Émile Zola, «Nouvelles roses» et «Nouvelles noires», édition d’Henri Mitterand
Ce n’est pas par ses nouvelles que Zola a conquis la notoriété : du recueil collectif Les Soirées de Médan, paru sous son patronage en 1880, la postérité a retenu le chef-d’œuvre du jeune Maupassant, « Boule de suif », consacré depuis comme le maître du genre, et oublié « L’Attaque du moulin ».
Henri Mitterand, qui a tant fait par ses éditions et ses analyses pour mettre en lumière les divers aspects de son œuvre, s’emploie aujourd’hui à combler cette injustice en publiant dix-huit nouvelles du maître du naturalisme.
Zola les a écrites, pour l’essentiel, de 1875 à 1880, pour les lecteurs d’une revue de Saint-Pétersbourg friands de « reportages d’actualité » sur Paris ; il les a ensuite publiées en France et réunies dans deux recueils composés, nous dit l’éditeur, sans « aucune logique définie » : « Le désordre thématique [y] fait pendant au désordre chrono-génétique. »
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Tons « noirs et tons « roses
Henri Mitterand s’est donc autorisé à faire un choix auquel Zola n’avait jamais songé : il a adopté un classement qui distingue « les tons “noirs” et les tons “roses” ». D’où les titres qu’il a donnés à ces deux volumes, clin d’œil à Anouilh et au lecteur lettré.
Ce dernier pourra tirer profit des deux introductions (à lire de préférence du “noir” au “rose”) et des notices savantes qui fournissent un éclairage rétrospectif sur chaque nouvelle grâce à des informations sur les circonstances de composition, des résumés analytiques – un peu longs –, des commentaires, des rapprochements avec Les Rougon-Macquart.
« La gamme des “nouvelles noires” offre le miroir brouillé des incertitudes, des obsessions, voire des fantasmes et des cauchemars de Zola au temps de Nana et du Roman expérimental » ; certaines, comme « Les trois guerres » et « La mort d’Olivier Bécaille », sont d’ailleurs d’inspiration autobiographique. Mais le commentateur insiste aussi sur l’invention formelle dont témoignent ces nouvelles où « Zola teste plus librement, et sur des dimensions plus faciles à ajuster que dans la facture du roman, les variantes de la conduite du récit : notamment dans le traitement du temps et de l’espace ».
Des nouvelles qui ne manquent ni de vie,
ni d’humour, ni d’invention
La prédisposition de l’auteur à la cyclothymie lui a fait composer ses « nouvelles roses » parallèlement aux « nouvelles noires », comme pour « corriger ou neutraliser une tendance récurrente aux humeurs sombres ».
Beaucoup évoquent les mœurs des « honnêtes gens », déjà mis à mal, quelques années plus tôt, dans Le Ventre de Paris : sont ainsi moquées, par exemple, l’insouciance des privilégiés (« La semaine d’une Parisienne ») ou leur morgue (« Nantas »), la médiocrité des hommes politiques (« Madame Neigeon »), la bêtise satisfaite du bourgeois (« Les coquillages de M. Chabre »).
Une note plus personnelle, nostalgique, se fait entendre quand Zola évoque – souvenirs heureux de sa jeunesse – ses excursions dans les bois et sur les bords de la Seine, aux environs de Paris.
Les nouvelles de Zola n’ont pas le resserrement de celles de Maupassant mais elles ne manquent ni de vie, ni d’humour, ni d’invention. Il faut remercier Henri Mitterand de nous les remettre sous les yeux.
Jacques Vassevière
• Émile Zola, « Nouvelles noires », « Les Classiques de Poche », Le Livre de Poche, n° 32619, janvier 2013. Le volume contient « Naïs Micoulin », « Pour une nuit d’amour », « Madame Sourdis », « Les trois guerres », « L’attaque du moulin », « Jacques Damour », « Le capitaine Burle », « La mort d’Olivier Bécaille », « L’inondation ».
• Émile Zola, « Nouvelles roses », « Les Classiques de Poche », Le Livre de Poche, n° 32618, mai 2013. Le volume contient « La semaine d’une Parisienne », « Madame Neigeon », « Nantas », « Les Parisiens en villégiature », « Aux champs », « Les coquillages de M. Chabre », « Théâtre de campagne », « La fête à Coqueville », « Angeline ou la maison hantée ».
• Zola dans les Archives de l’École des lettres.
• Zola dans la collection Classiques abrégés :
Au Bonheur des Dames,
Germinal,
La Bête humaine,
Thérèse Raquin.