"Les Enfants du silence", de Mark Médoff
Il faut croire que le sujet est porteur d’un message éternel : depuis sa création en 1980, la pièce de Mark Médoff n’a cessé d’être reprise à la scène et au cinéma. Pour le seul domaine français, après le succès d’Emmanuelle Laborit en 1993, ce sont les comédiens du Français qui en 2015 au Vieux-Colombier et, en ce début 2017 au Théâtre Antoine, dans une mise en scène d’Anne-Marie Étienne, ont donné vie à ces personnages en lutte pour la reconnaissance d’une langue.
Tel est le combat de l’héroïne, Sarah : sa langue, la seule qu’elle veut parler, la langue des signes est en effet non pas une langue inférieure, une langue d’infirmes ou d’handicapés mais une langue à part entière, égale aux langues parlées, aussi belle et nuancée que la littérature, cette littérature que Jacques l’orthophoniste s’efforce au début de la pièce de faire éclore sur les lèvres de ses élèves sourds ou malentendants.
La tyrannie de la langue parlée
La pièce est bien une histoire d’amour entre un homme et une femme que deux mondes séparent, c’est aussi une histoire de reconnaissance, de cohabitation entre une langue dominante inconsciente de sa tyrannie, la langue parlée, et une langue opprimée, tolérée, réclamant l’égalité, la langue des signes.
Difficile de ne pas sourire ou souffrir lorsqu’on entend des sourds, Lydia ou Denis – merveilleusement interprétés par Anna Cervinka et Elliot Jenicot –, s’efforcer de parler comme des entendants, mais difficile aussi de ne pas être admiratif de la beauté que suggère la langue des signes, lorsqu’elle est portée par l’éloquence silencieuse de Sarah. Pourquoi dès lors forcer les uns à s’approprier une langue extérieure quand ils possèdent déjà une langue intérieure qui ne demande qu’à être connue ?
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Histoire d’une reconnaissance
Histoire dans l’histoire, les rapports de Sarah et de sa mère évoquent ces retrouvailles et cette reconnaissance : une séparation au début de l’adolescence, un défaut de communication, de la honte et de la gêne, et puis avec le temps, avec ce mariage de Jacques et Sarah, une mère qui apprend à aimer sa fille telle qu’elle est, qui la redécouvre et se découvre aussi capable de parler sa langue.
Le propos n’est pas cependant didactique, ni vraiment militant. L’humour et la légèreté unifient une action distribuée sur plus de dix scènes et presque autant de lieux : Jacques, le vif et ardent Alain Lenglet, assure les traductions et assène ses positions avec drôlerie et désinvolture tandis que s’opposent l’intense Sarah, Catherine Salviat plus crédible que jamais, et la légère Lydia, Anna Cervinka, vrai personnage comique apportant sa fraicheur dans ce monde de tensions.
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Un hommage à la langue et au « vivre ensemble »
Des langues opprimées, perçues comme inférieures, comme provisoires, comme disqualifiantes, il y en a bien d’autres que cette langue des signes. Mais celle-ci prend une valeur exemplaire. Parce qu’elle échappe aux rapports de force sociaux, elle peut justement rapporter toute cette violence de la société envers ceux qui ont des difficultés à se conformer aux normes, linguistique, idéologique ou autres.
La Comédie-Française, temple de la parole, s’honore à faire la démonstration du talent de tous ses sociétaires dans une pièce qui rend hommage à la langue, à la communication par la langue, à l’émotion par la langue, qu’il s’agisse de signes acoustiques ou visuels.
Pascal Caglar
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