Élections européennes anticipées
au lycée :
« Votez comme vous êtes ! »
Les 28 et 30 mai derniers, une simulation des élections européennes a été organisée au lycée Auguste-Renoir d’Asnières (Hauts-de-Seine). Si, dans l’imaginaire collectif, les jeunes de banlieue ne sont pas politisés, ce scrutin montre qu’ils sont en demande d’opportunités pour apprendre à participer à la vie civique. Témoignages recueillis par leurs enseignants Frédéric Ledru et Marguerite Graff.
Émilie, seconde
« J’ai pas encore 18 ans et j’ai voté ! Soyez pas jaloux ! Je suis Émilie, je suis en seconde et je fais partie des organisateurs des élections européennes dans mon lycée. Je connaissais déjà le fonctionnement des élections officielles car mes parents m’emmenaient voter avec eux. J’ai donc été étonnée que beaucoup d’élèves, y compris parmi les plus grands, ne sachent pas comment procéder. Parce que je tenais le bureau de vote installé dans le foyer du lycée, des élèves m’ont prise pour une stagiaire majeure ! Certains mettaient plusieurs bulletins dans l’enveloppe et d’autres n’en prenaient pas du tout, glissant directement leur bulletin dans l’urne. J’ai compris que voter nécessitait un apprentissage. »
Léa, terminale
« ‘‘Venez comme vous êtes !’’», dit la publicité. Eh bien moi, dans les couloirs et dans les classes, en faisant la promotion des élections, je hurlais à tue-tête : ‘‘Votez comme vous êtes !’’. Je suis Léa, et je fais partie des quatre classes de terminale ayant participé à l’organisation des élections. J’ai tenu le bureau de vote douze heures sur les deux jours, et j’ai vu de tout : entre les élèves qui débattent devant les affiches des programmes, ceux qui hésitent dans l’isoloir, ceux qui votent en une minute top chrono, ceux qui ne savent pas comment faire, ceux heureux de sécher une heure de cours pour l’occasion… Mais malgré les quelques élèves venus amuser la galerie, tout le monde, des élèves aux professeurs, s’est prêté au jeu et a voté avec sérieux. Je suis fière que les jeunes du lycée Renoir soient politisés. »
Manon, seconde
« On a géré ! Vous, les profs, vous nous avez donné tellement d’autonomie pour organiser cette élection. Vous avez dit dès le départ, cinq semaines avant les élections : ‘‘Qui veut faire ceci, qui veut faire cela ?’’. Et nous, on s’est dit ‘‘On va le faire’’. Je suis Manon, je termine mon année de seconde, et ce que j’ai aimé c’est cette liberté d’organisation. Si deux professeurs et une CPE étaient présents, leur rôle était avant tout d’accompagner les élèves, plutôt que de les diriger. Affiches pour présenter les huit candidats principaux et trois de leurs idées phares, flyers, sondage sur la vision des jeunes sur l’UE, ‘‘micro-cour’’, tenue du bureau de vote… La confiance s’est montrée gagnante car nous n’avons eu qu’un seul vote d’écart entre le nombre de signatures et le nombre de bulletins dans l’urne : 545. On avait l’explication de l’écart : on avait repéré un élève venu voter le mardi, puis le jeudi, persuadé que c’était un scrutin avec deux tours différents. Mon message : ‘‘Laissez faire les élèves et ils feront !’’ »
Aminaélie, terminale
« À partir de mars, la plupart des classes ont abordé en EMC l’histoire des idées politiques et essayé de décrypter le fonctionnement de l’UE. C’était déjà ça, mais c’est la théorie. En fait, réfléchir à comment intéresser vraiment les élèves a été fun. Je suis Aminaélie, en terminale, et j’ai contribué à créer les trois visuels qui ont incité les élèves à aller voter. J’ai bien rigolé. Pour un des trois, on a utilisé un code que seuls les jeunes connaissent “On va renta ce vote Fraise Framboise Votez !’’ Cherchez pas vous n’avez pas la réf ! Utiliser aussi la célébration de Jude Bellingham, le joueur de foot aussi populaire auprès des filles que des garçons, c’était dire “I made it ! Regardez ce que j’ai fait : j’ai voté !’’. À une petite quinzaine de personnes, on a réussi à en faire voter 545, et à faire de la politique quelque chose de joyeux. C’était beau à voir ! »
Farès, seconde
« Voter, c’est comme être enfin inclus dans la société. Ça valait le coup d’aller chercher tous les élèves du lycée ; après, ils ont eu envie de s’intéresser. Il y avait une élève qui clamait : ‘‘Moi je ne voterai jamais’’, et, finalement, elle y est allée. Dans une autre classe, la moitié n’a pas voulu participer. On est la prochaine génération de citoyens, quand même ! Quand j’étais petit, j’avais vraiment envie de faire de la politique, et j’ai toujours gardé ce goût. Chez moi, on en parle en famille. Je suis Farès et je suis en première. Dans mon cercle de copains, on a plein d’avis politiques différents et on a eu envie d’en parler ensemble. Au lycée, ceux qu’on entend le moins sont ceux qui votent pour l’extrême droite. Et toi tu votes pour quoi ? »
Agathe, seconde
« Beaucoup de jeunes pensent que voter, c’est trop abstrait. On nous répète ‘‘Il faut aller voter’’, mais personne ne nous explique comment. Parfois, on pense : je suis encore jeune, je voterai plus tard, quand j’aurai 40 ans, j’y comprendrai quelque chose. Franchement, la politique n’est pas très accessible. Si on s’arrête aux cours d’EMC de base, ça ne suffit pas. Et les réseaux sociaux, ça retourne la tête. Jordan Bardella, par exemple, poste des vidéos sur TikTok et sur Insta, en mélangeant des messages politiques avec des post personnels, et ça suffit pour que certains le trouvent cool. Je suis Agathe, je suis en seconde, et j’ai fait des recherches. En EMC, on avait étudié le lien entre les groupes politiques européens et les partis politiques français. J’ai approfondi. On ne l’aurait pas fait à notre âge sans ce projet. On a collé les affiches dans la cour du lycée, certaines ont été systématiquement arrachées, surtout celles d’extrême droite. C’est bien que la vie politique soit vivante, mais toutes ces affiches, c’était notre boulot quand même ! »
Stacy, terminale
« Voter c’est une action citoyenne, OK. Mais je suis Stacy, je suis en terminale STMG, et j’avais aussi envie qu’on fasse quelque chose de concret au lycée. Pour aider les autres, faire une bonne action citoyenne. Le jeudi des élections, ma classe TSTMG1 (terminale science et technologies du management-gestion) a vendu des gâteaux au profit d’une association qui organise des maraudes à Gennevilliers. On a été surpris et heureux de voir que tout est parti très rapidement, en une seule récré. Beaucoup de gens ont acheté une part de gâteau et nous ont dit “Gardez la monnaie, c’est pour une bonne cause !’’»
Suzanne, terminale
« Je suis Suzanne, j’ai 17 ans, je suis en terminale et j’ai appris à mieux connaître Agathe, Aminaélie, Émilie, Farès, Léa ou Manon. Seconde, première ou terminale, qu’importe : ça faisait plaisir que les plus jeunes osent prendre leur place. Avec une bonne partie de l’équipe, j’ai aussi participé à la simulation du Parlement européen organisée par la mairie d’Asnières pour les jeunes de la ville ou scolarisés dans un lycée asnièrois. J’ai aimé que les deux événements soient concomitants et qu’on parle aussi plus de l’Europe à la même période en cours d’EMC. La simulation du Parlement était un jeu de rôle à partir d’une proposition de loi sur l’organisation d’une défense commune européenne. Tous les participants ont défendu leurs amendements avec énergie, bien ancrés dans leur rôle d’eurodéputé. Plusieurs d’entre nous (70 %) avions décidé d’intégrer un groupe politique à l’opposé de nos convictions politiques. Se mettre dans un rôle nous obligeait à chercher plus d’arguments, à nous instruire encore plus. Ça m’angoissait de prendre la parole devant tout le monde, mais le jeu a vite fait tomber les barrières de la gêne. Hugo Huet, l’organisateur pour la mairie, nous l’a rappelé à la pause : ‘‘Tout le monde a quelque chose d’intéressant à dire.” C’était super réussi car tout le monde était volontaire. Certains étaient plus investis, et ils nous tiraient vers le haut. C’était vraiment bien d’être mélangés. »
Et Léa de conclure : « En vérité, tous nous n’avions qu’un mot à la bouche, nous amuser ; et surtout comprendre vraiment le fonctionnement du Parlement européen et de l’UE qui nous était si étrangère. Loin de nous les discours sur notre non-politisation. Donnez-nous l’opportunité de nous exprimer, et de faire “comme les grands”. Effectivement, stupéfaction : nous, les élèves du lycée Renoir, avons représenté une majorité de participants, le samedi 1er juin, lors de la grande séance plénière. Nous avons des choses à dire et à défendre, faites-nous confiance et laissez-nous donc parler ! »
Farès, Agathe, Emilie, Léa, Manon, Aminaélie, Stacy, Suzanne, élèves du lycée Auguste-Renoir à Asnières (92).