Le Cirque invisible, ou la magie poétique
Il est parfois bien difficile de parler de poésie, ou mieux encore de définir la poésie. Le Cirque invisible facilite cette immersion dans la poésie en la faisant éprouver le temps du spectacle comme une surprise merveilleuse, une métamorphose du connu en inconnu, un glissement insensible du réel au fantastique, et ce, grâce au talent accompli de Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée, son compagnon.
Ils sont donc deux, un homme et une femme, et semblent à première vue assignés à des rôles bien distincts : lui est un magicien, il en a toutes les apparences, tout le matériel et les accessoires, elle, par sa souplesse, tend du côté du contorsionnisme. Mais la magie du premier s’avère rapidement fantaisie, humour, dérision, tandis que le jeu de la seconde s’impose comme de la magie véritable, profonde, lorsque l’artiste se métamorphose à vue par le simple mouvement des costumes et des dislocations du corps. Paraissant en habits de femme elle se mue en animal , en dragon, en créature fantastique. En fait à eux deux ils forment les deux côtés de l’illusion, grotesque ou sublime, celle qui nous renvoie à presque rien et celle qui nous fait toucher la beauté. Si lui enfile un masque c’est pour nous faire rire, si elle change de figure c’est pour nous stupéfier.
Jean Baptiste Thierrée ne cesse d’entrer et sortir de scène avec chaque fois un petit changement dans l’habit ou l’accessoire : apparition, disparition, réapparition, modification, la magie est ramenée à son essence. Comme l’artiste clown-magicien le dit lui-même avec humour : « Il y a beaucoup de miracles ce soir. » La magie, celle des apparences changeantes, est aussi celle de la poésie que donne à voir Victoria Chaplin. La poésie est détournement, une chose devient une autre, c’est la même et une autre : ici, Victoria Chaplin est marquise portant une robe à panier et le temps de se présenter à nous elle devient cheval d’apparat. Là, assise à une table et buvant un café sous un parasol, elle se lève transformant tout ce décor en un char de guerre. Enfin, une seule fois rassemblés, Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin exacerbent l’imagination créatrice avec des roues de bicyclettes.
Rien d’étonnant que ce duo d’artistes composant le Cirque invisible existe depuis 1990. Avec un principe de spectacle inchangé, le temps n’introduisant que des variations de numéros gardant l’esprit originel intact, la dernière version présentée à Paris donne à retrouver le spectacle qui triomphe dans le monde entier depuis près de trente ans. Le Cirque invisible a fait école : son essence poétique et magique s’est répandue dans toute une génération de nouveaux cirques que l’on peut à bon droit qualifier d’artistiques.
Pascal Caglar
• Le Cirque invisible, au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 5 avril.