Reprise en main, de Gilles Perret :
debout Messieurs !

Le documentariste de La Sociale et Debout les femmes ! passe à la fiction pour brosser la fable joyeuse de la revanche des petits sur les puissants : des ouvriers de la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, rachètent leur usine à des fonds vautours en apprenant à manier les armes de la haute finance. Une comédie politique hexagonale revigorante.

Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef de L’École des lettres

Le documentariste de La Sociale et Debout les femmes ! passe à la fiction pour brosser la fable joyeuse de la revanche des petits sur les puissants : des ouvriers de la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, rachètent leur usine à des fonds vautours en apprenant à manier les armes de la haute finance. Une comédie politique hexagonale revigorante.

Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef de L’École des lettres

Il y a, dans le titre du dernier film de Gilles Perret, comme plusieurs expressions qui se font écho : « prendre en main », comme « prendre en charge » ; « reprendre en main » comme « reprendre le pouvoir » ; « prendre la main » comme « prendre le dessus » ; et « avoir la main » comme « avoir la chance de son côté ». Soit un mélange de charge, de responsabilité, d’effort et d’opportunité qui vont assez bien au personnage de Cédric (Pierre Deladonchamps). Ce fou d’escalade va devoir appliquer sa stratégie d’équilibre sur des parois verticales à son ascension au sein de la petite usine de décolletage où il est mécanicien. La métaphore de la varappe sert à la fois de ligne et d’espace dans ce film où la nouvelle falaise à conquérir est celle de la dignité ouvrière en pleine crise post-capitaliste.

Il y a donc les ouvriers d’une petite usine de Haute-Savoie ; un patron d’autant plus farce qu’il est joué par Samuel Churin, comédien dans la vraie vie, mais également porte-parole de la Coordination des intermittents et précaires, et grand pourfendeur du lien de subordination ; et les vrais méchants : les financiers suisses de fonds vautour aussi obscurs que l’outil du sauvetage : le LBO, « leverage buy-out ». Cet « effet levier », qui consiste à racheter des entreprises par endettement, Cédric et ses amis, l’employé de banque Alain (Grégory Montel) et l’ingénieur Denis (Vincent Deniard) apprennent à en saisir les grandes lignes, comme on s’entraîne à viser avec l’arme dérobée à l’ennemi.

Ils sont aidés dans cette entreprise par une ancienne camarade de lycée, Julie (Laetitia Dosch) partie s’élever dans la capitale, mais revenue par amour du pays. C’est cet attachement à la vallée et à ses grands-parents qui la fait passer du camp de la direction de l’usine à celui des salariés. Grâce à son appui providentiel, et à celui d’un autre transfuge sauvé en montagne, les nouveaux héros passent un peu miraculeusement de l’ignorance des techniques financières à une maîtrise suffisante pour s’inventer négociateurs.

Cette escalade-là constitue le terreau jubilatoire de cette comédie politique. La bataille ne se joue plus sur le terrain syndical mais dans des bureaux de banques : à l’heure du pair-à-pair, exit les intermédiaires, le patron chute comme un Guignol, les ouvriers sont directement face aux financeurs et leur tiennent tête. En s’octroyant une formation expresse à la haute finance, ils la rendent accessible au citoyen un peu déterminé. Ce qui ouvre dans l’inconscient collectif des perspectives de désaliénation et d’avenir : tout est possible, peut-être même croire encore en l’industrie française avec des patrons en chair et en os, et du cru. Il suffit de s’y mettre et de se serrer les coudes. C’est la fable joyeuse de la revanche des petits sur les puissants, où les petits ne sont pas si nuls et les puissants pas si forts, où la montagne purifie et la finance pourrit.

Les Lip, l’imagination au pouvoir, documentaire de Christian Rouaud (2017), Entre nos mains, de Mariana Otero (2010), Demain l’usine, de Clara Teper sur les Fralib (2016) ou encore L’Usine de rien, de Pedro Pinho (2017), la reprise en main d’une usine par ses ouvriers est quasi devenue un sous-genre au cinéma. En passant par la fiction, le réalisateur de La Sociale (2016), L’Insoumis (2018) ou Debout les femmes (2021, avec François Ruffin) tire résolument vers l’aventure sociale agrémentée d’un humour, d’une légèreté et d’une dramaturgie psychologique que le documentaire ne permet pas. Cédric n’est pas un leader mais un héros construit collectivement : par ses amis d’enfance qui viennent professionnellement appuyer son plan de sauvetage, par ses collègues qui l’entraînent à incarner un faux-vrai-patron, par sa femme qui croit en lui…

Lui-même ancien ouvrier de cette vallée, Gilles Perret balance avec bienveillance et humanité entre l’authentique et la farce, la sincérité et la duperie, la montagne et la mécanique, la vallée de l’Arve et la finance. Sauf le personnage de Julie, les femmes ne jouent pas un rôle déterminant dans ce groupe assez masculin et où l’on sent poindre chez les messieurs le besoin de montrer – à leurs compagnes, leurs amis, leurs pères et pairs – qu’ils peuvent assurer.

I.M.

Reprise en main, film français (1h47) de Gilles Perret, avec Pierre Deladonchamps, Laetitia Dosch, Grégory Montel, Vincent Deniard, Finnegan Oldfield, Marie Denarnaud. En salle ce mercredi 19 octobre.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.