« Dis-moi dix mots » célèbre la planète

Le concours « Dis-moi dix mots », organisé par la Délégation à la langue française et aux langues de France, propose chaque année scolaire un florilège de termes devant inspirer des œuvres collectives. Après dix mots « sur le podium » pour les Jeux olympiques, le concours prend la défense de la planète et du vivant.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Le concours « Dis-moi dix mots », organisé par la Délégation à la langue française et aux langues de France, propose chaque année scolaire un florilège de termes devant inspirer des œuvres collectives. Après dix mots « sur le podium » pour les Jeux olympiques, le concours prend la défense de la planète et du vivant.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Le livret »(téléchargeable ici) est sans détour :« Il importe de nous interroger sur les relations des humains au ‘‘vivant’’ : à la faune, à la flore, aux autres populations. » Et les enjeux sont clairs : « S’intéresser à la planète, c’est observer la nature qui nous entoure (biome, canopée, palmeraie), analyser les comportements des êtres qui l’habitent (butiner) et examiner l’intervention de l’humain sur son milieu (débrousser, glaner). Pour appréhender un avenir plus serein, des mesures pour préserver la planète sont à explorer (être conséconscient, l’énergie solaire). Nous avons une responsabilité individuelle et collective vis-à-vis de la planète. Ce sont nos actions (empreinte) d’aujourd’hui qui vont compter pour demain. »

Ritualiser un temps dédié au lexique

Investir ces dix mots (en gras dans la citation) dans les apprentissages mis en œuvre dans une classe implique de déployer leur réseau métaphorique. Si l’on s’attache au contenu des programmes, le simple examen du corpus invite à questionner le sens propre, le sens figuré, le champ sémantique, les familles de mots, l’étymologie, le champ lexical, autrement dit à travailler sur le vocabulaire. On peut observer chacun des mots de la liste en tant qu’entité autonome, à l’intérieur d’une phrase, en les mettant en relation par binôme (par exemple) et bien entendu en les confrontant avec des textes lus.

À titre d’exemple, en classe de seconde, section « La poésie du Moyen Âge au XVIIIe siècle », on pourrait très bien envisager une étude des poèmes de Saint-Amant, écrivain-voyageur du XVIIe siècle (1594-1661), axés sur la perception de paysages variés en fonction des quatre saisons (1).

Quel que soit le niveau de la classe engagée dans le concours, il importe de sanctuariser dans la semaine un temps dédié au vocabulaire. Ce qui implique que l’outil dictionnaire soit continûment investi au-delà de sa simple fonction informative. Les élèves découvrant au fils des temps lexicaux combien le dictionnaire s’apparente à un livre d’histoires sollicitant l’imagination. Aussi, un mot tel que « butiner » (2) possède une histoire méconnue et passionnante. Bien avant de concerner les abeilles, son sens vieilli se rapporte en effet au « butin » pris aux ennemis. « Ce sont les mots qui ont une histoire, qui ont un sens et qui possède un arrière-pays, disait le lexicographe Alain Rey (1928-2020). On en reste en général à la façade. Donc, il faut regarder à travers les mots pour savoir ce qui se passe. »

L’expérience montre qu’en partant de ces mots générateurs, on amène les élèves à être plus attentifs à leur histoire, leur évolution, leurs déplacements de sens. L’enquête sur les dix mots à mener d’octobre à novembre permet au professeur de faire de chacun un vecteur de curiosité et de créativité.

Un dispositif pensé pour les élèves et leurs professeurs

Le livret « Dis-moi 10 mots pour la planète » doit être considéré comme un outil et une banque de ressources, y compris textuelles. En effet, non seulement il propose une définition de chaque mot, mais il les accompagne de dix nouvelles écrites par des écrivains francophones actuels s’y raccrochant. Par exemple, la nouvelle du Québécois Éric Chacour (notice bio-bibliographique incluse dans le livret) s’attache au verbe transitif « débrousser », qui fait partie des dix mots.

« Tu uses de culpabilité pour que je revienne. Le chemin rebroussé, l’enfance débroussée. Les souvenirs qu’on arrache, comme autant de mauvaises herbes, mais qui reviennent à la saison nouvelle. »

Les lectures cursives présentes dans le fascicule, comprenant par ailleurs un cahier de jeux sur le lexique, constituent un atout à exploiter. Sur le plan institutionnel, la structure des apprentissages impliqués par un engagement collectif dans le projet relève d’une pédagogie par compétences dont le site Eduscol se plaît à rappeler les enjeux, notamment pour les classes de collège.

« Favoriser l’appropriation des mots et le travail sur la langue française ; encourager la créativité des élèves et leur permettre de nouer un rapport à la langue de culture, en tant que matériau d’expérimentation et de création ; apprendre aux élèves à travailler ensemble dans un esprit citoyen. »

Un concours pour stimuler l’enseignement du français

Le dispositif « Dis-moi dix mots » est ouvert aux classes des écoles et établissements publics et privés sous contrat. Les prix remis sous la coupole de l’Académie française, durant la trentième édition de la Semaine de la langue française et de la francophonie (du 15 au 23 mars 2025) sont ainsi répartis en plusieurs catégories, dont celle des classes de lycée général et technologique. Les programmes de seconde et première ne sont pas moins ouverts à ce type de concours que ceux du collège. Deux objectifs notamment appuient l’inscription d’une classe de lycée. La première concerne le lexique (seconde et première) :

« Des activités sont régulièrement consacrées au renforcement des ressources trop souvent négligées du lexique. Si le rappel des modes de néologie (dérivation, composition, emprunt, etc.) ou des relations lexicales (synonymie, antonymie, hyperonymie, etc.) peut guider ou éclairer ponctuellement l’exploration du lexique, celle-ci doit aussi se déployer au gré des rencontres avec les textes, hors du cadre rigide d’exercices mécaniques, afin de mettre au jour les accointances discrètes ou les voisinages féconds entre les mots. »

La deuxième s’inscrit dans la présentation despistes de prolongements artistiques et culturels, et de travail interdisciplinaire (seconde) :

« [Le professeur] peut, dans la mesure du possible, établir des liens avec les programmes des enseignements artistiques et ceux d’histoire, et il favorise le travail interdisciplinaire, par exemple avec les professeurs documentalistes, ainsi que les partenariats avec les institutions culturelles locales (maisons d’écrivain, musées, cinémas, etc.). Il exploite les nombreuses ressources numériques existantes. »

Si la classe de première peut apparaître de prime abord plus contrainte en raison de la préparation de l’épreuve anticipée de français (EAF), elle n’empêche pas pour autant une inscription au concours. Comment ne pas avoir envie de tirer profit du lien naturel entre le thème de cette année et une des œuvres au programme officiel, comme Mes forêts, d’Hélène Dorion (Bruno Doucey) ? Lien d’autant plus étroit que la poétesse est aussi une lanceuse d’alerte concernant la multiplication des feux de forêt au Canada. Ainsi, chacun des mots de la liste – biome, butiner, canopée, conséconscient, débrousser, empreinte, glaner, palmeraie, solaire et vivant – peut plus ou moins directement renvoyer le lecteur au texte poétique de l’autrice québécoise. Le court poème, « L’île », extrait de la première section du recueil, « L’écorce incertaine », n’évoque-t-il pas la canopée, sans, et c’est intéressant, que le mot soit prononcé ?

« si la pointe de l’arbre / vacille pour lécher / la lumière qui l’aveugle / si l’île flotte / à la surface du jour / comme le navire de feuillage / serait-elle une pierre / avec des noms échoués / au fond de leur vie »

Les dix mots de la liste ouvrent ainsi bien des perspectives pédagogiques sur les plans lexical et littéraire. Autant de perspectives qui sont susceptibles de déclencher les premières propositions créatrices de la part des élèves à compter de début décembre pour suivre le calendrier du concours.

Alain Rey, en compagnie des chanteurs Bigflo et Oli, s’était lancé dans un slam lexicographique qui a fait date avec 12 millions de vues sur YouTube en 2017 (3). Il peut être transposé aux « Dix mots pour la planète ».

« Pas touche à mon Biome,
Laisse faire le solaire sur la canopée.
Ne te contente pas de butiner
Ne laisse pas partout ton empreinte
Tu glanes, tu glanes mais tu penses à débrousser ?
Il est temps de sauver la palmeraie
Si tu es conséconscient, on restera vivant »

C’est une idée parmi tant d’autres à développer selon les goûts et les envies. À partir de cette liste imposée et du calendrier, les créations sont libres, et leur inventivité, chaque année, participe de la richesse de ce concours dont L’École des lettres est partenaire de longue date, en participant notamment au jury. Pour la deuxième année, la revue a conçu, à partir du catalogue de l’école des loisirs et de Rue de Sèvres, un livret de dix livres (albums, romans et bandes dessinées, du CP au bac) associés à chacun des dix mots. Cette sélection est à retrouver en ligne, mais aussi en format imprimé sur les événements, les salons et sur demande : courrier@ecoledeslettres.fr

© Dis-moi dix mots / L’École des lettres / l’école des loisirs

A.S.

Ressources

Antony Soron
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