Kenneth Grahame, "Le Vent dans les saules"

Méconnue en France, l’œuvre de Kenneth Grahame jouit dans les pays anglo-saxons d’une réputation établie et ce n’est que justice. La publication en « Classiques abrégés » du Vent dans les saules (Wind in the willows) traduit par Maurice Lomré, contribuera peut-être à populariser cette œuvre singulière et poétique qui mérite de rejoindre Alice, les filles March, Mowgly et Peter Pan au panthéon de la littérature enfantine.

Comme bien des œuvres pour enfants rédigées dans cette période charnière de la fin XIXe-début du XXe, Le Vent dans les saules fut d’abord une histoire que son auteur devait inventer pour adoucir les couchers de son fils, l’infortuné Alastair. Né prématurément, le petit garçon souffrait de déficience visuelle et d’un probable retard mental. Les aventures de Crapaud, qui occupent la deuxième partie de l’ouvrage, sont donc conçues au cours de l’année 1904, l’enfant n’a alors que quatre ans.

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Un premier lecteur : Theodore Roosevelt

On trouve trace des contes qui constituent les premiers chapitres du roman dans une série de lettres publiées de façon posthume par Mme Grahame et adressées au même Alastair.

Édité en 1908, Wind in the Willows reçoit un accueil plutôt défavorable. Kenneth Grahame qui s’était fait connaître par un recueil de récits autobiographiques sur le thème de l’enfance déçoit ses lecteurs. Dans sa préface, Maurice Lomré montre qu’on reprocha à l’auteur sa « naïveté » ainsi qu’un « anthropomorphisme un peu ridicule ». Il faudra l’intervention du président Theodore Roosevelt qui, charmé par l’histoire, se chargea de lui trouver un éditeur américain et la transposition de l’œuvre au théâtre par A.A. Milne, l’auteur de Winnie l’ourson, pour assurer à l’œuvre de Grahame une popularité durable.

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Un récit d’une grande puissance poétique

Car ces récits naïfs nous en disent plus sur l’âme humaine que bien des analyses psychologiques célébrées. Quand l’aveugle Taupe sort de son monde douillet et ténébreux, c’est pour rencontrer l’amitié, suivre Rat et Crapaud dans leur élan vers le monde mais aussi connaître les rigueurs de l’hiver et risquer sa vie, mue par le désir de connaître l’autre. Dans ces quelques contes qui refusent un moralisme simple, Kenneth Grahame enchante son lecteur en lui faisant ressentir toute la puissance poétique des campagnes anglaises.

Lui-même l’avait vécue au cours d’une enfance chaotique, il n’en fut pas de même de leur infortuné destinataire, le pauvre Alastair qui devait trouver la mort en 1920 écrasé par un train. Le refus du progrès mécanique et l’attitude irresponsable qu’il engendre chez Crapaud doit-il être considéré comme une prémonition de ce funeste événement ?

Le Vent dans les saules fut le dernier ouvrage de Kenneth Grahame qui devait s’éteindre en 1932, des suites d’une hémorragie cérébrale, soit quatre ans avant Rudyard Kipling, autre auteur de fables animalières qui, lui non plus, ne devait jamais se remettre du deuil d’un fils décédé de façon prématurée.

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Un univers enchanté et nostalgique à redécouvrir

Cette édition s’accompagne par ailleurs d’un choix d’illustrations d’Arthur Rackham, tout en finesse et en élégance. On sait la prédilection du grand artiste pour les arbres torturés ou le mélange de poésie et de grotesque : Le Vent dans les saules lui offrait une ultime occasion d’exercer son génie. Achevées en 1939, les illustrations parurent l’année suivante mais le cancer ne devait pas laisser le temps à l’illustrateur de voir l’ouvrage édité.

Il y a donc quelque chose d’éminemment mélancolique dans ces œuvres qui disent le bonheur de vivre, à la sombre lueur de drames personnels.

La traduction de Maurice Lomré, sobre et élégante, un appareil critique restreint mais pertinent, font de cette édition une parfaite introduction à l’univers enchanté et nostalgique de Kenneth Grahame.

 Stéphane Labbe

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• Kenneth Grahame, « Le Vent dans les saules », « Classiques abrégés », l’école des loisirs, 2012.

• Kenneth Grahame, Jours de rêve précédé de L’Âge d’or, trad. de Léo Lack, Phébus, 2006.

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