Enseigner en psychiatrie infanto-juvénile
Par Delphine Thiriet
Il y a le français, la matière, les compétences, les savoirs et savoir-faire, et puis il y a le travail humain, l’intérêt porté aux élèves. En hôpital psychiatrique ou dans des centres pour adolescents, il faut adopter une posture strictement d’enseignant. Témoignage d’une professeure de lettres, qui enseigne ici toutes les matières.
Par Delphine Thiriet
Cela fait plus d’un an désormais que j’occupe un poste particulier. Je travaille dans un hôpital, en PIJ : psychiatrie infanto-juvénile. Le matin, j’interviens dans une petite structure fermée. Il y a six lits, les enfants et adolescents sont hospitalisés. L’après-midi, je suis dans un Cisa, un centre inter-secteurs pour adolescents. Là, les enfants ne sont pas hospitalisés, mais les cours sont « prescrits » dans le cadre d’un suivi psychologique.
Élèves et patients
La particularité de ce poste tient au fait que les enfants sont avant tout patients avant d’être élèves, mais lorsque je m’occupe d’eux, je ne vois que des élèves, pas des patients, et je suis justement là pour ça. Je n’ai surtout pas à les soigner. Je ne sais rien de leur dossier médical, je ne sais rien de leur vie, je ne sais rien sur eux. Par ailleurs, je suis tenue par le secret médical. Je ne parle jamais des enfants avec qui je travaille en dehors de la structure.
De ce fait, enseigner dans des structures liées à la psychiatrie, c’est adopter une posture strictement d’enseignant. Or, être prof, c’est souvent faire bien plus qu’instruire. Pendant les cours en établissement, on repère les élèves fatigués, tristes, en colère, et ceux qui restent après la classe, ou ceux qui sont systématiquement en retard, ceux qui vont souvent à l’infirmerie… Nous avons un devoir de signalement. Nous les écoutons, nous sommes là, avec eux toute la journée, ils passent des heures au collège, nous essayerons de les faire parler si nous soupçonnons quelque chose. Nous faisons de la discipline aussi, nous apprenons le vivre ensemble, le respecter, l’écouter. C’est tout ça, être prof de français. Il y a le français, la matière, les compétences, les savoirs et savoir-faire, et puis il y a le prof, le travail humain, l’intérêt porté aux élèves.
Le travail est très différent en HP. Les élèves sont d’âges divers (enfants parfois très petits, ados jusqu’à dix-sept ans), de profils divers (lycée général, lycée technologique, apprentissage, EREA…), de milieux divers (aisance sociale ou milieu défavorisé) et ils ont des besoins différents. Je suis le lien avec l’école, tout en n’ayant pas de contact avec la leur. S’il faut la contacter pour récupérer des cours, pour avoir des informations, c’est l’infirmière ou l’infirmier scolaire qui sera notre interlocutrice ou interlocuteur.
Je suis la prof. Je suis là le matin. Tout le monde m’appelle par mon prénom, et les enfants me vouvoient ou me tutoient, à leur convenance.
Le lieu, les habitudes
La section PIJ se trouve dans un grand hôpital, mais elle est un peu à part. Elle est aussi un peu à l’écart de la ville, sur les hauteurs. Tout est fermé, et c’est un réflexe à prendre dès le début : il faut fermer toutes les portes à clef derrière soi. J’ai aussi la clef de l’armoire à jeux et le code pour ouvrir la session sur les ordinateurs. Les enfants n’ont parfois, souvent, rien avec eux, ni cahiers, ni feuilles, ni stylos. Je les leur donne quand ils en ont besoin. Je fais très attention à ma trousse, à ne pas y laisser d’agrafeuse, de ciseaux, et à vrai dire beaucoup d’éléments peuvent paraître potentiellement dangereux. Mais ce n’est pas du tout pesant, c’est juste une habitude à prendre, et c’est du bon sens.
La salle dans laquelle nous travaillons est constamment sous surveillance vidéo. Les écrans se trouvent dans le bureau des infirmiers. Je peux faire appel à eux si je me retrouve en difficulté. Il faut faire très attention quand un enfant est en protocole, vérifier que je récupère bien les crayons par exemple, ne pas se positionner dans la pièce en lui tournant le dos, le surveiller en somme. Encore une fois, ce n’est pas pesant, cela ne me stresse pas, mais je fais bien attention à tout, avec de la rigueur. Par ailleurs, je n’ai jamais peur des enfants, jamais. Je ne suis jamais mal à l’aise avec eux. Jamais. Ce sont des enfants, des adolescents, et je suis là pour les faire travailler, pour les dynamiser intellectuellement.
La prise de contact
La première fois que je vois un élève, je fais connaissance. Je commence par me présenter. Je suis là pour les aider à faire leurs devoirs, on peut aussi travailler un point qu’ils n’ont pas compris, monter de petits projets, jouer également. D’eux, je veux juste savoir leur prénom, leur âge, leur classe. Ensuite, je les questionne sur leurs goûts. S’y connaître en mangas est utile : ce peut être une porte d’entrée pour établir un contact. S’y connaître en musique, de tout type, en films, de tout genre. Je n’ai aucun a priori. J’aime bien avoir de nouveaux élèves, ils sont tous différents. Certains ont un abord facile, d’autres non. Je ne me demande jamais pourquoi ils sont là, je n’imagine rien, je ne sais rien, et c’est bien mieux.
Les séances de cours en HP
Aucun sens à commencer la journée par « ça va ? »… Nous allons sur Leia, sur Pronote. Nous essayons de garder un lien avec le collège, le lycée. Parfois, les enfants ont des devoirs et veulent les faire, nous les faisons. Souvent, ils ne sont pas dans cette problématique-là. Ou ils n’ont pas leurs codes Pronote. Ou ils n’ont pas avec eux leurs affaires scolaires.
Moi, j’ai des porte-vues remplis d’exercices divers que je me suis constitués petit à petit. Il y a les classiques en maths : les fractions, le calcul littéral, la proportionnalité, les théorèmes de Pythagore et de Thalès. Il y a parfois des extras : les probabilités en terminale. En sciences physiques, j’ai travaillé des cours d’optique pour un élève de seconde, en SVT ceux sur la génétique. Je fais beaucoup d’anglais, de l’histoire, de l’allemand. Et finalement, pas tant de français que ça.
Quand je demande aux élèves ce qu’ils n’aiment pas, c’est souvent les maths. Alors je leur propose d’en faire, justement. Ensemble. J’ai aidé à faire des CV, j’ai entraîné aux entretiens d’embauche. Quand j’ai des petits, je fais apprendre des poésies, je fais retenir les tables de multiplication, je fais des dictées de mots. Pour un très petit, il m’est arrivé d’inventer et de dessiner des exercices avec ce qui l’intéressait, des ballons en l’occurrence : des tracés, des reconnaissances de chiffres, des classements par grandeur. J’ai appris à avoir des ressources un peu en tout.
J’ai fabriqué une horloge en carton pour faire apprendre l’heure. J’ai pris sur une plage des photos de pirates Playmobil pour réaliser un roman-photo. J’ai créé des cartes avec les tables de multiplication. Je m’adapte à chaque enfant, je cherche, je découvre. Je connais maintenant les sites où trouver des sudokus, où réviser les tables de manière ludique, où faire des compréhensions orales d’anglais. Je fais appel à des amis, d’anciens collègues qui enseignent d’autres matières, pour avoir des liens, des références. Je fouille dans mes classeurs, mes manuels, mes ressources, mes magazines, mes livres, mes jeux…
Un petit quelque chose chaque jour
J’apporte souvent des livres. Je prête aux élèves des romans, des bandes dessinées, des mangas, des magazines en anglais… Et j’apporte des livres que j’ai achetés au Japon, des livres photos de mes voyages quand ils sont intéressés par un pays. On traduit des chansons qu’ils aiment bien, ils travaillent sans s’en rendre compte. Mais il n’y a pas de règle. Il faut trouver ce qui accroche. Il faut motiver, rebondir, souvent improviser… J’ai lu à voix haute tout Le Mariage de Figaro, en jouant tous les rôles, et en l’expliquant, pour une élève qui ne voulait plus rien faire, qui avait commencé à le lire et n’y comprenait rien d’après elle. Chaque jour et chaque enfant sont des surprises, je dirais de bonnes surprises.
On passe souvent par le jeu : un jeu sur les capitales et les drapeaux, le Timeline, le Scrabble, le Rummikub, les indétrônables Uno et Skip-Bo…
Je n’ai pas de problème à m’adapter à chaque niveau, à chaque matière, à chaque enfant. J’ai fait des remplacements dans un lycée français à l’étranger, et je passais de la sixième à la terminale, d’une heure à l’autre. C’était, certes, dans ma matière, mais ça m’a déjà appris à être flexible.
Je dis aux enfants que le principal est de faire un petit quelque chose chaque jour. Mais les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Parfois, nous travaillons deux heures sans interruption, et le lendemain l’enfant ne veut pas s’y mettre. Parfois, je m’occupe de plusieurs enfants à la fois, parfois je me focalise sur un seul. Le maître-mot est adaptation, mais aussi patience, douceur, bonne humeur. Et rester dans son rôle de prof.
Les cours au Cisa
C’est très différent de l’HP car il s’agit là de cours particuliers, je ne m’occupe donc que d’un élève à la fois, et le cours dure une heure. Les enfants viennent pour travailler. Il peut arriver qu’ils n’aillent plus à l’école et qu’ils suivent leur scolarité avec le Cned. Sinon, ils ont des aménagements d’emploi du temps afin de pouvoir venir. Je sais plus ou moins ce que l’on va faire, cela dépend. Ou on se focalise sur une matière, ou ils viennent et je les aide à faire leurs devoirs. L’heure passe toujours très vite. Il s’agit d’aider, d’apporter de la méthodologie, des réflexes, et aussi et surtout de redonner confiance. Pas de notes, pas de jugement, pas de contraintes, un accompagnement.
Les retours
Il faut parfois tester des enfants. Il s’agit alors de remplir l’échelle de Conners qui évalue l’hyperactivité. Un peu comme pour le cahier de textes, je remplis des dossiers informatiques : ce qui a été fait, comment ça s’est passé. Je fais des retours aux infirmiers, aux référents, quand c’est utile, quand il y a quelque chose de particulier, quand j’ai repéré quelque chose d’important, comme un bilan de vue à effectuer par exemple. Je vais voir l’infirmière cadre et le psychiatre quand je suis en difficulté, quand je veux en parler.
Des aurevoirs qui n’appellent pas à se revoir
La durée des hospitalisations est variable selon chaque enfant. Certains restent plus longtemps que d’autres. Et je suis contente quand ils partent, cela veut dire qu’ils vont bien. Nous mettons en avant leurs qualités, nous leur souhaitons de bonnes choses. Très souvent, je leur dis : « Je ne veux plus jamais te revoir. Mais tu comprends ce que ça veut dire ? » Et ils le comprennent très bien.
Mais, parfois, des enfants reviennent au bout d’un certain temps, et je les découvre en arrivant le matin. Je ressens alors quelque chose de paradoxal : je suis contente de les revoir, mais je suis triste de les revoir…
L’apport psy
Même si la posture est strictement celle d’un enseignant, avoir quelques notions de psychologie ou de psychiatrie est bénéfique. Je pense qu’on ne prend pas un tel poste si l’on ne s’intéresse pas à la psychiatrie. En tant que prof, j’ai eu une élève très fragile, dont je me suis beaucoup occupée, et qui a fini par être hospitalisée. Durant l’année, j’ai suivi quelques cours de DU sur les TCC (thérapies Comportementales et cognitives) : extrêmement enrichissant. J’ai trouvé un Mooc sur « la psychologie pour les enseignants », et il y en a d’autres encore sur la psychologie. Tout m’intéresse.
Je ne sais pas ce qu’ont les enfants et je ne parlerai pas d’eux. Ce que je peux dire en revanche ici, c’est qu’il est parfois, souvent, difficile, douloureux, d’être enfant, d’être adolescent, et l’école ne doit pas l’oublier.
C’est un poste particulier. J’ai enseigné en collège, en lycée, en BTS. J’ai enseigné en France, à l’étranger en lycée français international, en lycée anglo-saxon avec l’International Baccalaureate. Désormais, j’enseigne en HP. C’est un petit challenge chaque jour. Comme pour tout prof !
D. T.
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