"La Fille de mon meilleur ami" & "Un notaire peu ordinaire", d'Yves Ravey
En attendant l’orage
Il faut entendre avec toute l’ironie nécessaire les titres du dernier roman d’Yves Ravey : La Fille de mon meilleur ami n’est pas la personne la plus facile à supporter.
Assez folle, plutôt kleptomane et peu adaptée à la réalité, elle est interdite de rencontre avec son fils Roméo par le juge.
Or William Bonnet, le narrateur, a promis à Louis, son meilleur ami, de retrouver Mathilde. Et Mathilde veut revoir son fils, qui vit près de Savigny-sur-Orge avec son père, Anthony, et sa belle-mère, Sheila.
Organiser la rencontre, telle est la mission qui échoit donc à William. Lequel est tout sauf un brave homme.
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Un authentique roman noir
William exauce le vœu de Louis sur son lit de mort, ami connu dans une Afrique sans doute peu morale. Depuis, il mène une existence compliquée, usant de fausses identités. Et puis il a escroqué son patron, M. Vernerey et lui doit une très forte somme. S’il ne la rend pas en fin de semaine, Vernerey le fera poursuivre. Mais William a de la ressource, faute d’avoir de la morale, et il trouve le moyen de se procurer cette somme : Anthony est le trésorier du syndicat. Une grève a lieu dans l’usine locale et il détient une somme suffisante pour tranquilliser William : cet argent enfermé dans un cartable à soufflets appartenant à l’enfant, c’est par lui que tout peut se résoudre. Mais, pour cela, quelques manœuvres sont nécessaires.
Nous laisserons aux lecteurs le soin de découvrir ces péripéties qui font de La Fille de mon meilleur ami un authentique roman noir, un roman qu’on ne lâche pas, tournant les pages pour savoir, arriver jusqu’à la fin. Disons pour résumer que l’orage annoncé en début de roman menace encore à la fin, quelques jours après que William a retrouvé Mathilde et l’a amenée jusqu’à cette banlieue écrasée par un soleil omniprésent.
Un esprit proche de certains films de films de Hawks, Huston, Kubrick, Corneau…
Le soleil n’est pas pour rien dans le climat de ce roman. On boit beaucoup, des sirops et d’autres choses, on s’habille parfois léger, parfois pas. Sheila comme Mathilde sont des femmes assez jeunes pour que William ne reste pas indifférent, notamment à la première. La seconde, ex-employée de boîte de nuit, n’a pas toujours une notion claire des règles vestimentaires et attire l’attention des gendarmes ou policiers. Et c’est un vol de sous-vêtements qui provoque son arrestation et fait obstacle aux plans concoctés par William.
Son physique comme son comportement font d’elle une femme fatale, un peu comme on en trouve dans les romans de Chandler ou Hammett dont Yves Ravey reprend certains codes. L’emploi du passé composé, les dialogues au rasoir, la sécheresse du ton, l’absence totale de sentiments, tout cela rappelle ces romans ou les films qui en ont été tirés, les Hawks, les Huston ou Kubrick, voire plus près de nous, Série noire, d’Alain Corneau, d’après Jim Thompson.
William, l’escroc aux innombrable fausses cartes a des airs de Franck Poupard, le VRP minable qu’interprétait de façon superbe Patrick Dewaere. Comme lui, il espère, il se débat. Ses échanges téléphoniques avec Vernerey sont drôles, à force d’être pitoyables. Comme Poupard, il subit la fatalité. Mais pas seulement. La fatalité ne tient pas qu’à une femme sans tête. L’argent du syndicat, celui de Leduc, le patron qui tient l’usine sont là, tentateurs et redoutables. Le pouvoir des puissants – et Leduc l’est – transforme les William et consorts en marionnettes.
“Un notaire peu ordinaire”
La réédition de Un notaire peu ordinaire, roman paru en 2013, permet de percevoir les similitudes, de mettre en relief l’univers d’Yves Ravey. Le roman noir est d’abord un roman social, même si l’étiquette est excessive ou relative. Disons qu’Yves Ravey décrit des oppositions de classes, montrent des affrontements dont on connaît les vainqueurs. Ils en ont les signes.
Dans les deux romans, une carabine est l’instrument qui amène au dénouement. Dans La Fille de mon meilleur ami, c’est celle de Leduc, dans Un notaire peu ordinaire, c’est celle de maître Montussaint patron de la société de chasse. Le notaire a été l’ami de Rebernak, un villageois mort depuis. Et pour rendre service à sa veuve, sans ressource depuis son décès, il lui a trouvé un emploi dans l’école locale. Mais on ne donne rien sans rien et le notaire est sensible au charme de Clémence, la fille de Martha Rebernak. Le retour au village de Freddy, un paria longtemps emprisonné pour un viol, cousin de Clémence, sert de déclencheur à une intrigue là aussi nouée, serrée, explosive.
La différence de classes, les différences entre générations, c’est sur ce plan que tout se joue. L’intrigue est l’apparence, l’engrenage dans lequel nous entrons avec délice et horreur.
Norbert Czarny
• Yves Ravey, “La Fille de mon meilleur ami”, éditions de Minuit, 2014, 160 p. “Un notaire peu ordinaire”, collection « Double », 2013, 112 p.
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