« Edge Of Tomorrow », de Doug Liman – la Première et la Seconde Guerre mondiales rejouées à l'infini

"Edge Of Tomorrow", de Doug LimanLe film Edge Of Tomorrow est adapté d’un roman d’Hiroshi Sakurazaka, All You Need is Kill, inspiré de l’univers du jeu vidéo.
Cette light novel (roman japonais destiné à un public de jeunes adultes, lycéens et étudiants) a été publiée au Japon par l’éditeur Shūeisha fin 2004 avec des illustrations de Yoshitoshi ABe.
La version française a été éditée en mai 2014 par Kazé sous le titre Edge Of Tomorrow.
L’adaptation en manga, commencée le 9 janvier 2014 dans le magazine Weekly Young Jump de Shūeisha, est écrite par Ryōsuke Takeuchi et dessinée par Takeshi Obata. Deux volumes sont sortis simultanément au Japon en juin 2014.

 

Une adaptation du roman

Le film qui adapte ce roman est l’histoire d’un héros capable de revivre la même journée chaque fois qu’il meurt. Dans un futur proche, le monde tente de survivre à une invasion extraterrestre. Après une première victoire à Verdun, l’humanité se prépare à livrer le combat de la dernière chance sur les côtes de Normandie contre les mimics, une espèce bien particulière d’extra-terrestres qui tentent d’envahir le monde à la manière de l’Allemagne du IIIe Reich en colonisant l’Europe avant d’attaquer le Royaume-Uni, la Russie, puis le monde entier.
Le commandant William Cage a réussi à échapper à la guerre grâce à ses fonctions d’officier de communication. Malgré lui, il va être envoyé au front par le sergent-chef Farell, qui le prend pour un simple soldat, et mourir quelques secondes seulement après le Débarquement.
À sa grande surprise, il se réveille quelques heures plus tôt et comprend qu’il va revivre la même journée indéfiniment.
 

Un réquisitoire contre la guerre

Le film adopte cette logique de die and retry (« mourir et réessayer ») qui oblige le personnage à mettre à profit ses erreurs et à retenir par cœur le parcours qu’il doit suivre pour éviter la mort. Il renvoie à la fois aux plus célèbres héros de jeux vidéo, à la compulsion de répétition freudienne et à la dépendance de joueurs incapables de s’arrêter après chaque échec.
Mais l’intérêt principal de ce scénario est le réquisitoire qu’il dresse contre la guerre en général à travers la mémoire sédimentée des deux dernières guerres mondiales, dont il dénonce la cruauté par un univers visuel de science-fiction.
L’ennemi impitoyable est une armée d’araignées robotisées, les mimics, qui attaquent par essaims et sont capables de se déplacer sur terre ou sous terre en creusant des galeries comme les abeilles ou les fourmis.
Ils sont répartis en trois castes qui imitent la hiérarchie militaire : les mimics de l’infanterie qui en forment la majorité, avec leurs tentacules grises et un œil central orangé vont au front ; les Alpha, sortes de chefs d’unités ressemblant à des ours, sont l’équivalent ennemi du sergent-chef Farell ; de couleur bleue, ils servent de lien entre l’Omega – le chef suprême – et l’infanterie, assurant la possibilité de revivre les batailles en connaissant la stratégie ennemie et de les gagner. Car l’Omega détient le pouvoir surhumain de revivre le temps, communique avec les Alpha sur le champ de bataille et programme l’invasion.
Mais, si un Alpha est tué et que l’être humain qui le tue est éclaboussé de son sang, il hérite de son pouvoir. C’est en vertu de ce transfert que Cage revit sans cesse la même scène et que Rita Vrataski est devenue l’Ange de Verdun. Connaissant à l’avance les mouvements des mimics pour avoir revécu éternellement la journée de la bataille de Verdun, elle a pu en tuer un bon nombre.
Cependant, si Rita ou Cage ne meurt pas, mais perd assez de sang et doit être transfusé, son pouvoir s’évapore comme il est venu. Cette « infection » par l’échange sanguin permet une connexion entre l’Omega et l’être humain suscitant des visions vraies ou fausses pour brouiller les pistes ou au contraire donner la position réelle du Chef.

Vers le tragique

Les scénaristes de Edge Of Tomorrow sont Alex Kurtzman et Roberto Orci, auteurs de la geste Star Trek, Christopher Mac Quarrie, auteur de Usual suspects (1995) et de Wolverine (2013). C’est dire la qualité de ce scénario qui commence comme une comédie où un officier est rétrogadé au grade de simple soldat et se voit contraint d’intégrer une unité destinée au Débarquement à haut risque du D Day. Mais le comique troupier se veut ici à la limite du sadisme, évoquant le Stanley Kubrick de Full Metal Jacket (1987) – auquel le surnom de Rita, Full Metal Bitch, est un hommage –, mais aussi celui des Sentiers de la gloire (1957), film anti-militariste par excellence, et le film bascule progressivement vers le tragique.
Le talent du réalisateur Doug Liman et des deux comédiens, Tom Cruise et Emily Blunt, sublime cette intrigue d’une habileté singulière. L’acteur de Eyes Wide Shut (encore Kubrick, 1999) apparaît ici d’emblée d’une fragilité emblématique. Il n’a jamais été au combat. Traité de lâche par les autres soldats, qu’il va pourtant essayer de sauver du sort qui les attend, il est habité par cette peur sans laquelle le courage n’a pas de sens.
Il écoute maintes fois, dans un plan-séquence inspiré de Full Metal Jacket, le ridicule sergent-chef Farell – qui réédite l’hilarant Sergent Hartman – faire son briefing à l’unité et répéter à l’envi les injures et les phrases toutes faites que tous les chefs débitent à ceux qui sont envoyés à la mort: « La guerre est un creuset où se forgent les héros. ». « Le combat donne l’occasion de mettre à l’épreuve son courage. »

Une terreur communicative

Par la caricature, Doug Liman pose des questions cruciales et, déplaçant progressivement le point de vue, transforme Edge Of Tomorrow en tragédie. Bill Cage est voué à une mort fatale et à une infinie résurrection qui ne l’est pas moins. La terreur qui le paralyse est communicative.
Combien de ces terribles journées va-t-il vivre ? Combien de fois verra-t-il mourir celle qu’il aime ? Cet homme coincé entre deux mondes finit par incarner l’instant toujours recommencé où un homme affronte la mort sur un champ de bataille.
La structure de l’intrigue d’Edge Of Tomorrow est clairement calquée sur le déroulement de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Les mimics ont d’abord attaqué l’Allemagne avant d’envahir ses pays limitrophes à l’est et l’ouest. Historiquement, l’invasion ne parvenant pas à être maîtrisée sur les deux fronts simultanément, c’est le Débarquement du 6 juin 1944 en Normandie qui donne le signal du recul des troupes hitlériennes sur le front ouest sous la pression américaine, et sur le front est sous la pression soviétique.
 

De multiples sources d’inspiration

Bill Cage vit dans le film un nouveau Débarquement longuement répété et enfin réussi qui permet aux troupes russes et américaines d’avancer en Europe. Mais l’Histoire officielle est ici accommodée visuellement d’après le look de jeux vidéo comme Final Fantasy, Medal of Honor ou Call of Duty. Et nous entraîne de la côte normande à la pyramide du Louvre dans des séquences spectaculaires.
Comme un film de Quentin Tarantino, Edge Of To-Morrow est aussi bourré de références cinématographiques : le film d’Harold Ramis : Un Jour sans fin (1993), Next, de Lee Tamahori (2007) avec Nicolas Cage – à qui rend hommage le nom du héros –, d’après L’Homme doré de Philip K.Dick, Il faut sauver le soldat Ryan, de Steven Spielberg (1998) et même Da Vinci Code, de Ron Howard, d’après le best-seller de Dan Brown, avec la cache de l’Omega à l’endroit même où se trouve dans le film et le roman la tombe de Marie-Madeleine.
Les mimics, eux, sont inspirés du film de science-fiction militaire Starship Troopers, de Paul Verhoeven (1997) et des sentinelles robots tentant de détruire Zion dans Matrix (1999).
 

Une allégorie moderne de toute guerre

La critique française de ce film n’est pas enthousiaste. Elle a tort de faire la fine bouche. Doug Liman, qui a signé en 2002 La Mémoire dans la peau, a réussi un film puissant, hommage original aux soldats des deux guerres mondiales qui passe par des images et des effets spéciaux d’aujourd’hui.
Une allégorie moderne de toute guerre, qui joue sur les paradoxes du voyage dans le temps et des univers parallèles pour mieux stigmatiser les erreurs du passé historique.
Quant à Tom Cruise, après un autre film sur la mémoire, Oblivion (2013), il compose un soldat martyr inoubliable, un anti-héros émouvant à la virilité chancelante auprès d’une Emily Blunt pathétique, indéfiniment blessée à mort au combat. Que les ennemis soient des créatures hautement improbables ajoute à l’angoisse générée par ce film où la science-fiction rejoint les souvenirs d’épisodes marquants et bien réels de notre Histoire et nos peurs immémoriales.

Anne-Marie Baron

 
• Sur la première guerre mondiale, voir le dossier de « l’École des lettres » : 14-18. Écrire la guerre .
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Anne-Marie Baron
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