Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école : « Ton problème c’est mon problème »

Même identifié et combattu, le harcèlement fait toujours rage à l’école. Anciens harcelés et personnalités impliquées dans la lutte se sont retrouvés dans le Grand amphithéâtre de la Sorbonne le 7 novembre à l’invitation de la ministre de l’Éducation nationale, Anne Genetet.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, INSPE Paris Sorbonne-Université

Même identifié et combattu, le harcèlement fait toujours rage à l’école. Anciens harcelés et personnalités impliquées dans la lutte se sont retrouvés dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne le 7 novembre, à l’invitation de la ministre de l’Éducation nationale, Anne Genetet. 

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Le titre du clip diffusé dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne le 7 novembre, en ce début de Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, a donné le ton : « Ton problème, c’est mon problème. » Tourné avec les élèves du collège Émile Guillaumin de Moulins (académie de Clermont-Ferrand), et lauréat du prix Non au harcèlement 2024, il fait passer un nouveau slogan à faire rentrer dans toutes les têtes.

Malgré les batailles engagées, ce fléau sociétal ne désarme pas, a insisté le journaliste et animateur de radio et de télévision Christophe Beaugrand. Un programme dédié, PHARE, a été lancé en 2022. Les langues commencent à se délier et le mal-être des victimes, non nommé et incompris il y a encore dix ans, se révèle plus répandu encore qu’on ne croit. De Christophe Beaugrand, qui a fait le récit poignant de sa propre expérience, à la ministre, Anne Genetet, qui a évoqué son propre harcèlement pour la première fois en public à la fin de la matinée, les victimes se sont tues trop longtemps et sont encore bien trop nombreuses.

Deux témoignages d’anciens harcelés

Une première table ronde réunissait deux anciens harcelés, Nathan Smadja, qui a souffert d’insultes homophobes dès la classe de sixième, et Sylvain Dhugues, stigmatisé pour son surpoids pendant quatre ans. Leurs témoignages ont mis en évidence les conséquences mortifères du harcèlement, phénomène d’autant plus pervers qu’il peut apparaître banal pour le harcelé en dépit de la douleur continue qu’il lui cause. Entendre l’émotion encore si présente dans les récits des victimes des années après les faits permet de prendre toute la mesure de ce qu’elles ont enduré. 

Ces deux interventions ont été d’autant plus instructives qu’elles donnaient un éclairage sur le processus mental qui s’engage en situation de harcèlement. Tous deux ont insisté sur le fait que la mésestime de soi ne s’arrêtait pas avec les faits et que la réparation du trouble s’effectuait en dents de scie sur une durée réclamant une grande patience. Il faut que les proches de la personne harcelée acceptent que le mal ne disparaisse pas d’un coup. 

Nathan Samdja et Sylvain Dhugues ont confié combien la sortie de crise passait par une attention portée à l’enfant hardelé en commençant par le repérage des signaux alarmants qui peut se faire par l’intermédiaire d’un adulte ou d’un camarade. Il peut suffire qu’une personne réalise reconnaisse que quelque chose ne va pas chez un enfant et se mette à son écoute pour que son état cesse de se dégrader. Le harcèlement fait de l’autre un ennemi. Reconnaître en l’autre un allié stoppe le processus. Mais tout espoir de résolution reste illusoire tant qu’un enfant harcelé ne s’est pas entendu dire que le problème ne venait pas de lui.

D’un fait banalisé à un fait de société

La deuxième partie de la matinée a été marquée par un face-à-face entre un ancien harceleur et un ancien harcelé. L’un et l’autre devenus des promoteurs de la lutte contre le harcèlement n’étaient pas liés par une histoire commune. Toutefois, la présence de l’ancien harceleur « repenti », selon les mots de Elian Potier, président fondateur de l’association Urgence Harcèlement, montrait que la protection et l’aide aux victimes ne peuvent se faire sans agir sur les comportements pervers. Il reste rare qu’un harceleur engage un travail de fond sur lui-même. Quand il est déplacé dans un autre établissement, l’élève harceleur ne se retrouve pas forcément engagé dans une prise de conscience de ses responsabilités.

Elian Potier et Valentin Vitti ont souligné combien la perception du harcèlement avait évolué en à peine dix ans. Les mots même de « harceleur » et « harcelé » n’étaient pas prononcés jusqu’alors. Pourtant, le phénomène existe depuis fort longtemps et s’est développé de manière fulgurante avec la naissance des réseaux sociaux. 

