L’Attention aux vulnérabilités des élèves,
de Christophe Marsollier :
retrouver la confiance
Par Benoit Falaise, historien au Centre d’histoire de Science Po
Quoi de plus fragile que l’enfance et l’adolescence ? Dans un livre écrit avec tact et rigueur à la fois, Christophe Marsollier, docteur en sciences de l’éducation et inspecteur général de l’Éducation nationale, du Sport et de la Recherche, propose une analyse des différents types de vulnérabilités qui peuvent concerner les élèves, au sein d’une institution qui est parfois mal à l’aise avec les questions psychologiques des enfants qui lui sont confiés. Non par indifférence, ni nécessairement par mauvaise volonté, mais parce que la rencontre entre les adultes et les enfants dans le cadre scolaire ne permet pas toujours l’attention nécessaire. Ces vulnérabilités sont nombreuses, polymorphes, et peuvent concerner à la fois des formes de fragilités psychologiques, le handicap, le manque de confiance en soi et toutes les formes de précarités sociales et économiques.
C’est en universitaire, spécialiste des questions d’éthique professionnelle, mais aussi d’empathie et de bien-être à l’école, que Christophe Marsollier aborde le sujet, en brassant toute une littérature scientifique internationale propre à alerter sur les conséquences possibles de la non-prise en compte des difficultés que peuvent rencontrer les enfants et adolescents. La honte, la perte de confiance, le sentiment d’humiliation et la peur devant les apprentissages en sont les conséquences les plus fréquentes.
Les dommages causés par les brimades
Dans un beau chapitre sur « un mal-être qui ne se dit pas », Christophe Marsollier donne le cœur de son propos. Nourri de cas concrets et de verbatim d’élèves et d’enseignants, l’auteur invite à comprendre comment le cadre scolaire peut être lui-même source de souffrances, surtout si celui-ci est assorti de déni de la part des adultes. L’auteur montre comment des petites phrases dégradantes, apparemment sans conséquence, mais aussi parfois délibérément humiliantes, peuvent brimer la confiance en soi des élèves, nourrir un sentiment d’échec et enraciner une estime de soi meurtri.
La « honte de ne pas y arriver », associée aux prédictions négatives sur l’avenir de l’élève, peut découler de sentences inadmissibles comme : « Tu n’arriveras jamais à rien ! », ou « J’enseigne à des abrutis de seconde zone. » Ces phrases, répétées à l’envi, Christophe Marsollier les dissèque avec retenue. Mais sourd parfois, dans son écriture, un sentiment de colère contre ces morsures infligées gratuitement, ces mépris implicites sans autre motif que de piquer au vif l’élève ou de faire un bon mot devant une classe, au mépris des conséquences pour les plus fragiles.
Les vulnérabilités sont bien entendu nombreuses, et ne résultent pas toutes de l’école ; la misère sociale, le handicap, le sentiment de ne pas « être comme les autres », les inégalités économiques et symboliques héritées de la position sociale des parents pèsent de tout leur poids. En témoigne la carte sur les zones à risque d’échec scolaire (p. 47), corrélée aux difficultés économiques et sociales des familles.
Une scolarité qui tire parti du meilleur de chacune et chacun
Le livre de Christophe Marsollier ne plaide pas uniquement pour l’épanouissement personnel ou le développement affectif individuel, derrière lesquels peuvent se cacher toutes sortes de dérives promptes à envisager plutôt le « développement personnel » que l’idéal d’égalité que porte la pédagogie. C’est bien l’égalité des chances qui est en jeu, l’égale possibilité d’effectuer une scolarité qui tire parti du meilleur de chacune et chacun. C’est aussi un sentiment d’injustice qui affleure à chaque page.
Mais ce n’est pas un livre pour accuser l’école, loin s’en faut. L’auteur montre comment, depuis plusieurs années déjà, des politiques publiques et des déclinaisons en formations initiale et continue sont venues interroger les pratiques les plus ordinaires en insistant sur le bien-être à l’école, la bienveillance (qui n’est pas un vilain mot ou une naïveté, mais bien une éthique professionnelle et une exigence pédagogique) ou encore le climat scolaire. Celui-ci peut concourir à donner le maximum de chances à tous les élèves, quelles que soient leur histoire, leurs fragilités ou leurs incapacités passagères ou structurelles. Ces chances dont disposent les élèves mieux dotés et mieux armés du fait de leur contexte familial et social.
Confiance, respect, écoute, engagement et droit à l’erreur
La relation éducative est au cœur de cet essai. En donnant à voir des pratiques qui sont tout entières portées vers la prise en compte de chaque élève, le respect profond de l’enfant et de l’adolescent, Christophe Marsollier offre un panorama remarquable de ce que peut l’école quand ses acteurs accordent une importance centrale à la psychologie.
Ainsi, en termes simples mais efficaces, il rappelle les invariants d’une relation pédagogique de qualité : confiance, respect, écoute, engagement et droit à l’erreur. C’est à ces conditions que l’éducateur accomplit pleinement sa tâche ; car, comme il l’écrit très justement, « prendre en considération cette variable psychologique participe d’une exigence éthique et pédagogique qui questionne et peut remettre en cause de nombreux gestes professionnels quotidiens ». Ceux-ci, apparemment anodins, peuvent entraîner l’engrenage fatal vers l’échec scolaire et la non-réalisation de soi.
Christophe Marsollier montre ce que le regard que l’on porte aux élèves, et, derrière eux, à leurs parents et à leur contexte familial et social, peut avoir de déterminant dans leur réussite. C’est pour toutes ces raisons qu’il faut lire ce livre et le faire lire. Il est écrit avec le cœur d’un pédagogue, l’armature intellectuelle et universitaire d’un chercheur. En cela, il est indispensable.
B. F.
Christophe Marsollier, L’Attention aux vulnérabilités des élèves, collection « Au fil des débats », Berger-Levraut, 184 p., 19 euros.
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