"Dom Juan ou le Festin de pierre", de Molière, à la Comédie-Française
Près de trois cent cinquante ans après sa création, en février 1665 au Palais-Royal par la troupe de l’auteur, La Grange jouant le rôle de Dom Juan, Molière celui de Sganarelle, Dom Juan ou le Festin de pierre est à nouveau à l’affiche dans la salle de la rue Richelieu.
Le programme fourni par la Comédie-Française omet de nous préciser le nombre de représentations que totalise l’œuvre mais mentionne quelques mémorables mises en scène, comme celles de Jean Meyer, d’Antoine Bourseiller, de Jean-Luc Boutté ou de Jacques Lasalle, pour s’en tenir aux plus récentes.
Jean-Pierre Vincent, qui a dirigé la Maison de Molière de 1983 à 1986, puis le théâtre des Amandiers à Nanterre, propose une lecture à la fois fidèle, respectueuse, disons « classique » – ce qui est loin d’être une critique – et assez neuve, voire audacieuse, sinon risquée. Deux exemples seulement de ces choix personnels : la dernière scène, où l’on voit le « grand seigneur méchant homme », après qu’il a été terrassé par des forces mystérieuses et précipité en enfer, se relever et repartir pour de nouvelles aventures. Son valet, Sganarelle, qui, en réclamant ses gages, donnait une coloration ambiguë à l’épilogue, pourra reprendre du service et recevoir son salaire.
Sans doute veut-on nous faire comprendre que Don Juan, élevé au rang de mythe, est immortel et n’a pas fini de mener sa quête insatiable. Pourquoi pas, mais le message de Molière, plus conforme à la tradition, s’en trouve modifié.
Autre originalité, choisir un Dom Juan très jeune, à peine sorti de l’adolescence. L’idée est défendable, sauf qu’elle empêche de prêter à l’« épouseur du genre humain » un peu de cette lassitude de la vie, de cette mélancolie désabusée, de cette aspiration implicite à quitter le registre de la transgression sociale pour passer à celui du défi métaphysique. En appuyant sur la dimension cynique et papillonnante de son personnage, en le privant de sa grandeur aristocratique, Loïc Corbery, dirigé par Vincent, le transforme en Casanova versatile, en Valmont capricieux.
Ces légères réserves, auxquelles s’ajouteraient celles concernant le décor, assez fade, sont compensées par du rythme, de la cohérence et par une excellente distribution de laquelle émerge Serge Bagdassarian qui campe un Sganarelle tout en rondeur, ce qui n’empêche ni la finesse, ni la profondeur. Beau spectacle et belle soirée.
Yves Stalloni
• Molière, “Dom Juan ou le Festin de pierre”, comédie en cinq actes de Molière, Comédie-Française, jusqu’au 16 décembre.
• La pièce en images dans les collections de la Comédie-Française.
• Molière dans les Archives de “l’École des lettres” (accès aux articles et téléchargements immédiats dès l’abonnement en ligne).
• Un numéro de “l’École des lettres” : Molière mis en scène (144 pages).
• Molière, Quatre comédies à lire et et à jouer, dans la collection Classiques.
• Une biographie accessible aux collégiens et lycéens : Molière. Que diable allait-il faire dans cette galère, de Sylvie Dodeller.
• Un album : Au théâtre de monsieur Molière, de Fabian Grégoire (Archimède).
• Un site de référence : toutmoliere.net.
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Voir également sur le site de “l’École des lettres” :
• Ombres de Molière, sous la direction de Martial Poirson, par Yves Stalloni.
• Le Pauvre homme! – Molière et l’affaire du Tartuffe, de Gabriel Conesa, par Yves Stalloni.
• L’École des femmes, de Molière, mis en scène par Jacques Lassalle à la Comédie-Française, par Yves Stalloni.
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