Enseigner la littérature, c'est concret

Flaubert, plan de "L'Éducation sentimentale".
Flaubert, plan de « L’Éducation sentimentale »

Les visites conseil des professeurs stagiaires de lettres autant que la mise en œuvre du tutorat mixte – partenariat entre le professeur-tuteur dans son établissement et le professeur-tuteur de l’ÉSPÉ – donnent l’occasion de découvrir une réalité bien plus positive que celle martelée par les déclinistes.
En effet, les réussites pédagogiques avérées que nous constatons régulièrement ne relèvent pas du hasard. Les professeurs de lettres qui perpétuent la transmission des textes du patrimoine demeurent avant tout des pédagogues convaincus que la littérature reste enseignable.
Mais il y a corrélativement chez eux un certain pragmatisme dans la façon de présenter la littérature aux collégiens.
Ces mêmes observations font apparaître quelques traits constants que l’on pourrait résumer synthétiquement en une formule : enseigner la littérature, c’est concret.

Le droit à la pré-lecture
Les professeurs de français observés en situation de classe ou écoutés en entretien se caractérisent en premier lieu par leur acceptation de modalités de travail expérimentales ainsi que par leur capacité à repenser sans cesse leur manière d’entrer dans les textes ou de les accompagner. En ce sens, une idée intéressante consiste, en vue de l’étude en classe d’un texte « résistant », d’en proposer une pré-lecture.
Il s’agit tout simplement de raconter le contenu du texte qui va être lu ensuite. En clair, l’objectif est à la fois de capter l’attention des élèves en leur proposant un « sujet » précis et de présenter explicitement, par exemple, les grandes lignes d’une situation romanesque.
Dans une classe où le vocabulaire fait cruellement défaut, ce mode opératoire d’entrée dans le texte d’étude a l’avantage de permettre une saisie globale du sens. Pour l’anecdote,  un professeur-stagiaire en formation à qui cette idée était suggérée, s’est écrié : « Mais, Monsieur, on a le droit de faire comme ça ? » Cette récrimination implicite demeure en réalité très instructive car elle pose la question de la légitimité de telle ou telle initiative pédagogique.
Il n’empêche, les faits sont là, la pré-lecture permet l’entrée dans des textes dont l’approche immédiate pourrait être entravée. Et cette manière de les aborder ne constitue pas un déni du « littéraire » mais bien une invitation à poursuivre la lecture de tous les textes patrimoniaux qui, à terme, pourraient finir par n’exister que pour le seul professeur de lettres si leur transmission pédagogique se révélait impossible.
Le droit au dessin
Il a longtemps été difficile pour un professeur de lettres comme nous, qui en était resté sur le plan de l’expression picturale au dessin du « bonhomme têtard », de valoriser le registre graphique pendant les séances d’analyses de textes. Mais au fil des observations de classe est apparue l’idée que le dessin, croquis ou schéma pouvait rendre de précieux services explicatifs.
En effet, schématiquement, on rencontre deux catégories de lecteurs/élèves face à un texte : ceux qui, à l’écoute du professeur qui le lit, voient s’animer sur l’écran panoramique de leur cerveau des personnages et des actions, et ceux pour qui, à l’inverse, tout reste désespérément immobile et flou.
Assurer la compréhension explicite des textes littéraires revient par conséquent à donner à voir les textes autant qu’à les comprendre. Et c’est sans doute cette question, « Qu’est-ce que ce texte me donne à voir, me fait voir ? » qui justifie d’être le socle de l’explication de texte.

La fable et sa représentation

Cette évidence nous est apparue précisément au cours d’une séance consacrée à la célèbre fable de La Fontaine, « Le Lion et le Moucheron ». Le professeur, après une bonne dizaine de minutes de questions tournant autour de la situation d’énonciation, s’est rendu compte que les élèves qui comprenaient globalement la situation ne voyaient pas, pour autant, véritablement la scène.
Sans l’avoir prévu dans sa fiche de préparation de cours, il a alors demandé à un élève s’il serait capable de dessiner au tableau  le lion, le moucheron et concrètement ce qui se passe au cours de l’action. Le fait de fixer une représentation même imparfaite de la scène a permis à des élèves jusqu’alors loin de la démarche collective d’explication de prendre la parole et de questionner l’attitude de chacun des personnages.
Une situation de classe similaire a été observée dans le cas de l’étude du « Loup et l’agneau » qui achoppait nettement quand il s’est agi d’expliquer le sens de la réplique suivante :

 » – Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson. »
 

Ici encore, de façon « imprévue », le professeur-stagiaire de lettres a choisi de dessiner un cours d’eau en demandant ensuite à un élève de placer le loup, l’agneau et de préciser le sens du courant. Or, de façon quasi immédiate, la discussion sur les choix du camarade invité au tableau s’est engagée avec comme corollaire tout aussi rapide dans l’argumentation un retour au texte – « plus de vingt pas au-dessous d’elle ». Le professeur a ensuite demandé aux élèves  de réaliser une planche de bande dessinée figurant la trame narrative de cette fable pour en évaluer leur compréhension.

Inverser la logique lecture > écriture

La démarche prééminente dans l’étude des textes littéraires implique un déplacement du temps de lecture vers le temps d’écriture. Or, même si elle n’est pas contestable en elle-même, elle ne peut être exclusive. De fait, l’observation de classes permet de relever des situations d’apprentissage inversées où l’écriture au brouillon est première.
Cette façon de procéder nous a semblé par exemple très stimulante lors de l’entrée en matière d’une unité d’apprentissage en classe de sixième articulée autour du thème « Le monstre, aux limites de l’humain ». Le professeur a proposé aux élèves de répondre à l’interrogation simple et concrète suivante : « Si vous entendez le mot monstre, qu’est-ce que vous voyez ? », reformulée dans un second temps en : « Si je vous dis MONSTRE qu’est-ce que vous voyez ? »
Très vite, les élèves se sont mis au travail, certains réclamant aussi le droit de dessiner. Au départ, cette expérimentation d’une autre façon d’entrer dans l’objet d’étude avait tout lieu d’effrayer le professeur car il est impossible de prévoir le retentissement d’une proposition de production écrite. En outre, autre constat très éclairant du même professeur, ce genre d’activités ludique reste chronophage. Cependant, le choix pédagogique a bel et bien été assumé, de telle sorte qu’au bout de vingt minutes d’intenses cogitations les élèves avaient rempli leur boîte à idées d’une somme considérable de représentations non seulement de monstres mais du monstrueux.
Il va de soi qu’ainsi impliqués par l’écriture les élèves ont été en situation de recevoir les textes sur ce thème de façon active et que les activités de lecture proposée au fil des séances en ont été enrichies.

Permettre une approche concrète des textes littéraires

Ces quelques exemples pourraient apparaître comme de simples anecdotes pédagogiques. Ils permettent pourtant d’apprécier combien une approche concrète des textes littéraires est susceptible d’amener les élèves vers le sens. D’un point de vue pratique, la séance d’approche d’un texte sous cette forme peut déborder de l’heure de cours et il faut tenir compte de cette donnée, mais son efficacité est avérée.
Dans des périodes qui se prêtent à la polémique, on évoque parfois une « défaite de l’enseignement de la littérature au collège ». Si tel était le cas, ce ne serait certainement pas dû au recours à de telles approches « transgressives » mais, bien plutôt à la difficulté d’aborder les textes du patrimoine faute d’invention pédagogique.

Antony Soron, ÉSPÉ Paris

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Antony Soron
Antony Soron

Un commentaire

  1. Je suis enthousiasmée par votre article: en effet, en tant qu’enseignante engagée depuis des années dans le processus de compréhension des élèves face aux textes que nous leur proposions, je dessinais systématiquement les scènes indiquées dans le texte (avec craies de couleurs !!) au tableau, … Il m’est arrivé aussi de préparer le dessin à l’avance ( en me surpassant !! ) pour allier la magie de la surprise,face à l’image dictée par les mots: d’où la définition de l’image mentale indispensable à toute compréhension d’un message… Et finalement la première partie du commentaire composé trouvait ainsi de quoi s’alimenter à travers la vision même du dessin. Cette façon d’aborder les textes a toujours été un succès entre mes élèves et moi… Il y avait complicité, indulgence envers les représentations graphiques et des millers de réflexions sur l’écrit, l’image et le sens…

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