Janvier 2018, la rentrée des auteurs confirmés
La seconde rentrée littéraire qui s’est ouverte en janvier est essentiellement française cette année et, comme souvent, consacrée avant tout aux auteurs confirmés : une du Libé des livres et de nombreux médias pour Régis Jauffret, celles de Livres et Idées (le supplément de La Croix) pour l’inattendu Patrick Grainville, portrait de Delphine de Vigan dans la rubrique Rencontre du Monde des livres et tous traversent les colonnes du Figaro littéraire.
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Des auteurs confirmés
Car cette rentrée est bien celle des écrivains qui n’ont plus à passer par les prix pour asseoir leur œuvre et qui possèdent, en outre, un public déjà bien établi. Prenons par exemple Delphine de Vigan. Bien installée dans le paysage éditorial et médiatique depuis No et moi, elle revient à son thème central, l’adolescence. Son roman, qui risque de connaître un franc succès auprès du public idoine, intitulé Loyautés, permet à l’auteure de faire son retour aux sources. La loyauté explique-t-elle à Raphaëlle Leyris est d’abord celle de l’écrivaine vis-à-vis de ses principes, « elle consiste, à rester sur son propre chemin. Dès lors que l’on reçoit du succès, des critiques, cela produit un discours qui, aussi bienveillant soit-il, peut par moment se révéler très envahissant. »
Elle ajoute : « J’ai de plus en plus l’impression qu’il y a quelque chose de cohérent qui m’occupe et je n’ai pas envie que ce mouvement-là soit perverti ou disons plutôt influencé par le discours d’autres. » C’est l’expression même de l’œuvre en train de se construire.
On notera que ses deux confrères reviennent eux aussi à leurs thèmes de prédilection, les Microfictions 2018 de Régis Jauffret empruntent leur titre à celles de 2007 car elles investissent les mêmes territoires de la cruauté au quotidien que les précédentes, le millésime soulignant à la fois le changement et la continuité : « Je me suis souvenu de cette période comme d’un moment très heureux de ma vie – se justifie-t-il –, c’est sans doute ce qui m’a poussé à en écrire cinq cents autres. »
Quant à Patrick Grainville, son livre Falaise des fous se présente comme une rétrospective de son œuvre ; Normandie, émotions esthétiques, impressionnistes et revue de personnages de la fin du XIXe siècle, tout concourt à en faire une somme, pas encore un testament certes, mais son plus beau livre, nous dit Jean-Claude Raspiengeas.
Jean Rollin est un auteur plus discret, mais lui aussi fait la une de Livres et idées ainsi que du Libé des livres. Son roman réussit la difficile synthèse entre l’histoire des hommes marqués souvent cruellement et durablement, par les guerres de frontières et celle d’un oiseau qui s’en affranchit, le traquet kurde ; un oiseau libre dont le territoire couvre peu ou prou celui du Kurdistan, tel qu’il est rêvé actuellement par ce peuple en lutte pour sa liberté. Dans l’entretien qu’il accorde à Libération, Jean Rollin révèle que la figure de l’oiseau – on a envie de dire le personnage –, constitue un invariant de son écriture. Ajoutons que l’ensemble de la critique souligne la continuité de son œuvre et de la carrière de son éditeur Paul Otchakovski Laurens, tous confirment en effet l’attention que ce dernier portait à la maturation d’un écrivain plus qu’à sa réussite commerciale directe.
La disparition d’une génération d’éditeurs
marque également cette rentrée
Inattendues, les nombreuses disparitions d’éditeur qui ont émaillé ce mois de janvier ont rappelé que le paysage éditorial a bien changé. Bernard de Fallois, Paul Otchakovski Laurens et Jean-Claude Lattès ont pour premier point commun de diriger des entreprises éponymes. Leurs noms sont devenus autant de labels concurrents, certes à l’image des marques, mais aussi complémentaires. Quels que soient les engagements et les origines des auteurs c’est bien du même paysage qu’il s’agit.
Si le premier se trouve associé à la réussite de Marcel Pagnol ou de Joël Dicker, auteurs populaires, il compte aussi à son catalogue Raymond Aron, Jacqueline de Romilly ou Fernand Braudel, ce qui constitue un bon aperçu de l’humanisme de la seconde moitié du XXe siècle.
Pour jean-Claude Lattès dont les éditions étaient devenu une marque Hachette, son irruption sur la scène littéraire avec Un Sac de billes, de Joseph Joffo, Louisiane, de Maurice Denuzière, Le Nabab d’Irène Frain il est associé à la lecture de best-sellers qui reflètent eux aussi par l’accueil qu’ils ont reçus une image du livre et de la lecture en France dans la même période. Ajoutons qu’Un sac de billes est devenu à l’instar du Lion de Kessel un classique du monde scolaire à partir des années soixante-dix.
POL, toujours en activité et perçu comme l’un des principaux éditeurs de littérature française contemporaine, a reçu un hommage à la hauteur de l’événement : cahier spécial de La Croix, pleine page du Monde ou de Libération. Le travail de découverte et de soutien à ses auteurs se lit à travers les différents témoignages de ces derniers. Ses auteurs lui ont rendu hommage dans les pages du Monde des livres, sa famille en somme, bien qu’il n’aimât guère ce terme, comme le souligne Jean Rollin : « Il ne supportait pas qu’on parle de famille, mais il m’est arrivé d’éprouver de la jalousie à l’idée de ne pas être le fils préféré. »
C’était, dit Patrice Robin le « lecteur essentiel », « Celui dont les écrivains attendaient le verdict et qui, lui, les attendaient tout court ». Éditeur qui croit en ceux qu’il publie, soutenant les textes expérimentaux grâce aux auteurs à succès. La Croix lui a consacré un cahier important avec, outre le témoignage de Frédéric Boyer – « il était connu dans tout Paris pour être l’éditeur le plus attentif aux manuscrits qu’il recevait – il les lisait tous » –, trois papiers consacrés à trois de ses auteurs de tendances diverses.
Mathieu Lindon dont Rages de chêne, rages de roseau suit sa « volonté de pousser jusqu’à ses dernières extrémités une certaine logique littéraire » (Patrick Kéchichian), mais aussi Trouville Casino de Christine Montalbetti, un roman plus léger en apparence, celui d’un retraité qui se mue en braqueur de casino – fait divers réel. « L’écriture, nous dit Stéphanie Janicot, puzzle de moments sans linéarité chronologique, rappelle la composition d’un tableau impressionniste. » Jean Rollin ouvre le supplément.
Le paysage éditorial de la fin du siècle dernier et parfois du début de ce siècle voit un modèle de l’éditeur oscillant entre le capitaine d’industrie et le chevalier des textes et des idées. On relèvera donc la biographie que l’historien François Chaubet consacre à Claude Durand, portrait d’un passionné de livres doublé d’un patron de pouvoir absolu (chez Fayard) ce qui en fait une figure emblématique des éditeurs de cette période.
Frédéric Palierne
• Prochaine chronique : des étudiantes de BTS communication parcourent l’actualité littéraire.
Voir sur ce site :
• La rentrée littéraire serait-elle déjà terminée ? par Frédéric Palierne.
• Les combats de la littérature, par Frédéric Palierne