Épreuve écrite de français 2024
en terminale professionnelle :
proposition de corrigé

L’épreuve écrite de français du bac professionnel 2024 s’est déroulée le 18 juin. Cette année, le thème du jeu était prescrit autour d’un dossier comportant un extrait de récit autobiographique, un article de presse et un photogramme tiré d’une série à succès.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

L’épreuve écrite de français du bac professionnel 2024 s’est déroulée le 18 juin. Cette année, le thème du jeu était prescrit autour d’un dossier comportant un extrait de récit autobiographique, un article de presse et un photogramme tiré d’une série à succès.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres,
Inspé Paris Sorbonne-Université

Le sujet de français du bac professionnel vise à évaluer deux grands champs de compétences, la lecture et l’écriture, le premier champ incluant la lecture d’images.

Évaluation des compétences de lecture

Le dossier soumis cette session 2024 aux candidats comportait des documents à la visée bien distincte :

  • Raconter : extrait de Chantal Thomas, Souvenirs de la marée basse, 2017.
  • Informer : article de Justine Cannone, « Les jeux vidéo, passion ou addiction », revue Sciences humaines, 2011.
  • Capter l’attention du spectateur : photogramme issu de la saison 1 de la série Stranger Things.

Après une première lecture attentive des trois documents composant le dossier, il apparaît que, même si les jeux évoqués diffèrent, ainsi que le nombre de participants, dans les trois cas ils possèdent chacun une valeur communautaire témoignant d’une capacité à rassembler les joueurs autour d’un même objectif.

I – Compétences de lecture « textuelle »

La question 1 portait sur le texte de Chantal Thomas. Même sans connaître ni l’autrice (académicienne depuis 2021 et Prix Fémina pour Les Adieux à la reine, aux éditions du Seuil, en 2002), ni même le contenu du récit (la narratrice évoque ici la personnalité complexe de sa propre mère, « Jackie »), son titre, Souvenirs de la marée basse, pouvait tout de même laisser penser à un récit autobiographique.

Il s’agissait d’expliquer comment le jeu du château de sable évolue selon les états de la marée. Un petit groupe d’enfants s’occupe sur la plage en construisant un château de sable. Or, en fonction de la marée montante, ce dernier subit les assauts de l’eau de mer comme s’il s’agissait d’un ennemi. Le récit met bien en valeur les différentes phases de la montée des eaux selon une logique dramatique. Au moyen de phrases courtes et en usant du présent de l’indicatif, le récit fait état d’une destruction inexorable malgré les efforts entrepris. Au départ, une vérité générale est pourtant exprimée : « Le château est invulnérable » (ligne 15). Toutefois, une lente dégradation survient ensuite avec l’usage du présent de narration : « Les failles s’aggravent » (ligne 19). À la ligne 20, comme parfaite antithèse de l’affirmation ligne 15, un constat implacable doit être fait : « Le superbe château vire au tas de sable ». On est donc passé d’un « château » qui faisait l’orgueil de ses « bâtisseurs dans l’âme » (ligne 21) à des « ruines » (ligne 30). Pourtant, cette dégradation ne fait pas perdre aux enfants tout son attrait. L’effacement physique du « château » ne sachant l’éliminer de la mémoire sensible des enfants qui l’ont érigé : « Il garde des traces de sa gloire passée ».

Il fallait donc mettre en perspective la dégradation de la construction due à la marée montante en pensant à indexer la réponse sur des indices textuels commentés au moins a minima.

La question 2 invitait les candidats à bien se représenter la situation décrite par Chantal Thomas et les groupes en présence. Il s’agissait de préciser quel groupe de joueurs la narratrice rejoint finalement en explicitant sa motivation.

La narratrice opère une discrimination entre les trois groupes. Elle commence par le sien, le plus légitime selon elle, comme le signale la présence immédiate du « nous » (que l’on retrouve dans une expression commune dans le langage courant : « chez nous »). Ce serait comme si elle marquait son terrain : le « nous » correspondant à ce qu’elle définit comme « les enfants de la plage » par opposition aux « enfants venus d’ailleurs » (ligne 5). À leur égard, elle manifeste d’ailleurs une forme de xénophobie infantile, comme si ces enfants, qui « sont en colonie de vacances » (ligne 6), n’avaient aucun savoir-vivre et étaient coupables de ne pas connaître les codes propres « aux enfants de la plage ». Ces derniers reviennent d’une année à l’autre au même endroit. Ce ne sont donc pas non plus des « enfants estivants » (ligne 9) qui forment tout de même, pour « les enfants de la plage », une catégorie plus acceptable que les « enfants venus d’ailleurs ». D’ailleurs, ces deux groupes tendent à se mélanger, au point qu’une fois germée l’idée de la construction d’un château de sable, il n’apparaît plus de différences entre eux. Inversement, à l’encontre des « enfants venus d’ailleurs », l’exclusion est posée comme définitive : « Il est inscrit que nous ne jouerons jamais avec eux » (ligne 8).

