La Mésange et le Cardinal, de Marie Pérouse :
le fabuleux destin de Jacqueline Pascal
Par Pascal Caglar, professeur de lettres (académie de Paris)
Rédactrice au service du Dictionnaire à l’Académie française et collaboratrice de L’École des lettres*, Marie Pérouse retrace le destin de la talentueuse cadette de Blaise Pascal. Elle confie la narration à leur aînée, Gilberte, sous la forme d’un journal qui plonge dans l’ambiance de l’époque, entre salons littéraires et intrigues politiques.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres (académie de Paris)
Chacun sait que Blaise Pascal fut un enfant précoce, géomètre à quatorze ans, mais on sait moins que sa plus jeune sœur, Jacqueline (1625-1661), fut poétesse à douze ans. C’est l’intérêt du court récit de Marie Pérouse, La Mésange et le Cardinal, que d’évoquer cette enfant surdouée qui allait, en l’espace d’un an, gagner les faveurs de toute la société mondaine de Paris, devenir la coqueluche de la Cour et obtenir le pardon du cardinal Richelieu pour leur père, disgracié après avoir contesté une taxation nouvelle sur les rentes issues de revente de charges. Cet épisode est raconté par Gabrielle, 18 ans, l’aînée des trois enfants Pascal, qui a pris la responsabilité de sa fratrie depuis la mort de leur mère en 1626, peu après la naissance de la petite dernière. Son regard plonge le lecteur dans l’ambiance de la vie de Cour, des intrigues politiques, des salons littéraires, et de la préciosité naissante de l’époque : de quoi ravir les amateurs d’histoire et de littérature.
Le mérite de Marie Pérouse est d’avoir concentré son récit sur une année charnière dans la vie de Jacqueline Pascal, du printemps 1638 à celui de 1639. Entre ces deux dates, deux événements de grandes conséquences structurent la narration : les premiers poèmes mondains de Jacqueline (dont un sonnet sur la grossesse de la reine) et la maladie qui manque de l’emporter (la petite vérole). Les succès poétiques la conduiront à sauver son père, d’abord en cavale puis amnistié par le cardinal1, et se faire une place parmi des auteurs de renom de son temps (Benserade, Scudéry, Corneille). Le voisinage avec la mort la tournera vers la vie religieuse, puis, dix ans plus tard, vers la fréquentation des milieux jansénistes. Ce destin tiraillé entre le monde et Dieu se laisse deviner chez une jeune fille que son entourage considère encore comme une enfant.
L’impression d’enfance prodigieuse est renforcée par le parti pris de l’autrice de rapporter cette histoire à la manière d’un journal, confiant la narration à Gilberte Pascal, grande sœur protectrice et sage, devenue du jour au lendemain tutrice de Blaise et Jacqueline – qu’elle appelait « ma mésange » – après la fuite de leur père recherché par les mousquetaires du cardinal. La forme du journal permet en effet d’authentifier les faits et de ressusciter les émotions, d’apporter des commentaires et des réactions qui introduisent dans la maison Pascal, au moment même où se mêlent les inquiétudes les plus vives pour le sort de leur père (ses cachettes, ses moyens de communiquer avec ses enfants), et les premiers pas extraordinaires de la petite Jacqueline à la cour du roi (son esprit, sa jeunesse, ses talents de comédienne). Le choix de Gilberte comme narratrice est enfin, il faut le souligner, un bel hommage à une femme qui fut aussi autrice, puisque Gilberte, devenue Mme Perier, écrira deux ouvrages biographiques, l’un sur la vie de son frère, l’autre sur celle de sa sœur, des témoignages précieux et d’une grande finesse psychologique.
La Mésange et le Cardinal ressuscite aussi les heures fastes du classicisme où une petite fille pouvait apprendre à lire dans un recueil de vers, où des enfants jouaient la comédie devant la Cour sous la houlette des plus grands comédiens du temps (Mondory), où, enfin, l’éducation tout entière confiée à la famille pouvait faire naître une vocation pour les mathématiques (Blaise) comme pour la poésie (Jacqueline). La famille Pascal est à la fois unique et représentative d’une époque et d’un milieu que Marie Pérouse, spécialiste de la langue du XVIIe siècle et du texte des Pensées, connaît parfaitement. Il nous tarde que son érudition subtile et son écriture aisée retracent d’autres épisodes des vies extraordinaires de Jacqueline, Gilberte ou Blaise Pascal que des récits comme celui-ci humanisent sans les désacraliser.
P. C.
Marie Pérouse, La Mésange et le Cardinal, éditions Hauteur d’homme, 112 pages, 18 €.
* Marie Pérouse tient la rubrique « Mots du moment » de la revue L’École des lettres, dédiée à l’analyse des termes et expressions dans l’air du temps.
Note
(1) Après une représentation théâtrale, Jacqueline a lu un poème au cardinal qui lui a permis d’obtenir l’amnistie de son père. Le voici, rapporté par Marie Pérouse, page 103. Quelle adresse, quelle audace chez une fille de 12 ans !
« Ne vous étonnez pas, incomparable Armand
Si j’ai mal contenté vos yeux et vos oreilles,
Mon esprit agité de frayeurs sans pareilles
Interdit à mon corps et voix et mouvement.
Mais pour me rendre ici capable de vous plaire,
Rappelez de l’exil mon misérable père,
C’est le bien que j’attends d’une insigne bonté :
Sauvez cet innocent d’un péril manifeste
Ainsi vous me rendrez l’entière liberté
De l’esprit et du corps, de la voix et du geste. »
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