La Vie de château, série et romans :
analyse et pistes pédagogiques

La série télévisée de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi a décroché de nombreux prix depuis sa consécration au Festival international d’animation d’Annecy en 2019. Ses six épisodes, diffusés sur plateforme jeunesse de France Télévisions, Okoo, sont également édités en six courts romans à l’école des loisirs.
Par Inès Hamdi, enseignante de français et de cinéma (Seine-Saint-Denis)

La série télévisée de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi a décroché de nombreux prix depuis sa consécration au Festival international d’animation d’Annecy en 2019. Ses six épisodes, diffusés sur plateforme jeunesse de France Télévisions, Okoo, sont également édités en six courts romans à l’école des loisirs.

Par Inès Hamdi, enseignante de français et de cinéma (Seine-Saint-Denis)

Violette a perdu ses parents après les attentats du 13 novembre. Elle est placée sous la tutelle de son oncle Régis, un agent d’entretien bourru qui vit… au château de Versailles. Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi, les auteurs et scénaristes de cette série télévisée en six épisodes, également publiée en six courts romans, un par épisode, par l’école des loisirs, abordent avec délicatesse des thèmes lourds et complexes comme le deuil et la parentalité.

C’est bien Versailles

L’une des particularités de cette série est le lieu dans laquelle elle se déroule. Le château de Versailles (et ses alentours) est à la fois décor et personnage. Plutôt que de proposer une atmosphère de féerie, Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi ancrent leurs personnages dans une réalité assez triviale : Régis doit composer avec la vétusté de son logement qui finit sous les inondations ; Violette et ses amis, Malcolm, Ousmane et Leslie, trouvent dans les jardins un formidable terrain de jeu ; la petite fille répète son spectacle de fin d’année au théâtre de la Reine et traverse la galerie des Glaces à la recherche de sa souris de compagnie.

Ces lieux qui se succèdent sont aussi bien exploités sur le plan esthétique et narratif que symbolique. Les spectateurs, qu’ils soient grands ou petits, sont embarqués dans une visite guidée animée qui n’est pas dénuée d’enchantement, et ce, notamment, grâce à la musique d’Albin de la Simone qui parvient à retranscrire le mélange des tons de la série.

Le compte Instagram de La Vie de château propose notamment un montage[1] confrontant les lieux réels et leur représentation animée dans la série. La manière dont les animateur(rice)s ont rendu compte avec précision de ces endroits tout en les transfigurant par l’animation est assez fascinante. C’est une occasion à saisir dans un contexte éducatif : les adultes peuvent en profiter pour proposer aux enfants de raconter ou de leur raconter l’histoire de ces lieux ou, mieux encore, s’ils le peuvent : (retourner) visiter le château de Versailles.

En thérapie

Parmi les réussites de la série, celle de conjuguer des sujets difficiles avec une légèreté qui se retrouve dans le dessin.

« Le point de départ de la série est notre désir de parler de l’enfance et de l’absence, expliquent ses deux auteurs. Notre héroïne, Violette, traverse toutes les étapes d’un deuil dans un cadre extraordinaire : le château de Versailles et ses coulisses[2]. »

Le spectateur suit Violette dans les différentes phases de sa douloureuse épreuve : de ses difficultés à quitter l’appartement familial à celui de devoir y retourner tant il est chargé en souvenirs. Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi n’en oublient pas pour autant la désinvolture et les frivolités de l’enfance. Chaque épisode fait passer du rire aux larmes. La rencontre avec le fantôme du Roi-Soleil est symptomatique de cet équilibre des tons. Violette lui confie la douleur du manque de ses parents. Un pont se tisse entre Louis XIV et elle : lui aussi a perdu son grand-père, Henri IV, lors d’un attentat. Il la console et lui rappelle qu’elle n’est pas seule. L’amour que Violette porte à ses proches, à son oncle, à ses amis, ses grands-parents l’aide à surmonter son chagrin.

La série délivre sa morale et ses leçons de vie avec une dextérité et une élégance que le casting des voix accentue. Thierry Lhermitte incarne ainsi le fils de Louis XIII et d’Anne d’Autriche. L’épatante Emi Lucas-Viguier prête son énergie et sa voix à Violette, Frédéric Pierrot transmet sa solennité à Régis, tandis que Jacques Weber joue son père.

Heureux hasard : il y a trois ans, l’un était sur le canapé de l’autre dans l’épatante série En thérapie qui abordait elle aussi ces thématiques à hauteur d’adultes mais aussi d’enfants. La série se plaçait dans le contexte des attentats qui ont emporté les parents de Violette. Le cabinet du docteur Dayan, incarné par Frédéric Pierrot, était également un lieu chargé de symboles, un personnage à part entière catalysant les récits de personnages égratignés par la vie. Au bout, malgré tout, l’espoir de se (re)construire.

Du château à la salle de classe

La Vie de château est une œuvre idéale pour la classe et notamment pour le cycle 3. D’ailleurs, le premier épisode répondait à une commande autour des « Héroïnes contemporaines[3] ». Les programmes de français proposent ainsi, en CM1 et CM2, d’étudier la thématique « Héros/héroïnes et personnages[4] », mais aussi l’objet d’étude « Se découvrir, s’affirmer dans le rapport aux autres » dans lequel le professeur invite à :

  • « découvrir des récits d’apprentissage mettant en scène l’enfant dans la vie familiale, les relations entre enfants, l’école ou d’autres groupes sociaux » ;
  • « comprendre la part de vérité de la fiction » ;
  • « s’interroger sur la nature et les difficultés des apprentissages humains ».

