Enseigner le génocide des Tutsi au Rwanda, du collège à l'université
Le génocide des Tutsi au Rwanda de 1994, dont on vient de commémorer les vingt ans, est l’occasion de s’interroger sur ses représentations et son enseignement, en France notamment.
Les programmes d’histoire récents (classes préparatoires de CAP – BOÉN numéro 8 du 25 février 2010) font une place explicite à l’événement et à la démarche comparatiste qui permet de rendre compte des caractéristiques propres à une politique génocidaire dans une perspective citoyenne. Ils ouvrent ainsi la possibilité d’étudier en parallèle les génocides des Arméniens, des Juifs et des Tutsi, en soulignant leurs points communs mais aussi leurs différences.
Le programme de la classe de terminale du baccalauréat professionnel (BOÉN numéro 2 du 19 février 2009) mentionne explicitement le Rwanda dans le cadre du cours « Le monde depuis le tournant des années 1990 » : « On insiste sur les crises qui marquent le début de cette nouvelles période : génocides en Afrique et en Europe – Rwanda, Srebrenica. »
Mais qu’en est-il de la réalité de cet enseignement dans les classes françaises, y compris dans d’autres disciplines que l’histoire ? En philosophie, et bien sûr en français, où la réflexion sur le monde des valeurs est au cœur des programmes du collège et du lycée par la lecture des textes ainsi que par l’analyse du discours (notamment du discours argumentatif de la troisième à la première).
Comment aborder en classe la question du génocide
.Si le génocide peut être abordé par le biais de l’étude de l’autobiographie et du témoignage (notamment dans le cas de la Shoah), il peut aussi l’être par celui de l’étude du récit et du genre romanesque (Monénembo, Diop, Tadjo, Raharimanana…) ou des arts (Bruce Clarke, Alfredo Jaar…), ainsi que dans le cadre de l’éducation aux médias, enjeu affirmé des nouveaux programmes.
Comment cet enseignement est-il mené ? Quels obstacles ou difficultés les enseignants et leurs élèves ou étudiants, du collège à l’université, rencontrent-ils pour appréhender le phénomène ?
La problématique est complexe car le génocide relève des questions dites « socialement vives de l’enseignement » (Legardez, 2006). Il constitue en effet un « objet d’enseignement […], réparti entre plusieurs disciplines, qui mobilise des enjeux de mémoire collectives douloureux ou conflictuels, et qui met en question les identités personnelles et collectives » (Ernst, 2008), et interroge chercheurs et enseignants, du collège à l’université.
Ces « questions socialement vives », sans être forcément d’« actualité », dans la société, dans les savoirs scolaires, mais aussi dans les savoirs de référence, suscitent des controverses entre les spécialistes car ce sont des questions « où s’affrontent des valeurs et des intérêts, parfois chargées d’émotions, souvent politiquement sensibles, intellectuellement complexes, et dont les enjeux sont importants pour le présent et l’avenir commun » (Tutiaux-Guillon, 2006).
Une journée d’étude et un colloque
• Dans le cadre d’une première journée d’étude organisée le mercredi 8 octobre 2014 à la Maison des sciences de l’Homme de Dijon, des didacticiens et chercheurs spécialistes de la question, ainsi que des enseignants ayant déjà mené des projets du collège à l’université, confronteront leurs expériences afin de prendre la mesure des écueils et difficultés, et proposer des réflexions efficaces pour tenter de les pallier.
Cette journée, très innovante quant à sa thématique, aura aussi pour vocation de fédérer les enseignants de la région, quelle que soit leur discipline, désireux d’enseigner l’événement dans leur classe, et d’amorcer ainsi des partenariats et l’établissement d’un cahier des charges. Il en sera prochainement rendu compte sur ce site.
.• Un colloque pluridisciplinaire et international, intitulé Récits, constructions mémorielles et écriture de l’Histoire, se déroulera ensuite à Paris et à Saint-Quentin-en-Yvelines les 13, 14 et 15 novembre 2014. Il réunira un grand nombre de spécialistes de la question dans les domaines de l’histoire, de la justice, de l’analyse des médias et des œuvres artistiques.
Il sera aussi l’occasion de rencontrer des témoins et des créateurs dans le cadre de tables rondes et de projections de films, avec notamment deux séances réservées à un public lycéen et étudiant. Les enseignants désireux de participer avec leurs classes à l’une de ces projections peuvent contacter directement les organisateurs du colloque pour les réservations.
Les films concernés sont les suivants :
Sonatubes-Nyanza, d’Arnaud Sauli (documentaire, France, 2012, 20 min). En avril 1994, Jeanne Uwimbabazi a survécu au massacre de la colline de Nyanza. Elle n’est jamais retournée sur les lieux où elle fut laissée pour morte par les génocidaires. Cet endroit, elle le porte désormais en elle, de façon autonome. Le film articule son témoignage oral et des images de la colline de Nyanza filmée au présent, alors que débute la quinzième commémoration du génocide et des travaux de rénovation du mémorial.
Au nom du Père, de tous, du ciel, de Marie-Violaine Brincard (documentaire, France, 2010, 51 min). Joseph, Joséphine, Léonard, Marguerite et Augustin sont tous les cinq hutu. Pendant le génocide de 1994, ils ont refusé de participer aux tueries, préférant mettre leur vie en péril pour cacher des Tutsi et organiser leur fuite par le lac Kivu. Le film ne se contente pas de recueillir leur témoignage : porté par la majesté des paysages rwandais, il embrasse le quotidien de ces hommes et de ces femmes, décidés à vivre en marge de leur clan pour ne pas transiger avec leur propre éthique.
