"Les Larmes d’Œdipe", de Wajdi Mouawad
Antonin Artaud, dans un article célèbre, affirmait que les chefs d’œuvre du passé étaient bons pour le passé et qu’il fallait une écriture dramaturgique nouvelle pour des temps nouveaux. Et bien l’Œdipe à Colone de Sophocle revisité par Wajdi Mouawad au théâtre national de Chaillot donne tort à Artaud : un chef d’œuvre classique vaut mieux que ses réappropriations.
Ces Larmes d’Œdipe sont à pleurer : difficile de savoir ce qui prédomine, de l’indigence ou de la facilité, de l’humanisme plat ou du cliché inconscient de sa vacuité. Que dire de la mise en scène qui offre un anti-spectacle au spectateur par le faussement ingénieux rideau derrière lequel les personnages se tiennent une heure et demie comme des ombres immobiles ?
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Des parallèles arbitraires
La scène comme une image fixe et voilée, cette belle idée a donné raison à ceux qui ont quitté la salle à la lueur de leur téléphone portable. Mais la pièce, le texte, ont-ils au moins possédé cette force interne, cette beauté de style ou d’idée qui ferait du spectacle une audition envoûtante ? Si le propre d’une réécriture est de prendre des libertés, d’opérer des réaménagements pour offrir quelque chose de plus, quelque chose de neuf, d’inédit et pourtant de justifié et d’évident, notre attente aura-t-elle été comblée ?
Hélas. Œdipe meurt à Athènes. Chez Sophocle, Œdipe n’est pas pour autant mourant comme dans cette mise en scène qui le présente à l’agonie, continuellement couché, allongé sur le dos. Dans Œdipe à Colone, Œdipe est bien vivant, combatif même, simplement pieusement désireux de suivre l’oracle qui lui a prédit la mort à Colone, ce qui est tout autre chose.
Œdipe donc meurt à Athènes. Cette mort nous réserve la surprise d’être redoublée par la mort d’un adolescent athénien de 15 ans tué par la police lors des manifestations anti-crise qui ont agité la Grèce confrontée au règlement de sa dette : le vieil Œdipe pleurera pour cette jeune victime.
Outre que ce parallèle est parfaitement arbitraire et sans imagination, il est lourdement l’occasion d’une indignation bien plate et bien convenue contre les violences policières, contre le système capitaliste (comparée à la sphinge de Thèbes), contre toutes les atteintes à l’humain, comme si ce message retrouvait ici une quelconque originalité dramatique.
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Complaisance, conformisme, soumission aux conventions du jour…
La création contemporaine manque parfois d’inspiration. On n’est pas artiste pour crier liberté, justice ou humanité. C’est heureusement à la portée de tout homme digne de ce nomi. Un tel message dans une œuvre telle que ces Larmes d’Œdipe en vient à dire le contraire de ce qu’il soutient : il dit complaisance, il dit conformisme, il dit soumission aux conventions du jour, aux signes et au langage actuels : fallait-il que le messager sorte son portable pour apprendre la mort du jeune Athénien ?
Fallait-il qu’Œdipe parle « d’éjaculer dans le ventre de sa mère » pour que l’on saisisse ce qu’est un inceste ? Fallait-il que le messager chante, non pas parce que le coryphée dans le théâtre grec chante avec le chœur ou avec le protagoniste, mais simplement parce qu’aujourd’hui tout spectacle de théâtre se doit de mêler les arts ? Fallait-il enfin entendre un énième éloge du théâtre, nouveau lieu saint où Œdipe est censé venir trouver la mort ?
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Culture antique et création contemporaine
La réputation de Wajdi Mouawad n’est plus à faire et ne sera pas même entamée par ce spectacle décevant. Après tout ce n’est pas rien de revenir aux sources de notre théâtre, de s’atteler à la réécriture de mythes, de sentir la continuité transhistorique du drame humain, de jeter des ponts entre le passé et le présent.
Le public nombreux de Chaillot a porté témoignage d’une double et nécessaire fidélité : à la culture antique, à la création contemporaine.
Pascal Caglar
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• La pièce figure dans la programmation 2016-2017 du théâtre de La Colline dont Wajdi Mouawad est le tout nouveau directeur (représentations du 23 septembre au 9 octobre 2016).