Diminution des lettres
et de la philo en prépa HEC ?

Le ministère de l’Éducation nationale prépare une nouvelle réforme des classes préparatoires HEC qui diminuerait le volume horaire de lettres et de philosophie. Un comité de pilotage doit se tenir le 13 décembre sans les représentants du personnel. Une pétition circule déjà contre cette réforme. Par Pascal Caglar, professeurs de lettres (Paris)

Le ministère de l’Éducation prépare une nouvelle réforme des classes préparatoires HEC qui diminuerait le volume horaire de lettres et de philosophie. Un comité de pilotage doit se tenir le 13 décembre sans les représentants du personnel. Une pétition circule déjà contre cette réforme.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)

En 2012, Vincent Peillon arrive à la tête du ministère de l’Éducation nationale tandis que François Hollande arrive à l’Élysée. Il lance alors une violente attaque contre les classes préparatoires et leurs professeurs, s’en prenant à leurs services et leurs rémunérations au nom d’une nécessaire redistribution en direction des enseignants de Zep.

Dix ans plus tard, le ministère préparerait une nouvelle offensive contre les classes préparatoires, plus insidieuse et plus sournoise, non plus globale comme en 2012 mais ciblée contre les seules prépas HEC, non plus ouvertement comptable comme sous Peillon, mais hypocrite, au nom d’un pseudo-rééquilibrage des programmes « économique et commerciale » de la voie générale (ECG). L’objectif reste pourtant le même, il est celui qui sévit dans le secondaire comme à tous les niveaux, qui ne respecte que sa logique au prix des mensonges les plus cyniques : réaliser des économies sur le dos des élèves et des enseignants.

Pour l’heure, il ne s’agit encore que d’un projet. Mais certains enseignants bien informés en auraient eu connaissance. Une commission aurait été formée sans que les organisations syndicales aient été conviées, d’après le Snep-Unsa qui déclare : « Une première réunion de comité de pilotage de la réforme aura lieu, sans représentants du personnel, le 13 décembre prochain. »

Certains montent donc déjà au créneau. D’une part parce que « la dernière réforme des CPGE ECG date à peine d’un an et le concours avec les épreuves réformées n’a même pas eu encore lieu », déplore le Snep-Unsa. D’autre part, parce que les fuites concernant le projet feraient état d’une diminution du volume horaire attribué à l’enseignement des lettres et philosophie (anciennement dénommées « culture générale ») de 6 heures (3+3) à 4 heures.

Désaffection pour la filière HEC

Un collectif NON à la réforme des CPGE voie ECG fait circuler une pétition : « Un projet de réforme de la voie économique et commerciale générale (ECG) se profile aux dépens des étudiants les plus défavorisés (fermeture de classes, augmentation de la sélectivité de la filière, fragilisation des classes préparatoires dites « de proximité ») et de la qualité de la formation de notre jeunesse (diminution d’heures de cours dans de nombreuses disciplines, notamment en lettres, philosophie et mathématiques, alors que la baisse générale du niveau des élèves dans cette dernière discipline devient une préoccupation nationale). »

Le 14 novembre, le Snes a adressé à ses adhérents un message qui tente de trouver des explications :

« La DGESIP (ministère de l’ESR) justifierait bien cette nouvelle réforme en raison d’une tendance structurelle de baisse des effectifs de la filière qui occasionnerait une augmentation importante des places vacantes et interrogerait la pertinence de l’investissement public dans cette formation. L’Inspection générale estimerait que la nouvelle réforme aurait pour but de sauver la filière… au prix de pertes de postes importantes en mathématiques et d’une baisse des heures en lettres et philosophie posant des problèmes de service. […] La DGESIP a annoncé la reformation du comité de pilotage de la réforme de la filière ECG avec une première réunion le 13 décembre. Dans ce comité ne siègent que les associations (APHEC, APLCPGE, Renasup), aucune organisation syndicale. »

Ce document mentionne également, en dehors des lettres, le risque de diminution du volume de mathématiques de 8/9 heures à 5 heures hebdomadaires.

Dans un communiqué du 20 novembre, le SNFOLC a indiqué que cette réforme diminuant les horaires en culture générale et mathématique entraînerait des suppressions de postes, et serait attendue pour la rentrée 2024.

Elle provoquerait d’ores et déjà des réactions bien au-delà des filières économiques, d’après le Snep-Unsa : « Les associations de professeurs de CPGE (économique, littéraire et scientifique), sociétés savantes, syndicats, grandes écoles estiment que modifier l’équilibre des CPGE entraînera inévitablement des pertes de postes et mettra en péril les écoles de commerce elles-mêmes. »

HEC mal en point

Cette polémique intervient dans un contexte de désaffection pour la filière HEC. « Cela tient à un manque de visibilité conjugué à la période difficile que nous avons traversée, qui n’a pas aidé à la clarté et à la sérénité dans les choix d’orientation, a confié au Snes Joël Bianco, proviseur du lycée Louis-le-Grand (Paris). Ensuite, depuis la réforme de la filière économique et commerciale et les quatre couplages de spécialités possibles, nous perdons des bons matheux, ce qui est regrettable. »

D’après une note du ministère, « les classes préparatoires filière économique ont accueilli, à la rentrée 2021, 8 800 nouveaux entrants, soit une diminution de 10 % en un an », résume un article paru dans Le Monde le 7 décembre. Motifs évoqués : la disparition des maths dans le tronc commun de première et terminale à la rentrée 2019. Les maths étant obligatoires en prépas, ceux qui n’en ont pas fait au lycée ne peuvent plus postuler. Avant 2019, en terminales L, S et ES, ils étaient 50 000 à ne plus étudier les maths, en 2021, ils étaient 170 000 sur 375 000 élèves de terminale générale, a calculé l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP). Autres motifs : la concurrence accrue des écoles de commerces qui recrutent dès après le bac et les bachelors ouverts par des grandes écoles de management. Et ce malgré le tarif : de 6 000 et 14 000 euros l’année contre 300 euros dans les prépas publiques, qui, jusqu’alors, affichaient exigence et culture générale.

Quelle logique ?

La réforme annoncée s’en prendrait ainsi aux disciplines que le discours officiel ne cesse pourtant de vanter et consacrer : l’enseignement des mathématiques et celui des humanités. Réduction de 30 % des heures de maths, de lettres et de philosophie, réductions conséquentes, suffisantes pour décharner une matière, réductions que les écoles osent approuver alors que, dans le même temps, elles se félicitaient depuis des années de recruter des étudiants susceptibles d’obtenir des équivalences en écoles d’ingénieur, et de s’ouvrir à des littéraires issus des khâgnes et hypokhâgnes, devant lesquels les préparationnaires HEC n’avaient pas à rougir.

Comme d’habitude, où est la logique ? Où est la cohérence, lorsque les programmes grandes écoles multiplient les masters en management culturel et que demain les cours de prépas n’offriront plus que l’ombre d’une culture générale ? Où est la cohérence lorsque l’État soutient le développement constant de l’économie de la culture et prive dans le même temps l’immense majorité des élèves de la possibilité de s’initier aux arts et aux œuvres du passé ? Où est la justice lorsque, la culture étant déjà le bien le plus inégalitaire, on en réduit encore l’accès au plus grand nombre à travers les programmes du post-bac ? Où est le sens de l’histoire quand, il y a trente ans, on bataillait ferme pour passer la prépa HEC à 2 ans et la culture générale à 6 heures, alors qu’aujourd’hui on est prêt à se satisfaire de 2 heures de lettres, 2 heures de philo, d’épreuves diminuées (disparition de la contraction HEC) et d’un recul global d’une culture vraiment générale ?

Le ministère compte bien sur l’image élitiste des prépas, et notamment des prépas HEC, pour détruire un peu plus leurs formations sans susciter l’émoi des autres acteurs du système éducatif. Mais, contrairement à certaines idées reçues, les atteintes à la qualité des enseignements ne connaissent pas de frontières de niveau ou de section. Après la déstabilisation du lycée par Blanquer, la fragilisation du post-bac est en route, cette exception française, qui perdra bientôt son encadrement spécifique, le corps de l’inspection générale, assistera bientôt à des fermetures de classes au profit des formations privées et autres écoles à bac +1, s’effacera sous peu devant l’ouverture progressive de CPES (cycle pluridisciplinaire d’études supérieures) – cursus hybride créé en 2021, à mi-chemin entre la classe préparatoire et la licence universitaire –, et, bien sûr, subira sans recours une révision complète du recrutement et des services de ses enseignants.

Le 13 décembre donc, un comité de pilotage de la réforme devrait se réunir au ministère. Sans représentants des professeurs de classes préparatoires, sans représentants des disciplines impactées, sans représentants du collectif de contestation « Non à la réforme des CPGE ECG ». On aura beau dire alors : « La porte du ministre vous est toujours ouverte. », la formule rappellera la phrase de ce chef d’établissement rigide et soumis à ses autorités hiérarchiques qui répétait à chaque occasion : « Mon bureau vous est toujours ouvert », et personne n’y entrait.

P. C.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Pascal Caglar
Pascal Caglar