« La Mouche » sur les planches
Au programme des 4e et 3e, La Mouche de George Langelaan est actuellement jouée sur la scène du Théâtre des Bouffes du Nord, avant une tournée en France, dans une adaptation signée Valérie Lesort et Christian Hecq. Modernisant les références, les comédiens et metteurs en scène tirent davantage vers la comédie que vers une réflexion sur la science et s’amusent à mélanger les tons et les genres.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres
La Mouche, nouvelle de George Langelaan, n’en finit pas d’inspirer des adaptations depuis sa parution en 1957 (Flammarion). Les premières et plus célèbres ont été produites au cinéma avec le film de Kurt Neumann dès 1958, puis la célébrissime version qu’en fit David Cronenberg en 1986, auxquelles il faut ajouter une adaptation en opéra en 2008. Aujourd’hui, ce sont les comédiens et metteurs en scène Valérie Lesort et Christian Hecq qui s’y attellent au Théâtre des Bouffes du Nord. La nouvelle est si fascinante que c’est un plaisir de la redécouvrir à chaque nouvelle forme.
S’emparer du texte de Langelaan pour ces deux complices (Valérie Lesort et Christian Hecq ont collaboré à Vingt Mille Lieues sous les mers à la Comédie-Française en 2015) ne pouvait consister à le redécouper en scènes et dialogues par le simple jeu de transposition d’une écriture narrative en écriture dramatique. Il s’agissait de le repenser, l’imaginer à nouveau à partir de références plus contemporaines. C’est pourquoi le héros, Robert Browning, n’est plus un scientifique attaché au ministère de l’Air, marié et père de famille (dans la nouvelle, sa femme est accusée de son meurtre et enfermée en asile psychiatrique), mais le croisement d’un Steve Job génial et secret travaillant seul dans son garage, et d’un Jean-Claude Ladrat, cet authentique paysan charentais, illuminé, vivant avec sa mère et inventeur d’une soucoupe volante qui a été rendu célèbre par une émission de télé franco-belge, « Strip tease », diffusée dans les années 1990. Cette identité mixte du héros est complétée et unifiée par le caractère propre à Christian Hecq, le comédien insufflant tout son habituel tempérament comique à son personnage de vieux garçon bourré de tics et de complexes.
De ces mélanges de nature, la pièce tire une variété de tons et de genres que ne connaît pas la nouvelle : humour, satire, fantastique, policier, tout se succède dans l’enchaînement des saynètes qui construisent l’action et donnent la part belle aux acteurs. Chacun s’octroie un morceau de bravoure autour de Christian Hecq : la mère (Christine Murillo) au téléphone, Marie-Pierre (Valérie Lesort) et la machine à téléporter, l’inspecteur (Jan Hammenecker) et l’épouvantail, et même le chien et le lapin. Dans un décor qui recrée des ambiances spécifiques – la caravane de la mère, le garage du fils, le jardin potager et les animaux –, on passe dès lors de la misère affective et sociale à l’exaltation scientifique traversée d’expériences comiques (le chien) et de drame fatal (la mouche) jusqu’à l’enquête et son dénouement tragique.
La pièce s’apparente davantage au divertissement (Molière de la création visuelle 2020) qu’à une réflexion sur la science (la téléportation), à une comédie stylisée qu’à un portrait de savant (génie visionnaire ou fou criminel), à un jeu avec nos représentations sociales qu’à une interrogation sur nos limites. Elle effleure cependant les grandes questions plus qu’elle ne les traite, accomplissant ainsi l’une des missions du théâtre intelligent, capable d’éveiller l’esprit sans jamais ennuyer.
P. C.
La Mouche, mise en scène par Valérie Lesort et Christian Hecq, avec Robert Christian Hecq, sociétaire de la Comédie-Française, Valérie Lesort (Marie-Pierre), Christine Murillo (Odette)
Jan Hammenecker (inspecteur Langelaan). Théâtre des Bouffes du Nord à Paris jusqu’au 25 septembre. Tournée en France et Belgique en automne.
Exploitation pédagogique :
Dans le cadre scolaire, la pièce apporte une merveilleuse illustration du travail de variation, de réécriture libre à partir d’un minimum d’éléments conservés. Il est bon que les élèves aient lu la nouvelle pour réfléchir aux transformations opérées par Valérie Lesort, et gardent à l’esprit cette question : peut-on renouveler sans trahir ?
Le couple mère-fils est-il aussi pertinent que le couple mari-épouse ?
Le milieu misérable et rural de la pièce fait-il sens autant que le milieu éduqué et supérieur de la nouvelle ?
Les expérimentations ont-elles les mêmes finalités dans la nouvelle et dans la pièce de théâtre ?
La métamorphose gagne-t-elle à être vue plutôt qu’à être lue ?