« Dis-moi dix mots »,
un concours pour réenchanter le vocabulaire
Chaque année, le concours « Dis-moi dix mots » affiche sa nouvelle liste propice à la créativité langagière et artistique des élèves. Comment envisager l’exploitation en classe de la cuvée 2022 ?
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris.
Chaque année, le concours « Dis-moi dix mots » affiche sa nouvelle liste propice à la créativité langagière et artistique des élèves. Comment envisager l’exploitation en classe de la cuvée 2022 ?
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris.
« Dis-moi dix mots » n’est pas simplement un concours scolaire. Il s’agit d’une opération de sensibilisation aux vertus évocatoires du vocabulaire. Pilotée par le ministère de la Culture, elle s’inscrit dans une perspective francophone : le choix des dix mots retenus relève de partenaires issus de quatre « pays », Belgique, France, « Québec » et Suisse, en lien avec l’Organisation internationale de la francophonie qui représente quatre-vingt-huit États.
Ce projet consiste à promouvoir la langue française en la mettant à l’œuvre, selon diverses perspectives, à l’écrit ou à l’oral. La langue doit être envisagée comme un organisme vivant susceptible de vivre avec son temps en accueillant les inventions verbales, mais aussi comme un vecteur de communication entre les groupes sociaux.
« Dis-moi dix mots » est organisé chaque année en partenariat avec le ministère de l’Éducation à destination des classes de l’école élémentaire et du second degré, en incluant les établissements français à l’étranger. Il invite à la réalisation collective (à l’échelle d’une classe) d’une « production littéraire et artistique » indexée sur un « travail linguistique à partir des dix mots ». Dans son principe même, le concours reste très ouvert à des productions variées allant, si l’on se réfère aux années précédentes, du carnet à la chanson, de fresques à des vidéos en stop motion, de chorégraphies à des jeux d’enquête.
Sur le plan de son déroulement, la réalisation du projet est susceptible d’être mise en œuvre sur une période donnée entre le mois de septembre et la fin du mois de janvier. Les jurys délibèrent en février. À terme, les lauréats sont invités par catégorie pour une remise des prix à l’Académie française.
Éloge de la pédagogie de projet
Qu’une classe fasse aboutir le projet ne dépend pas du temps passé (pas nécessairement un semestre entier) mais du degré d’implication des élèves. Ainsi, on peut imaginer que le travail soit mené sur quatre semaines, par exemple à partir de la rentrée de janvier 2022. L’idée reste de redonner « l’initiative aux mots », autrement dit d’en faire le cœur des apprentissages, en gardant en tête une finalité à la fois poétique et artistique. Le linguiste Roman Jakobson écrit, dans « Qu’est-ce que la poésie ? », cette phrase fondamentale :
« C’est la poésie qui nous protège contre l’automatisation, contre la rouille qui menace notre formule de l’amour et de la haine, de la révolte et de la réconciliation, de la foi et de la négation. »
Comment ne pas avoir envie de reprendre cette affirmation au vol, replaçant au centre du jeu dix mots, qui, pris isolément, puis en réseau, ne se contentent pas de faire sens, mais finissent par raconter des histoires. Pour un professeur de français, le concours représente une « trop » belle occasion de se confronter à la poéticité du langage. Les professeurs ayant expérimenté le concours sont d’ailleurs unanimes sur le sujet. Une fois fissurée la carapace d’un mot, son cœur recèle quantité de ressources métaphoriques.
2022 : dix mots qui (d)étonnent
Cette année, il est question de mots qui « (d)étonnent ». Difficile de ne pas entendre, en écho subliminal et dans un registre plus familier, « des mots qui ‘‘déconnent’’ ». La liste est la suivante :
«Kaï, farcer, divulgâcher, tintamarre, pince-moi, saperlipopette, médusé, décalé, ébaubi et époustouflant ».
L’idée est sans doute de mettre en avant le fait que les mots ne sont pas forcément sérieux. « Saperlipopette » n’invite-t-il pas à sourire, surtout si l’on se souvient de son usage par le capitaine Haddock ? Et que dire de « kaï », onomatopée imitant le glapissement d’un chien qui souffre d’avoir pris un mauvais coup ? Les souvenirs de lecteurs de BD tendent à resurgir.
Au-delà du corpus lexical de référence, tous les mots conservent une capacité d’étonnement. Il suffit de revenir à leur étymologie et à leur champ sémantique pour se rendre compte que leur évolution équivaut à une aventure. Un mot prend le pouvoir, tombe dans l’oubli, se retrouve en concurrence avec de puissants synonymes…. C’est une saga ! L’étonnement vis-à-vis des mots demeure à réenchanter en classe. D’où la nécessité de revenir au dictionnaire.
« De nombreux chercheurs font faire des progrès considérables à l’étymologie. Prenez le mot houle dans son sens de « mer déchaînée ». Grâce à un texte ancien traduit par un orientaliste à la fin du XIXe siècle, on sait maintenant qu’il s’agit d’un mot arabe qui désignait un sphinx terrifiant. De même pour le mot hashtag, qui révèle une origine surprenante. Le préfixe hash est un héritage de l’ancien français « haché » !* »
Contrairement aux idées reçues, les élèves se montrent très curieux dès qu’on leur donne l’occasion de s’introduire dans le dictionnaire par hasard ou guidés. La cuvée lexicale 2022 a tout lieu de donner envie de rire.
A.S.
Ressources
Pour inscrire sa classe au concours :
https://www.demarches-simplifiees.fr/commencer/concours-dis-moi-dix-mots
Pour découvrir les anciennes listes :
http://www.dismoidixmots.culture.fr/2014/indexdcaf.html?p=31563
Alain Rey, Stéphane de Groodt, 200 drôles d’expressions, Le Robert, 2015.