L’image peut être accompagnée du texte puisque la série a migré vers un autre support : le livre. La collection compte six tomes correspondant aux six épisodes disponibles, chaque épisode et chaque tome s’attardant à résoudre une problématique. Cette structure peut s’intégrer dans la progression d’un débat philo dans lequel le professeur accompagne l’élève :

  • Dans l’épisode 1, Violette et Régis tentent de « s’apprivoiser ». Une lecture comparée pourra être proposée avec l’épisode du dialogue entre le renard et Le Petit Prince. Qu’est-ce que créer des liens ?
  • Dans l’épisode 2, Régis et Violette fêtent Noël chez les grands-parents. Régis ayant déçu les exigences parentales, cet épisode est l’occasion d’aborder la question du bonheur, mais aussi celle des préjugés. Régis, agent d’entretien, est perçu honteusement par des parents qui le destinaient à une grande carrière artistique dans la danse. Le contraste est fort, et Violette proposera à ses grands-parents de changer de poste d’observation en leur offrant les photographies d’un Régis épanoui dans son travail.
  • Dans l’épisode 3, Régis et Violette vivent un sinistre. Régis est confronté à son rôle de parent-tuteur. Comment éduquer et protéger une enfant ? Du côté de la jeune fille et de son ami Malcolm : ce dernier avoue ses sentiments. Ils ne sont pas réciproques. Comment gérer le chagrin et la déception d’un amour non réciproque ? Cet épisode est idéal pour aborder la question du consentement.
  • Dans l’épisode 4, Violette est moquée par ses camarades et vit une situation de harcèlement. Régis tente d’aider Violette à perfectionner la danse qu’elle devra réaliser pour son spectacle de fin d’année, mais il reproduit le schéma paternel. Va-t-il réussir à s’en sortir ?
  • Dans l’épisode 5, Violette angoisse face à la disparition de sa souris. Elle rencontre le fantôme de Louis XIV avec qui elle discutera de l’absence, du deuil et de l’amour.
  • Enfin, Violette doit compléter son arbre généalogique. Où placer Régis ? Aucune place ne semble lui être réservée. Elle finira par proposer une autre généalogie dans laquelle Régis, mais aussi Geneviève l’assistante sociale et ses amis, ont une place. C’est une occasion d’aborder la définition de la famille et de réfléchir sur la réplique de Régis à Violette : « Et puis on est une famille. Une famille de deux. »

L’apport de la transposition littéraire réside dans l’alternance des points de vue. Le lecteur a accès à l’intériorité des personnages là alors que la série est resserrée sur le point de vue de Violette. Cela permet d’enrichir la réflexion et d’amener les élèves vers la voie argumentative qui invite à se mettre à la place des personnages.

« Avec autrui : familles, amis, réseaux ».

Pour approfondir et ouvrir les horizons : le professeur peut s’appuyer sur un autre récit d’enfance, entièrement sonore. Dans sa première saison, le podcast Entre[5] met en scène la vie de la pétillante Justine. Si Violette termine sa CM2 à la fin de l’épisode 6, Justine entre en sixième. Le podcast la suit de l’enfance à l’adolescence.

Du côté du collège, l’œuvre de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi peut aussi être abordée en œuvre intégrale ou au sein d’un groupement de textes, par exemple via la thématique « Avec autrui : familles, amis, réseaux ». Le professeur a en effet la possibilité d’« étudier sous forme d’un groupement de textes des extraits de récits d’enfance et d’adolescence… ». Les enjeux correspondent avec précision à ceux que l’on retrouve dans La Vie de château : la « complexité » des relations avec autrui au sein des différentes sphères de la vie privée ou « les difficultés de la conquête de l’autonomie au sein du groupe ». Violette expérimente les difficultés au sein de sa propre classe. Certaines de ses camarades se moquent d’elle car elle est perçue comme une affabulatrice dans l’épisode 4. L’épisode 1 évoque aussi les difficultés d’être appréhendée comme une victime. Comment faire en sorte de ne pas être sans cesse renvoyée à son drame ?

Ces six épisodes rendent impatient de voir Violette grandir auprès de Régis et de ses proches. La Vie de château est devenue un récit de référence sur l’enfance. Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi évoquent la manière dont l’enfant intérieur résonne en chacun. Derrière la carcasse imposante de Régis, le spectateur devine un enfant blessé d’avoir déçu ses parents, et d’avoir perdu sa sœur sans avoir pu renouer avec elle. Les créateur(trice)s dispensent une leçon de vie précieuse : la vraie vie de château, ne serait-ce pas de grandir entouré des siens ?

Ressources : La Vie de château est disponible sur la plateforme Okoo et en replay sur France.tv.La série de six livres est par l’école des loisirs et disponible en librairie.Le podcast Entre est consultable sur l’application Spotify.

Ressources complémentaires

Malika Ferdjouk, Quatre sœurs, l’école des loisirs, 608 p., 16,50.


Notes


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

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