Il fallait donc bien distinguer les trois groupes et montrer pourquoi la narratrice se rattache à un groupe plutôt qu’à un autre.

La question 3 portait sur le texte 2, à savoir l’article de la revue Sciences humaines. Il s’agissait précisément d’expliquer ce qui lie les joueurs malgré leurs différences. À la différence de l’évocation de Chantal Thomas qui n’engageait dans la construction du château de sable que quelques enfants, « les jeux en ligne », sujet de l’article comme annoncé à la ligne 1, rassemblent des milliers de joueurs qui, au départ, ne se connaissent pas et sont issus de différents pays.

Les participants semblent mus par un même but ou pour le dire avec un mot du texte répété, une même « quête ». L’intérêt du jeu en ligne évoqué reste de ne pas être solitaire. À l’inverse, comme précisé ligne 5, il correspond à des « quêtes en groupe ». De fait, peu importe l’origine ou la nationalité, ce qui compte c’est de pouvoir accomplir l’objectif ; ce qui ne peut être réalisé seul. Ainsi, du point de vue de l’auteur de l’article, le jeu en ligne est paré de nombre de vertus : « On socialise, on entretient des amitiés » (ligne 10). Au-delà de l’objectif de réalisation collective de la quête, l’intérêt du jeu tiendrait justement au fait qu’il implique des joueurs très différents : ce qui ne peut que légitimer une « passion » reconnue par un grand nombre de personnes postées aux quatre coins de la planète.

Il fallait bien montrer que le jeu en ligne n’a rien de solitaire. Il a une vocation universelle et communautaire.

II – Compétences de lecture d’images

La question 4 est la seule à porter sur l’image. Cette dernière devant être analysée afin de répondre à la problématique suivante : « Que révèle l’attitude de chaque joueur sur son implication dans le jeu ? ». L’image en question est un photogramme, autrement dit un arrêt sur une image à l’origine mobile. La situation représentée, trois jeunes gens assis autour d’une table et engagés dans un jeu de société et/ou de rôles, est issue d’une série à succès. Le paratexte est d’ailleurs là pour préciser l’intrigue : « Un groupe d’amis se rassemble dans le sous-sol de l’un d’entre eux pour jouer à Donjons et dragons. Ce jeu de rôle médiéval et fantastique sur table est l’un des premiers créés dans les années 1970 aux États-Unis. Les joueurs sont immergés dans un même monde imaginaire organisé par des règles. Ils doivent collaborer pour accomplir une quête sous la direction d’un maître du jeu. »

Même sans bien connaître la série, on peut être sensible en visionnant l’image à l’attitude des trois amis. On distinguera le meneur du jeu, reconnaissable à sa tenue, qui pourrait le rendre comparable au célèbre magicien Merlin. Lui semble en train de parler alors que les deux autres apparaissent plus silencieux. Le meneur du jeu effectue un mouvement avec ses mains comme s’il était complètement dans son rôle. Son camarade en face de lui semble dans un état de concentration intense, que l’on perçoit dans son regard fixé sur le meneur du jeu. Le troisième personnage apparaît tout aussi concentré, mais son regard se porte sur le livre qu’il tient droit devant lui. Si leurs postures et leurs tenues vestimentaires les distinguent (chapeau, casquette, tête nue), les trois personnages donnent l’impression d’être concentrés sur un même objectif ou, pour reprendre le terme du texte 2, sur une même « quête ». La proximité entre les trois, liée à leur positionnement autour d’une table étroite, ne fait que renforcer la dimension communautaire du jeu de rôles dans lequel ils se sont engagés avec une implication extrême.

Il fallait bien montrer la dimension communautaire du jeu et le degré d’implication de chacun des participants.

III – Compétences de lecture synthétique

Les questions posées portent sur chacun des documents du dossier dans un premier temps, pour aller, dans un deuxième temps, vers une interrogation à valeur synthétique. L’objectif étant à ce niveau de vérifier la capacité du candidat à établir des liens entre les différentes parties du dossier. Ici, la formulation de la question de synthèse était la suivante. « Choisissez l’un de ces trois titres : Des partenaires de jeu / Jouer c’est imaginer / La beauté du jeu, et justifiez votre choix en montrant pourquoi ce titre rend bien compte des points communs et des différences entre le texte 1, le texte 2 et l’image». La consigne précisait en outre que les trois titres pouvaient être retenus à condition de savoir bien justifier son choix.