Le Jour où Dieu est parti en voyage, de Philippe Van Leeuw (fiction, Belgique/France, 2009, 95 min). Une famille d’Occidentaux est évacuée du Rwanda par les paras-commandos belges, alors que le génocide commence. Avant de partir, le père cache la nounou tutsi, Jacqueline, dans le plafond de la maison. Après avoir passé plusieurs heures dans sa cachette, la jeune femme décide d’aller à la recherche de ses enfants restés en ville. Lorsqu’elle découvre leurs cadavres, elle n’a d’autre solution que de fuir dans la forêt pour échapper aux tueurs.
Ces films, parce qu’ils prennent le parti du témoignage ou de la métaphore ne contiennent pas d’images susceptibles de choquer un public lycéen ou étudiant.
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Programme de la journée du mercredi 8 octobre
coordonnée par Virginie Brinker,
maître de conférences en langue et littérature françaises
..• Regards pluridisciplinaires et expériences d’enseignement
9 h : Ouverture, par Virginie Brinker.
9 h 30-10 h 15 : « L’écriture de l’histoire du génocide: un état des lieux », par François Robinet, maître de conférences en histoire contemporaine, université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines,
10 h 15-10 h 45 : « Enseigner le génocide des Tutsi au Rwanda à l’université par l’analyse filmique », par Marc Arino, maître de conférences en langue et littérature françaises, université de La Réunion,
11 h 15-11 h 45 : « Enseigner La Mémoire trouée, d’Élisabeth Combres, en classe de 3e , par Sandrine Meslet, enseignante, docteur en littérature (Paris IV).
11 h 45-12 h 15 : « Le génocide. Enjeux de pensée (« L’absence d’antisémitisme ne suffit nullement ») », par Alain David, bureau national de la Licra, professeur de philosophie (lycée Montchapet), directeur de programmes au Collège international de philosophie, professeur invité aux universités de Stuttgart et Klagenfurt.
..• Perspectives comparatistes et démarches d’enseignement
13 h 30-14 h : «Enseigner les génocides en cours de français au lycée par les témoignages ? Approche comparée de deux documentaires : Le Dernier des Injustes, de Claude Lanzmann (2013), et Au nom du père, de tous, du ciel, de Marie-Violaine Brincard (2010) » , par Olivia Lewi, ÉSPÉ Paris, formatrice en lettres, doctorante en sciences du langage (Paris IV).
14 h-14 h 30 : « Cambodge et Rwanda : la parole du bourreau ou l’invention d’une langue », par Éric Hoppenot, ÉSPÉ Paris, formateur en lettres, docteur en littérature (Paris VII).
14 h 30-15 h : « Enseigner le génocide avec la bande dessinée : étude et comparaison des génocides rwandais et arménien à travers deux bandes dessinées », par Valérie Delhomme, ÉSPÉ de Bourgogne, formatrice en histoire
.• Réflexions pédagogiques
15 h 30 – 16 h : « Génocide et transmission : quels enjeux pédagogiques ? » par Benoit Falaize, ÉSPÉ Versailles, formateur en histoire.
16 h 30-17 h : « Croiser les mémoires / enseigner l’histoire d’une violence extrême en Seine-Saint-Denis », par Laure Coret, enseignante en lycée professionnel et dans le cadre des conventions d’éducation prioritaire, titulaire d’une thèse en littérature générale et comparée consacrée aux représentations des génocides et crimes contre l’humanité.
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• Amphithéâtre de la Maison des sciences de l’Homme de Dijon 6, esplanade Érasme, BP 26611, 21066 Dijon Cedex.
• Renseignements et inscriptions : virginie.brinker@u-bourgogne.fr.
• Enquête. –Dans le cadre d’une recherche sur les pratiques enseignantes concernant le génocide des Tutsi au Rwanda en France, les collègues du secondaire de Lettres, Histoire, Arts et Philosophie, qu’ils enseignent ou non cet objet, sont invités à faire parvenir leurs réponses à un questionnaire (à télécharger en cliquant sur ce lien) à virginie.brinker@u-bourgogne.fr ou à la contacter directement à cette adresse avant le 15 octobre. D’avance un grand merci !
• Voir également sur le site de « l’École des lettres » :
– « Englebert des collines », de Jean Hatzfeld, par Yves Stalloni.
– Aharon Appelfeld, « Adam et Thomas », traduit par Valérie Zenatti, illustré par Philippe Dumas, par Norbert Czarny.
– Entretien avec Aharon Appelfeld à propos de son premier livre pour la jeunesse, « Adam et Thomas », par Valérie Zenatti.
– « Le garçon qui voulait dormir », d’Aharon Appelfeld, par Norbert Czarny.
– « L’Élimination », de Rithy Panh, par Yves Stalloni.
– Jorge Semprun, une voix dans le siècle, par Yves Stalloni.
– « Le Dernier des injustes », de Claude Lanzmann, par Anne-Marie Baron.
– « Ida », de Pawel Pawlikowski, par Norbert Czarny.
– « Metamaus », de Art Spiegelman, par Norbert Czarny.
– et dans les Archives de « l’École des lettres », l’ensemble des études consacrées à Primo Levi et à la Shoah.
A propos du génocide, un film vient d’être projeté à la BnF dans le cadre du cycle « masculin-féminin » intitulé « A mots couverts » de Violaine Baraduc et Alexandre Westphal. C’est un documentaire extrêmement riche qui filme des femmes Hutus emprisonnées pour génocide, s’interrogeant sur les raisons qui les ont amenées à commettre de tels crimes. Sans pathos, un regard sensible et humaniste dans un film documentaire qui prend progressivement la forme d’un récit tragique. Une oeuvre importante.