« J’habite ici » au Théâtre du Rond-Point
La dernière pièce de Jean-Michel Ribes est une comédie moliéresque sur les mœurs de notre temps, un délice de dérision et de satire. De quoi nourrir une réflexion sur les caractères du moment : l’écolo, le raciste, le végane, et ce genre qui consiste à rire des travers de nos sociétés.
Par Pascal Caglar, professeur de lettresLa dernière pièce de Jean-Michel Ribes est une comédie moliéresque sur les mœurs de notre temps, un délice de dérision et de satire. De quoi nourrir une réflexion sur les caractères du moment : l’écolo, le raciste, le végane, et ce genre qui consiste à rire des travers de nos sociétés.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres
Par bien des manières, Jean-Michel Ribes est le successeur de Jean-Baptiste Poquelin. S’il en fallait une nouvelle preuve : son J’habite ici, présenté au Théâtre du Rond-Point – dont il est l’actuel directeur – jusqu’au 17 octobre. Les caractéristiques du genre devenu majeur avec Molière se retrouvent avec éclat dans cette comédie sur les mœurs de notre temps, petit bijou d’humour et de fantaisie, de dérision et de critique satirique.
La comédie depuis Molière, c’est un état d’esprit, un regard sur son époque, sur les gens qui la façonnent, sur les thèmes qui la constituent, sur les travers, les ridicules, les scandales qui la ponctuent. Ce monde si amusant, si on en prend un peu ses distances, devient l’attention sérieuse d’un auteur badin, taquin et libertin, expert en l’observation de nos contemporains.
Cette philosophie comique, avec laquelle Molière a si bien su peindre nombre de caractères marquants de son époque (bourgeois, précieuses, petits marquis, dévots, poètes, coquettes, courtisans, escrocs), guide le pinceau de Jean-Michel Ribes. Depuis plus de vingt ans, le metteur en scène croque les représentants de notre temps, Français de toutes classes et de tous âges, finement caricaturés à travers leurs mœurs, leur langage et leurs conversations dans, notamment (pour ne citer que les plus récentes), les pièces Musée haut, musée bas, Théâtre sans animaux, Sulki et Sulku, et, bien sûr, J’habite ici, sa dernière création.
Un brin de folie et d’excès
Dans cette pièce, la gardienne de l’immeuble (Annie Grégorio) est le personnage de bon sens de la comédie classique. Sous ses yeux et sous le feu de ses commentaires s’agitent les habitants hétéroclites d’une maison à l’image de notre société : bigarrée et contrastée. Entre la famille traditionnelle un peu réac’, la secte végane au bord de l’inanition, la critique de théâtre folle de l’alexandrin classique, les écolos et anti-écolos excités, le couple homo qui mime la libellule, et les couples franco-arabes en trottinette, le fonctionnaire pourvoyeur de plaisirs sexuels dans un ministère ennuyeux, les pseudo-proustiens et les vrais SDF, c’est un brin de folie et d’excès qui unit les aventures des uns et des autres. Celles-ci se chevauchent dans une suite de saynètes ponctuées de mots d’esprit et de pointes humoristiques. Le genre de la comédie se répète et se renouvelle à la fois : chez Molière, les pères rejetaient le mariage de leurs enfants pour des raisons de rang social discordant. Chez Jean-Michel Ribes, les mariages sont refusés pour des raisons de race ou d’orientation sexuelle. Mais chez l’un comme chez l’autre, la jeunesse finit toujours par triompher, les amoureux sont rassemblés et les méchants (ici le père raciste) punis.
Acteur, auteur, metteur en scène, directeur de théâtre, aimé du pouvoir, subventionné : les mêmes fonctions et les mêmes signes de reconnaissance caractérisent les parcours de Molière et Jean-Michel Ribes. Ce n’est peut-être que coïncidence, mais c’est un signe supplémentaire du destin lorsque l‘on se plaît à souligner une proximité esthétique, des affinités de technique et d’objectif, un même amour du monde contemporain, aimé et moqué tout à la fois, un même goût pour le jeu et les acteurs, comblés ici par une multiplicité de rôles et de costumes enfilés aussi vite que le décor change, métamorphosant l’immeuble et ses appartements. On retrouve aussi un même souci de plaire au public à qui il faut servir le miroir de nos ridicules sans jamais donner de leçon.
J’habite ici est aussi l’occasion de rappeler l’esprit éternel de la comédie qui traverse les siècles en soumettant à un regard critique amusé et amusant les mœurs et caractères. En cela elle intéresse aussi l’histoire de ce genre qui consiste à rire de nos sociétés.
Ressources pédagogiques :
Retrouvez dans la critique de L’École des femmes de Molière les tirades de Dorante qui définissent la comédie, ses personnages, son rire et ses finalités.
Le « caractère » de comédie est un personnage de son temps, ridicule par un excès ou un défaut, représentatif d’une tendance de la société. Jean-Michel Ribes a choisi l’écolo, le raciste, le végane. À quels caractères de notre époque pourriez-vous penser pour faire un personnage de théâtre ?
Concernant la composition, si le théâtre classique impose la règle de la continuité entre les scènes (continuité de personnages, de temps et de lieu), le théâtre contemporain privilégie la discontinuité, la fragmentation. Quels avantages procurent cette technique dans le cas de J’habite ici ?
P. C.
J’habite ici, spectacle mis en scène par Jean-Michel Ribes, au Théâtre du Rond-Point à Paris, jusqu’au 17 octobre. Également disponible en livre, aux éditions Actes Sud.