« Fleurs de soleil », de Simon Wiesenthal, du livre à la scène
C’est une gageure que de faire entendre un grand texte, par un large public. Le pari est pourtant réussi avec l’adaptation pour la scène de Fleurs de soleil (les tournesols), de Simon Wiesenthal, grâce à l’interprétation toute en sobriété et gravité de Thierry Lhermite qui, loin de son image médiatique, apporte pudeur et retenue à l’évocation de ce déporté juif à qui un jeune SS mourant, Karl, demande le pardon.
L’action, la narration plus exactement, se situe entre 1942 et 1946, depuis le jour de la confrontation entre Simon Wiesenthal et Karl, jusqu’au jour de la rencontre entre le survivant des camps et la mère du jeune SS : entre ces deux bornes, les tourments d’une conscience, un homme entouré par la mort et pourtant culpabilisé par le silence qu’il avait opposé au soldat allemand, jusqu’à ce demi rachat de sa conscience lors de la visite à la mère, émouvante et noble.
Le débat qui s’ensuit sur le pardon dans son rapport à la justice, à la mémoire et l’oubli, l’interrogation sur l’humanité et l’inhumanité, sur la prise en charge de la faute et de son absolution permet d’entremêler l’histoire de Simon Wiesenthal et des citations de philosophes (Élisabeth de Fontenay dont une grande partie de la famille a été exterminée à Auschwitz) et d’anciens déportés (dont Simone Veil) qui laissent à chacun la liberté d’établir quelle aurait dû être la bonne réaction.
Au camp même, un ami déporté de Simon, avait lancé le débat : comment, disait-il, un homme (l’Allemand) qui te prend pour un sous homme (le juif) peut te demander une réaction surhumaine (le pardon) ? Le pardon n’est-il pas en effet du ressort de Dieu (un homme et sa conscience, l’« œil » comme dirait le Caïn de Victor Hugo) tandis que la justice seule est du domaine des hommes ? Pardonner n’est pas excuser. Ce n’est pas davantage comprendre. Pardonner n’exclut pas de punir ni n’implique d’oublier. Pardonner exige une capacité d’amour qu’un homme, a fortiori une victime, est dans l’impossibilité d’offrir, à moins d’affirmer l’humanité comme loi absolue.
L’adaptation théâtrale est plus qu’une lecture. Ce n’est pas la simple lecture d’un texte par un acteur, mais l’incarnation, l’interprétation d’une parole et donc la vie rendue à un être pensant. À ce titre le jeu facilite l’attention, la compréhension, la réflexion. La connaissance des crimes contre l’humanité, le devoir de mémoire, ces questions si nécessaires à la formation morale de nos élèves, trouvent une bonne occasion avec le théâtre de s’imprimer en eux, en leur conscience, là où souvent une lecture imposée ne laisse que peu de traces.
Plus que jamais chacun de nous a l’intuition que l’éducation se fait et se fera hors les murs, hors les cadres et les codes contraignants d’une scolarité régie par des programmes et des exercices . Le théâtre est, et peut plus encore devenir, l’un des meilleurs partenaires de ceux qui œuvrent à une formation intellectuelle libre et durable de nos jeunes élèves.
• « Fleurs de soleil », de Simon Wiesenthal, adaptation de Daniel Cohen et Antoine Mory, au théâtre Antoine, 14, boulevard de Strasbourg, Paris X e, jusqu’au 29 mars 2020.
• Voir également sur ce site : Cinéma et histoire : « La Liste de Schindler », de Steven Spielberg, par Alexandre Lafon.