L’échange a eu aussi le mérite d’impliquer les spectateurs de l’amphithéâtre en renvoyant chacun à sa responsabilité. Qui ne s’est pas un jour moqué d’un autre élève ? Qui n’a pas trouvé un malin plaisir à s’amuser de façon récurrente du défaut présumé d’un camarade ? Comme l’ont montré les intervenants, il y a loin entre une moquerie et un harcèlement. Mais la moquerie relève d’un acte antipathique, contraire à l’empathie. Le proverbe « qui aime bien châtie bien » a fait long feu.

« Comment s’est passée ta journée sur les réseaux ? »

Penser le harcèlement est un préalable qui doit impliquer des actions concrètes. Tout le monde, à son niveau, a un rôle à jouer, en premier lieu les parents. Ainsi, plutôt que d’en rester à la question classique « Comment s’est déroulée ta journée ? », il faudrait désormais ajouter « Comment s’est passée ta journée sur les réseaux sociaux ? ». 

L’intervention de Thierry Rousseau, principal du collège Émile Guillaumin de Moulins où a été tourné le clip, a montré que la lutte contre le harcèlement impliquait une responsabilisation des élèves. Personne ne peut se contenter d’être un témoin passif, donc consentant. La main tendue constitue est la première pierre de l’édifice de la citoyenneté, a-t-il rappelé. Si l’écoute active justifie être renforcée, c’est surtout le regard actif qui doit gagner en spontanéité. 

Personne n’a le monopole de l’attention portée à l’autre. Chacun est à même d’agir, à condition de ne banaliser aucuns signaux d’alerte. Psychologue spécialiste de l’enfance et de l’adolescence, Nadège Larcher s’est dite convaincue que le principal terreau du harcèlement restait la banalisation et la simplification des problèmes trop souvent imputés d’abord au harcelé. En pleine contradiction avec le message : « Mon problème, c’est ton problème ». Le rejet théorique du harcèlement ne va pas toujours de pair avec une mise en acte quand on en est témoins, ne serait-ce que par instinct grégaire ou crainte d’être à son tour mis au ban du groupe, a mis en évidence la troisième table ronde.

Présidente de e-EnfanceAssociation de protection de l’enfance sur internet, Justine Atlan a rappelé que le numéro vert en cas de harcèlement était le « 30 18 ». 40% des jeunes ignorent encore l’existence de ce numéro mis en service voici plus de dix ans. Justine Atlan a précisé que e-Enfance avait obtenu la qualification juridique pour exiger des réseaux sociaux et les commentaires discriminants. Afin de promouvoir d’autres moyens de se délivrer d’une situation de harcèlement, Miel Abitbol, créatrice de contenus, a insisté sur l’intérêt d’une application de contrôle parental. 

Selon Capucine Ponthieux, ambassadrice contre le harcèlement, le dispositif de réception d’une plainte pour harcèlement demeure  assez large. L’intervention de l’artiste de rap, Jyeuhair, a eu le mérite d’alerter sur le fait que nombre de harceleurs ont été d’anciens harcelés. Ce fut son cas.

La lutte contre le harcèlement à l’école relève d’une grande cause nationale, a défendu Anne Genetet, ministre de l’Éducation nationale, pour clore la matinée. Rappelant l’action de Gabriel Attal quand il était à la tête du ministère, elle a tenu à défendre la mise en œuvre des cours d’empathie de même que la proposition d’un questionnaire d’auto-évaluation sur le harcèlement non nominatif à remplir par les élèves au sein de leur établissement entre le 07 et le 15 novembre. Rappelant des principes de fermeté par rapport aux harceleurs, notamment concernant le raccourcissement des délais de convocation d’un conseil de discipline, Anne Genetet a défini la lutte contre le harcèlement comme étant la mère de toutes les batailles, celle pour le respect des différences notamment. 

Riche en échanges et en témoignages, cette matinée a eu le mérite de recenser tout ce qui est fait pour vaincre le fléau. L’idée d’une justice restaurative (consistant à faire dialoguer avec l’aide d’un médiateur neutre et formé une victime et l’auteur du préjudice) n’a pas été posée, ne serait-ce que comme axe de réflexion, tout comme le fait que l’usage immodéré du téléphone portable qui constitue un agent de désocialisation aussi redoutable que durable. 

A. S. 

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron