Formation : les sept scénarios
du Conseil supérieur des programmes
pour le second degré
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université
Il existe un hiatus entre la faible attractivité du métier d’enseignant et la réalité des besoins de recrutement d’ici à 2030, constate le Conseil supérieur des programmes (CSP) en introduction d’un avis rendu public le 3 mars. Chargé par le président de la République le 6 septembre 2021 de plancher sur la formation des enseignants, le CSP a concentré ses propositions en 51 pages. 328 000 postes sont à pourvoir sur cette période, ce qui représente un renouvellement d’un tiers des effectifs, a-t-il calculé.
Le contexte est tendu : la baisse tendancielle des inscriptions aux concours « est d’autant plus préoccupante qu’elle ne permet plus de garantir la qualité de tous les lauréats des concours, même si, dans le premier degré comme dans certaines disciplines du second degré, tous les postes ouverts ne sont pas pourvus. », déclare-t-il dans cet avis. Il attribue l’augmentation de la part des contractuels à des « stratégies de contournement des règles d’affectation nationale dans le second degré et la pression des besoins exprimés dans les académies ». Quant aux reconversions au titre d’une deuxième carrière, elles supposent des « efforts importants au titre de la formation initiale et continuée ». Celle-ci a fait l’objet de réformes successives depuis 33 ans, « bien souvent sans laisser le temps à une évaluation sérieuse des résultats escomptés ou réalisés », déplore aussi le CSP.
Son avis du 3 mars repose sur des scénarios qui défendent tous des parcours de formation d’une durée de cinq ans, validés par un master. Ce premier principe et complété par un second promis, sans doute, à faire moins l’unanimité, à savoir de prioriser les parcours par rapport aux modalités de recrutement, épinglées page 8 : « Malheureusement, la lecture des rapports des jurys des différents concours de recrutement permet de douter de l’atteinte de [l’]objectif [d’un haut niveau académique] ».
Le chamboule-tout de la formation des enseignants
Le CSP revient de façon synthétique sur les différentes réformes de la formation enseignante :
- 1989-2004 : création et développement des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) ;
- 2005-2012 : intégration des IUFM dans les universités / Mise en place de la « mastérisation » ;
- 2013-2019 : création et développement des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé)/ Mise en place des parcours Meef « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » ;
- 2019 (à partir de) : instauration des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé).
Les scénarios proposés par le CSP s’inspirent de ce qui a été observé en matière de formation des professeurs dans les autres pays européens. De cette perspective, trois points attirent l’attention : d’une part, en dehors de France, le concours n’est absolument pas posé comme prioritaire ; d’autre part, les autres pays rendent possible le recrutement « local » ; enfin, chez nos voisins, la tendance à la « bivalence » s’installe.
Vers un nouveau référentiel de compétences
Le CSP a analysé le référentiel de compétences depuis 1997 avant de soumettre quelques axes d’évolution. Sur le plan des contenus disciplinaires, la mention nouvelle concernant un « emploi raisonné du numérique pour l’éducation » sous-entend qu’il ne saurait être une fin en soi.
Sur le plan des contenus transversaux, les propositions nouvelles sont plus nombreuses. L’accent est mis sur le respect de la langue française « en tant que langue d’enseignement » et sur « la familiarisation avec le patrimoine culturel français et européen ». Le CSP insiste de surcroît sur la préparation des élèves à « affronter la complexité du monde réel », notamment en traitant des « sujets interdisciplinaires » ; ainsi que sur l’éducation aux médias en pointant comme priorité « la protection et à la sécurité des données numériques ».
Le présupposé reste que la formation des enseignants est tenue de s’adapter à un monde et une société qui changent. Ce qui se traduit par des préconisations visant implicitement à prévenir des travers constatés lors des consultations réalisées par le CSP pour construire cet avis. Sous l’item « Maîtriser les démarches d’enseignement » se trouvent par exemple, « évaluer de manière fiable », ou encore « sélectionner et utiliser les ressources documentaires institutionnelles et les outils numériques labellisés […] en adoptant un comportement responsable et sûr ».
Pour le CSP, il est dispensable que la formation mise en œuvre permette à un futur professionnel de l’éducation de « s’imposer comme un référent intellectuel et social, et un révélateur de talent ».
Quels sont les différents scénarios ?
De façon très pédagogique, l’avis du CSP émet, pour le second degré comme pour le premier, différents scénarios d’évolution de la formation en distinguant spécifiquement ses avantages et ses inconvénients en partant du dispositif actuel. Lequel n’est d’ailleurs pas présenté comme satisfaisant. Il lui est reproché de correspondre à des « études longues et peu sécurisées » avec un « concours placé à la fin du M2 », « contrairement à d’autres formations à la sélection plus précoce : professions de santé, formations d’ingénieurs, écoles de commerce, etc. » Est aussi blâmée la « multiplicité des objectifs de l’année de M2 : préparation au concours, rédaction du mémoire, stages à effectuer par les étudiants de master Meef ». Le CSP ne manque pas non plus de relever « le coût supporté par les étudiants et leur famille pour financer cinq années d’études ».
Le scénario 2 propose de revenir au dispositif précédent où l’on présentait le concours en fin de master 1 avec un tout de même un aménagement suggéré : une « formation continuée, en école académique de formation continue (EAFC), 3 ans après la titularisation ». Les professeurs nouvellement recrutés bénéficiant alors « d’une formation renforcée et de l’aide d’un mentor ».
Le scénario 3 introduirait une double nouveauté :
- La création, au sein des universités, de parcours de licences disciplinaires avec mention « Professorat du second degré », la réussite de cette licence conditionnant l’entrée en master Meef ;
- La passation des épreuves d’admissibilité du concours en fin de master 1 et d’admission en fin de master 2.
Le scénario 4 ferait figure de révolution dans le modèle disciplinaire français. En effet, il serait envisagé d’en venir à une bivalence instaurée dès la licence. Implicitement, il s’agit d’un axe d’évolution soutenu par le CSP, comme en témoigne l’étayage de la mention « Avantages de la bi-disciplinarité » : « élargissement de la formation générale des enseignants permettant une approche pluridisciplinaire des phénomènes complexes » ; « facilitation de la prise en charge des dispositifs pluridisciplinaires existant dans l’enseignement scolaire, dont la prise en charge actuelle est compromise par la formation mono-disciplinaire des enseignants ; apport de souplesse au système pour l’organisation des services et les remplacements ».
Le scénario 5 serait aussi explosif que le précédent, comme le suggère la réserve suivante dans la mention « Inconvénients » : « degré d’acceptabilité de la suppression des traditionnelles épreuves écrites des concours de recrutement d’enseignants ». Il impliquerait, en effet, une admissibilité non sur épreuves écrites mais sur dossier en fin de master 2, et serait « ouvert aux titulaires de n’importe quel master » en privilégiant, « au niveau de la licence, les licences disciplinaires rattachées à la discipline du Capes visé et, au niveau du master, le master Meef ». L’admission, quant à elle, reposerait sur deux épreuves orales, l’une de nature pédagogique et l’autre sous la forme d’un entretien professionnel.
On passera rapidement sur le scénario 6 qui privilégierait un continuum licence disciplinaire/Master Meef avec deux épreuves orales en fin de M2.
Le scénario 7 est sans doute le plus radical puisqu’il promeut un recrutement sur « liste d’aptitude » (nationale ou académique). Selon cette dernière configuration, les titulaires d’un master Meef mention second degré y seraient automatiquement inscrits, pour une durée maximale de cinq ans. Les titulaires d’un master disciplinaire pouvant y prétendre aux aussi, sur présentation d’un dossier justificatif. La mention « Inconvénients » donne fort à penser que ce scénario reste non prioritaire dans l’esprit du CSP du fait du « risque d’aggravation des inégalités territoriales et sociologiques ».
Tordre le cou aux concours ?
Cet avis du CSP a le mérite de poser des scénarios sur la table à l’heure où une réforme s’impose. Mais celle-ci ne pourra se faire sans une réflexion multilatérale impliquant tous les acteurs de la formation initiale et continuée des enseignants. Ce qui suppose, comme le demande SNSUP-FSU, de remettre en place le comité de suivi des INSPE :
« Le SNESUP-FSU constate par ailleurs que la disparition du comité de suivi de la FDE et des INSPÉ a supprimé toute possibilité de dialogue entre les services et les représentant·es des personnels. Il est urgent qu’il soit remis en place afin que la parole des acteurs et actrices qui, chaque jour, œuvrent à améliorer la formation des enseignant·es du mieux possible en dépit des obstacles, soit entendue. »
Pour François Jarraud dans un article du Café pédagogique, « Le CSP s’inscrit dans la même logique que le très récent rapport de la Cour des Comptes ». C’est-à-dire, développe-t-il, « plutôt qu’envisager une amélioration de la rémunération et des conditions de travail pour rendre le métier plus attractif, le CSP préfère tordre le cou aux concours. Ce qui remet en cause le statut des enseignants. »
François Jarraud estime même que le CSP puise son inspiration dans L’École de demain (Odile Jacob), livre publié par l’ancien ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, qui a nommé les membres de l’actuel CSP, lequel est présidé par Mark Sherringham, son ancien conseiller pédagogique. Le ministre souhaitait que le concours ne soit plus « qu’une habilitation à enseigner… le recrutement étant de la responsabilité du chef d’établissement », dans la continuité de l’autonomisation des établissements voulue par Nicolas Sarkozy, puis Emmanuel Macron.
A.S.
Ressources
Sur Ecoledeslettres.fr
- Pascal Caglar, La Cour des Comptes plombe le devenir enseignant, 7 février 2023.
- Antony Soron, Formation initiale : répondre aux doutes des néo-profs, 17 novembre 2022.
- Antony Soron, Nouvelle formation initiale des enseignants : comment s’y retrouver ?, 30 mai 2022.
- Antony Soron, La révolution permanente de la formation des enseignants, 2 mai 2019.
- Antony Soron, La formation des enseignants au crible de la Cour des comptes, 6 juin 2018.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.