mais si son théâtre mérite largement d’être mis en scène, le choix du Faiseur au programme de cette année s’explique surtout, me semble-t-il, par l’actualité de cette pièce, écrite sous le règne de Louis-Philippe mais étonnamment moderne, puisqu’elle met en scène un spéculateur cynique, capable de tirer son épingle du jeu dans les situations les plus périlleuses. Une véritable préfiguration des financiers d’aujourd’hui, en plus sympathique.
Mais qu’est-ce qu’un « faiseur » ?
Ce type décrit par l’auteur de La Comédie humaine a donné naissance à un nouveau mot de la langue française : un « faiseur » est, selon la définition de Léo Lespès, « un homme qui crée trop, qui tente cent affaires sans en réussir une seule, et rend souvent la confiance publique victime de ses entraînements. En général, le faiseur n’est point un malhonnête homme; la preuve en est facile à déduire; c’est un homme de travail, d’activité et d’illusions; il est plus dangereux que coupable, il se trompe le premier en trompant autrui ».
Le Trésor de la langue française donne cette définition du mot, caractérisé comme vieux ou littéraire : « Homme d’affaires sans scrupules qui fait des affaires louches, qui a des activités peu honnêtes. Des voleurs et des faiseurs. Synonyme : escroc. » Il cite d’ailleurs Balzac : « Cette véreuse affaire se fit par l’entremise d’un petit usurier nommé Vauvinet, un de ces faiseurs qui se tiennent en avant des grosses maisons de banque » (Balzac, La Cousine Bette, 1846).
De Godeau à Godot…
De plus, on peut voir dans cette œuvre, comme Félicien Marceau, une préfiguration phonétique du personnage invisible d’En attendant Godot de Samuel Beckett dans l’ami censé avoir fait fortune aux Indes que le Faiseur de Balzac attend pendant toute la pièce : « Godeau !… Mais Godeau est un mythe !… Une fable !… Godeau, c’est un fantôme… Vous avez vu Godeau ?… Allons voir Godeau ! » (Balzac, Le Faiseur).
Félicien Marceau conclut : « … qui dira le mystérieux pouvoir des syllabes qui, à plus de cent ans de distance, fait écrire à Samuel Beckett : En attendant Godot, et à Balzac sa pièce Le Faiseur, où, pendant cinq actes, on ne fait qu’attendre Godeau ? » (Félicien Marceau, Balzac et son monde, Gallimard, « Tel », 1970, éd. revue et augmentée en 1986).
« Le Faiseur » mis en scène
L’œuvre n’a jamais cessé d’être jouée depuis sa première représentation, en particulier à la Comédie-Française, où elle a été donnée sous le titre Le Faiseur en 1868, 1890, 1899, 1918, 1993, et sous le titre Mercadet le faiseur en 1910.
En mars 2014, le Théâtre de la ville présentera au théâtre des Abbesses une mise en scène de son directeur, Emmanuel Demarcy-Mota, tenté par cette « Plongée dans les mœurs, coutumes et ambitions des “hommes d’affaires” aux abois, vertigineux vaudeville balzacien ».
Colette Godard écrit à ce propos : « En observant Mercadet, spéculateur aussi cynique que sympathique, se débattre dans des situations toujours plus périlleuses, Balzac ne fait surtout pas la morale : Il s’amuse, campe des personnages aussi fortement vivants que dans ses romans, les bouscule, les secoue de répliques claquantes, leur fait subir les lois de la Comédie. »
Anne-Marie Baron
Autres mises en scène
1935-1936 : Le Faiseur Théâtre National Populaire, Paris, mise en scène Jean Vilar.
1957 : idem.
15 mars 1940 : Le Faiseur, mise en scène de Simone Jollivet avec Charles Dullin, musique de Darius Milhaud.
1945 : Théâtre Sarah Bernhardt, Paris : Le Faiseur, mise en scène de Charles Dullin.
1972 : Théâtre Montansier Versailles : Le Faiseur, mise en scène de Pierre Franck.
1976-1977 : Théâtre de l’Atelier, Paris: Le Faiseur mise en scène de Jean Le Poulain.
1995 : Théâtre des Célestins, Lyon : Le Faiseur adapté par Jean-Marie Bernicat, mise en scène de Françoise Petit, avec Jean-François Balmer.
1996 : Théâtre Montparnasse, Paris : idem.
2014 : Théâtre de la ville, Paris, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota.À lire
• Le Faiseur, comédie en cinq actes et en prose, La Documentation française, coll. « Répertoire de la Comédie-Française », 1993.
• Brudo Annie, Le Langage en représentation : essai sur le théâtre de Balzac, Fasano, Schena editore, Paris, PUPS, 2004.
• « Théâtre et théâtralité dans Le Faiseur de Balzac », Le Théâtre des romanciers, Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, 608, Les Belles Lettres, 1996, p. 15-29.
• Le Courrier balzacien, n°25-26, octobre 2013, Balzac et le droit d’auteur, dossier « Infortune et fortune de Mercadet ». Vendu en ligne sur le site lesamisdebalzac.org.
• Balzac dans les Archives de l’École des lettres.
• Pour une vision globale des œuvres majeures de Balzac au collège : un choix de titres dans la collection « Classiques, Classiques abrégés« .