Diamant brut,
d’Agathe Riedinger : l’année de l’éveil

Première fiction immergée dans l’univers des influenceuses, ce premier long métrage suit les pas d’une jeune fille de la banlieue de Fréjus jusqu’aux tours de Dubaï et leurs promesses d’argent facile et de fantasmes déchus.
Par Philippe Leclercq, critique de cinéma

Première fiction immergée dans l’univers des influenceuses, ce premier long métrage suit les pas d’une jeune fille de la banlieue de Fréjus jusqu’aux tours de Dubaï et leurs promesses d’argent facile et de fantasmes déchus.

Par Philippe Leclercq, critique de cinéma

Diamant brut, le premier long-métrage de la cinéaste française Agathe Riedinger, présenté en compétition lors du dernier Festival de Cannes, est aussi la première fiction à s’intéresser à l’univers des influenceuses. Soit Liane (époustouflante Malou Khebizi, recrutée lors d’un casting sauvage), 19 ans, résidant dans la banlieue de Fréjus et rêvant de s’installer à Dubaï. En attendant, elle fauche dans les magasins, parfums, vêtements ou clés USB, qu’elle revend pour se faire un peu de « maille ». L’une de ses vidéos, postée sur son compte Instagram, a tapé dans l’œil d’une recruteuse d’émissions de télé-réalité, « Miracle Island », qui la contacte pour un casting. Lequel s’avère prometteur, mais sans suite immédiate. Commence dès lors, pour Liane, une interminable attente pleine de dangers…

Ligne d’avenir et du corps confondue

C’est un étrange univers, familier des plus jeunes, que filme Agathe Riedinger. Celui des filles à (très hauts) talons, des poitrines gonflées, des visages truqués, des rêves en silicone et des désirs de paillettes et de strass. Un monde de bimbos aspirantes influenceuses qui, pour quitter leurs barres HLM et gravir les étages des tours des États du Golfe où prospèrent idoles et modèles qu’elles cherchent à imiter, s’efforcent, à coups de vidéos plus ou moins racoleuses, de « faire le buzz » sur leur compte « Insta » pour collectionner les « followers » par milliers (millions), condition sine qua non du succès…

Plus qu’un simple portrait de ces filles, prisonnières du fantasme de l’argent facile, la caméra naturaliste d’Agathe Riedinger découpe également les contours d’un milieu social et familial. Qui, pour Liane, est instable, dysfonctionnel : un père absent, une mère irresponsable, plus d’école, pas de travail, peu de repères ni perspectives… Alors, évidemment, on comprend bien que les barres d’immeubles, où poussent toutes les Liane de France et d’ailleurs, bouchent un peu leur horizon. Dans le coin, on tourne vite en rond. Les garçons, quand ils ne s’occupent pas de quelque « biz chelou », font vrombir des moteurs (de motocross ici), à l’image du doux et fort sensé Dino qui en pince pour Liane. Les filles, comme cette dernière et ses copines qui ont du « potentiel » physique, peuvent au moins envisager un destin conforme à la ligne d’une plastique qu’elles s’appliquent à rendre avantageuse, visible, et bientôt monnayable. L’adolescence à peine venue (comme la petite sœur de Liane), leur corps est alors perçu comme un outil de compensation, d’investissement, de revanche (toujours sonnante et trébuchante) sur les injustices de la vie. Être vue et « likée », c’est pour elles sortir de l’invisibilité ; c’est être désirée et aimée. Et être aimée, affirme sans rire la postulante à la célébrité, c’est avoir du talent qui permet de devenir riche. CQFD…

Mirage ou réalité ?

En attendant ce jour, et le tournage de son émission sur une glamoureuse plage de Miami, Liane patiente. Mal. Et c’est là que Diamant brut devient intéressant et interroge les rouages de la mécanique du rêve à l’épreuve du doute et de l’angoisse. Alors qu’elle voyait son audition comme la juste récompense de ses « efforts » de vidéos sexy postées quotidiennement sur son compte, le silence de la recruteuse la mortifie jusque dans sa chair. Liane perd les pédales…

En suivant la dérive progressive de son héroïne, la réalisatrice en explore les dérèglements, les égarements aux confins de l’exhibition et de la prostitution. Elle filme la douleur des espoirs qui la minent, la souffrance qu’elle endure pour s’extirper de sa condition, pour sauver ce qui pourrait bien être son âme (Liane se dit croyante). Le baroquisme de la musique à cordes, en contrepoint des tombereaux de messages d’amour et de haine qui s’inscrivent régulièrement sur l’écran, souligne la démarche sacrificielle de Liane. Le mysticisme de la mise en scène devient la marque d’une profonde empathie de la réalisatrice pour son héroïne qui incarne un début de résistance face à ce nouveau système d’exploitation.

P. L.

Diamant brut, film français d’Agathe Riedinger (1h43). Avec Malou Khebizi, Andréa Bescond, Idir Azougli. En salle.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq