Écrire sans pontifier
Parmi les écrivains qui surprennent en empruntant des chemins peu arpentés, en ce début d’année, on relèvera que la critique s’intéresse de près à Olivier Cadiot et Jean-Yves Jouannais… et Georges-Emmanuel Clancier
Le premier donne, avec Histoire de la littérature récente un ouvrage dont le titre apparaît absolument mensonger dans un premier temps. Olivier Cadiot ne s’embarrasse pas d’Histoire au sens de la chronologie, des détails, des analyses fondées sur des faits établis ou appelant le consensus.
Son livre bien au contraire, se présente sous la forme d’une suite de chapitres consacrés à ce qui pourrait être une carrière dans la littérature, un manuel d’écriture pour les pas si nuls que ça.
Écouter la chronique :
Écouter la chronique
Un manuel d’écriture…
Il faut avouer que l’auteur multiplie les références entendues, les échos, en suivant un programme certes, mais sans méthode exprimée sous forme de table des matières. Le premier chapitre propose dès la deuxième phrase une référence : « On dit souvent que le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ; quelquefois c’est vrai. Et alors ? Alors nous connaissons le malaise, l’envie de disparaître ; le remède ? Une seule option : écrire un livre.»
Olivier Cadiot pratique volontiers l’humour, l’ironie, mais il ne se moque pas pour produire un effet et c’est là l’une des premières séductions de son livre : ne pas se prendre au sérieux, ni mépriser le lecteur désireux d’écrire, ne jamais le tourner en ridicule. Il veut écrire ? Très bien, mais faut-il recopier (sous-entendez ne pas inventer) pourquoi produire « une statue antique enfouie sous dix mètres de sable » ? « Vous risquez de faire de l’art pour rien », avertit ce guide exigeant. Avant d’asséner une vérité qui sonne comme une boutade : « C’est idiot de devenir un poète latin au moment où l’on abandonne les Anciens. »
S’il existe une pointe d’humour dans ce commentaire, elle est justifiée, pas de mépris, juste un avertissement ; il ne sert à rien d’essayer de bien faire, à l’ancienne, si ce n’est pas pour vivre la littérature. L’utilisation des images par l’auteur frappe par la combinaison entre richesse et vivacité, image fugace comme celle ici de la statue, mais dont on saisit la portée néanmoins.
Les titres de chapitres eux, tournent parfois franchement au gag, comme « Innombrables nuances de gris ». L’ensemble forme en tout cas une expérience de lecture beaucoup plus intéressante que tout ce qui relève de la méthode pour les nuls. Il ne faut pas prendre à la légère ce premier volume de celui qui déclara par boutade : « Je fais un livre d’abord, j’écris dedans ensuite » (POL).
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L’écrivain solitaire
Pour ce qui est de Jean-Yves Jouannais, l’ensemble de la critique souligne avant tout la performance qui consiste à cesser toute activité professionnelle pour se consacrer à une encyclopédie recensant la totalité des conflits depuis l’antiquité.
De cette entreprise commencée à l’âge de quarante ans, l’auteur livre des nouvelles à la fois étonnantes et sporadiques.
Étonnantes dans la mesure où certaines entrées de son lexique peuvent déconcerter le néophyte, et sporadiques dans la mesure où, sachant que le projet ne devrait jamais donner lieu à une publication exhaustive ni conventionnelle, l’auteur double son travail écrit d’un certain nombre de performances orales (une fois par mois à Beaubourg et à la Comédie de Reims) lors desquelles il donne à voir l’une ou l’autre de ses entrées.
Un peu comme si Diderot révélait quelques rubriques de l’Encyclopédie devant un public. En cela, on peut dire que Jouannais fait salon. Son livre, La Bibliothèque de Hans Reiter, n’est pas l’essentiel ici mais bien plutôt la façon dont l’ancien rédacteur en chef d’Art Press qui en son temps consacra un livre à l’idiotie comme thématique artistique d’avant-garde.
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Une mémoire française
Enfin, de temps à autre, un auteur qu’on pensait passé à la postérité réapparaît bien vivant avec un livre.
Cela a été le cas pour René de Obaldia, auteur du Centenaire ou même Genet et voici à présent Georges Emmanuel Clancier qui entame une carrière de mémorialiste avec Le Temps d’apprendre à vivre, son livre de mémoires qui couvrent les années 1935-1947.
Découverte de la littérature en compagnie de Max-Pol Fouchet, Michaux, Aragon, Seghers, etc., années de résistance occupées à aider à la rédaction et la diffusion des œuvres interdites. On ne pensait plus à vrai dire qu’un témoin direct de cette époque puisse surgir de la mémoire oubliée des lettres françaises avec un livre aussi frais et aussi authentique. Il va sur ses cent deux ans.
Frédéric Palierne