La première difficulté consistait donc à trancher sur le fait que les trois réponses sont également valables. De notre point de vue, le titre le moins pertinent reste le troisième, La beauté du jeu. Il n’est, certes, pas hors sujet, mais moins évident a priori, à moins de prendre ce titre dans un sens figuré que l’on pourrait traduire comme la « magie » du jeu. Dans les trois cas, le jeu a bien une forme de beauté (de vertu) dans la mesure où il rassemble plutôt qu’il ne sépare. Néanmoins, dans le texte 1, cette beauté reste paradoxale puisqu’elle implique une logique d’exclusion partielle.

Le deuxième titre, Jouer c’est imaginer, apparaît plus universellement valable. En effet, dans l’extrait de Chantal Thomas, l’imaginaire joue à plein, y compris et même surtout quand le château est détruit : « Il est traversé de voix, on entend des appels au secours » (ligne 32). Dans le texte 2, la motivation des participants est même décuplée, chacun se sentant transporté dans un monde imaginaire où l’on rencontre « un terrible pirate » et un « dragon millénaire » (ligne 4). Cette même capacité à faire œuvre d’imagination est décuplée dans la situation prise sur le vif par le photogramme. En effet, il n’y a pas d’images virtuelles, pas d’effets spéciaux. C’est uniquement le livre qui génère des images mentales entraînant les joueurs dans des aventures extraordinaires.

Le premier titre, Des partenaires de jeu, demeure pertinent pour synthétiser les trois documents. Dans les trois cas, les joueurs sont en symbiose, ils œuvrent dans une même direction, selon un même objectif. En somme, comme le montre le photogramme, peu importe la couleur de peau, le style vestimentaire, l’esprit de collaboration l’emporte sur les différences. C’était aussi partiellement le cas dans le texte 1 puisque la narratrice se mélange au groupe « des estivants ». Enfin, c’est aussi une des caractéristiques fondamentales du jeu en ligne que de pouvoir transcender les différences nationales et culturelles.

Évaluer des compétences d’écriture

Le sujet proposé, « Le jeu permet-il toujours de créer des liens solides ? », supposait d’articuler sa réflexion autour des éléments du corpus, de l’œuvre étudiée au cours de l’année et de sa culture personnelle. Nous nous contenterons ici d’étayer la problématisation du sujet en explicitant les termes essentiels de la question posée.

Dans les documents du corpus, le jeu est globalement valorisé. Il « socialise », il induit des partenariats universels, il rapproche les joueurs. Néanmoins, il s’agit de se demander si les liens que le jeu permet de nouer sont ou non durables. Ne serait-il pas possible de considérer que la communauté presque idéale des joueurs n’est valable que le temps du jeu ? En ce sens, l’esprit communautaire développé par le jeu ne saurait fonctionner que pendant la durée de la partie. Le sujet invite à poser une limite à l’idéalisation du jeu en se demandant si les valeurs ou principes à l’œuvre dans le temps du jeu peuvent être réinvesties dans la vie réelle. Il faut bien convenir que tous les jeux en ligne n’ont pas nécessairement bonne presse et que, justement, il leur est souvent reproché de maintenir de très jeunes joueurs dans un monde virtuel. Ce qui rend le retour au réel d’autant plus délicat.

Le sujet invite à bien définir l’expression « liens solides » au sens de liens forts ou durables, sous-entendu dans la vie réelle. Ici, il faudrait bien sûr s’appuyer sur un texte au programme. À ce titre, il ne faudrait pas, dans la conception du plan, perdre de vue l’adverbe « toujours » présent dans la question car il invite à relativiser une position absolument indiscutable. En effet, à la lecture des documents du dossier, notamment l’article de presse, on en serait presque à envisager le jeu comme une utopie, voire comme une solution magique à la fragmentation de la société. Or, le programme limitatif, qui inclut par exemple Le Joueur d’échecs, de Stefan Zweig, donne du jeu une vision beaucoup moins idyllique : le jeu pouvant avoir enfermé le joueur dans une partie devenue une forme de camp de concentration mental.

D’un point de vue synthétique, si l’on adopte un plan dialectique dans la discussion, on sera à même par exemple de confronter :

  • la thèse, « Le jeu comme utopie communautaire » (partie 1), en s’appuyant sur des éléments du dossier (favorable au jeu) ;
  • et l’antithèse, « Le jeu comme coupure du lien social » (partie 2), en indexant sa réflexion sur l’œuvre étudiée au cours de l’année.

La discussion à engager implique de recourir à des exemples tirés de sa culture personnelle (articles lus, podcasts, émissions radiophoniques écoutées, livres lus en lecture autonome). Ce qui pourra permettre d’envisager une troisième partie de « conciliation » pour relativiser. En effet, le sujet apparaît trop restrictif en parlant du « jeu » au singulier, alors que ce terme générique recoupe des réalités bien différentes : jeux de nature, jeux de rôles, jeux en ligne. L’expérience du jeu expérimentée dès le monde antique demeure profondément hétérogène et de fait, continûment soumis à discussion.

A. S.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron