"Le Ravissement de Britney Spears", de Jean Rolin. Piéton à Los Angeles
Tout commence pour le narrateur de ce roman au Haut-Badakhchan, région montagneuse à l’est du Tadjikistan. Shotemur, agent tadjik de l’ex-KGB soviétique a recruté le narrateur ; il est aussi son confident pour le récit que nous lisons. L’agent lui a confié une mission consistant à prévenir une tentative d’assassinat ou d’enlèvement de la part de militants islamistes. La cible : Britney Spears, chanteuse et star « people » plutôt bouillonnante.
Pour ce faire, le narrateur se rend à Los Angeles afin de traquer la vedette. Difficile quand on ne sait pas conduire et qu’elle ne se déplace qu’en 4×4. Los Angeles est l’une des villes du monde les moins propices à la marche. Et puis nul n’ignore ses moindres faits et gestes.
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Un faux roman policier
Les paparazzis, tels des lycaons, la poursuivent, les sites Internet rendent compte de ses mouvements infimes. Bref, cette mission commencée un 1er avril tourne à la mauvaise blague et l’on sait assez tôt qu’elle a échoué ; le narrateur est rentré à Murghab pour un « débriefing ».
On l’aura perçu à la simple lecture du titre, Jean Rolin s’amuse. Et nous avec. Son narrateur rappelle les faux époux Turenges qui avaient voulu couler le Rainbow Warrior. Il est même plus maladroit : son allure chétive le rend peu crédible et sa difficulté à se mouvoir autrement qu’en bus ou en métro l’empêche de protéger Britney Spears de ses supposés prédateurs. Le ravissement évoqué en couverture, renvoie le lecteur à un autre ravissement plus littéraire, celui d’une Lol V Stein moins prosaïque. L’allusion littéraire n’est jamais loin : la mort d’un personnage est annoncée dans le roman sous le code : « Albertine disparue ! ». Et quand le narrateur souffre de l’absence de sa compagne partie, il se rappelle une phrase de Lowry dans Au-dessous du volcan.
Mais le « feuilleté » littéraire ne constitue pas l’essentiel de ce faux roman policier, vrai roman de Jean Rolin. On y retrouve en effet ce qui fait la matière de tous ses textes, l’usage d’une langue précise, ironique et raffinée. Le sens du détail incongru fait le charme de cette écriture désinvolte. On trouve dans la poche d’un mort la Critique du programme de Gotha, de Marx. Le narrateur zappe devant un écran de télévision et, à Ramallah, pendant la guerre d’Irak découvre Britney Spears se déhanchant sur MTV.
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Une œuvre géographique et fictionnelle
On retrouve aussi ce qui fait la trame de cette œuvre géographique autant que fictionnelle : le goût du paysage contemporain, dans toute sa réalité, et à travers ses marges ou les signes qui le rendent intéressants, la présence des animaux comme symptômes d’un monde en transformation, la déambulation d’un narrateur à travers les lieux, parmi les êtres.
Commençons par les personnages, justement. Bien sûr Britney Spears. A priori, on n’a guère envie d’en savoir beaucoup sur cette star à peine moins fabriquée que sa rivale Lady Gaga. Britney Spears est la parfaite incarnation d’un modèle américain : naissance dans une bourgade du sud des États-Unis, parents dépassés, vie agitée, des enfants qu’elle ne sait pas comment élever, des compagnons qui sont aussi ses agents, très intéressés. Grâce à quelques succès musicaux, avec vidéo clip jouant sur la transgression, elle gagne vite une fortune. Elle éprouve de grosses difficultés à supporter au quotidien cette existence hors-norme.
Gagner de l’argent est (parfois) peu de chose ; il faut savoir le dépenser. Dans l’univers de la chanteuse, de ses semblables comme Lindsay Lohan et des « bad boys » parasites qui vivent autour d’elles, ce n’est pas simple. Dans ce monde superficiel, les journées sont consacrées au shopping. Le narrateur relate ses traques devant les boutiques de marque, les restaurants ou bar pour people. Quand il n’est pas sur les lieux, il se rend sur les sites Internet ; leur activité aussi vaine qu’essentielle consiste à donner des nouvelles de ces stars provisoires aux femmes qui adorent le « drama ».
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Une ville plus attachée à ses chiens qu’à ses humains
Le narrateur évoque dès son arrivée une ville plus attachée à ses chiens qu’à ses humains. Ainsi, l’avenue qui mène de l’aéroport au cœur de la ville est remplie de cabinets de vétérinaires et autres lieux dévolus à la race canine. On est loin des chiens errants évoqués par Rolin dans Un chien mort après lui, son précédent livre. Mais en même temps, on y revient dès que le narrateur parle de la ville. Il faudrait lire le roman en affichant une carte de Los Angeles et de ses environs.
Les noms de quartier, de rue, les coins les plus sordides ou inquiétants sont répertoriés et décrits par un narrateur qui se fait à l’occasion géographe ou urbaniste. Les « zones », on le sait depuis toujours, passionnent Rolin. L’allusion à Mike Davis, sociologue spécialiste de la « Cité des anges », montre bien ce qui intéresse Rolin au-delà de sa trame romanesque : montrer une ville en mutation, voire en train de s’écrouler.
On lira ses belles et longues descriptions du port ou de quartiers en marge pour saisir ce que sont les États-Unis aujourd’hui. C’était déjà le cas pour Baltimore dans Un chien mort après lui. Peu d’endroits sont plus dangereux que ceux-là ; rien ou presque ne les différencie aujourd’hui de certaines villes en guerre, comme Bagdad ou Mogadiscio. L’Amérique que l’on découvre dans Le Ravissement de Britney Spears n’a plus grand-chose à voir avec le rêve hollywoodien, pourtant banlieue de Los Angeles.
Les noms de lieu, Mecca, Bombay beach ou Chavez renvoient à d’autres continents. L’espagnol des Mexicains ou des Cubains remplace souvent l’anglais. Les êtres que le narrateur rencontre ont tous des trajectoires étonnantes et les contrastes ou mélanges sont souvent détonants. « Peu de choses si ce n’est qu’ils auraient pu se rencontrer et se côtoyer dans l’un de ces bars où tant de gens différents […] communi[e]nt dans un [tel] climat d’innocence ».
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Le monde n’a plus de frontières
Cette métamorphose d’un pays-continent va de pair avec le caractère éphémère des trajectoires humaines. Britney Spears est désormais une « has been » dont les frasques n’intéressent plus grand monde. Elle a connu des hauts, des bas, des transformations et s’est effacée de la toile au profit de mannequins court vêtus, que les paparazzis mitraillent avant que la rumeur ne se développe et qu’à leur tour, elles ne disparaissent, comme ces oiseaux chers à Rolin.
De retour au Tadjikistan, l’agent qui a échoué n’est pas dépaysé. Certes, les habitants du cru préfèrent chasser le mouflon que la star, et on habite des yourtes plutôt que les hôtels ou villas. Mais tout change. Un Mullo Abdullo, gros trafiquant de substances en provenance de l’Afghanistan voisin a des goûts de luxe. Et comme l’écrit le narrateur, « privilégiés et caïds […] paradent au volant de gros 4×4 aux vitres fumées : les mêmes qu’à Hollywood, tant l’ostentation de la richesse, quelle que soit l’origine de celle-ci, ne dispose que d’un répertoire limité. ». Le monde n’a plus de frontières.
Norbert Czarny
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• Jean Rolin, « Le Ravissement de Britney Spears », POL, 286 p.