Des moments, dans Paris : "En ville", de Christian Oster
Un an après avoir publié Rouler chez L’Olivier, Christian Oster propose En ville. Dans le premier roman cité, un homme quittait Paris sans qu’on sache pourquoi. Il prenait la route et c’était, pour le romancier que l’on connaît pour Mon grand appartement ou Une femme de ménage, comme un nouveau début. Le roman avait quelque chose de dépouillé, d’aride, au sens où l’on ne trouvait aucune explication à cette traversée de la France qui menait le héros à Marseille.
En ville est, comme son titre l’indique, un roman qui ne quitte pas le cadre urbain, qui, par certains côtés, le célèbre. Il faut attendre la dernière page pour que les protagonistes quittent Paris..
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Autour du personnage de Jean, héros et narrateur récurrent
En ville est l’histoire d’un petit groupe d’amis qui préparent leurs vacances. Il y a là William, un homme un peu trop gros, qui tombe brusquement malade, Georges quitté par sa compagne Christine, Paul et Louise qui se sépareront après les vacances qu’ils passeront ensemble, et Jean, le narrateur, héros récurrent de Oster, jusque dans son prénom.
Jean est en effet un inquiet, un peu obsessionnel, soucieux de détails très banals pour le commun des mortels, et capables de le désarçonner. Ainsi, choisissant de déménager, Jean est embarrassé par la présence, dans l’île aux cygnes, de la statue de la Liberté. On ne saura pas vraiment pourquoi ; le passage incessant des automobiles sur la voie rapide l’occupe bien davantage, et revient comme un leitmotiv dans le roman.
Pour quelqu’un d’aussi compliqué que Jean (presque autant que le héros d’Une femme de ménage), il y a pire : il va être père d’un enfant qu’il n’a pas souhaité, fruit d’une liaison très passagère. Il semble en fait attiré par une autre femme mais nous n’en dirons pas plus. Et nous ne dirons pas non plus ce qu’il en est de ces vacances programmées, fruit de longues discussions entre les amis, qu’une série d’événements va perturber.
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Le portrait de quelques êtres autant que d’une époque
Autant Rouler était fluide, comme un voyage en solitaire, autant En ville est dense, jusque dans l’organisation des chapitres, dans le paragraphe. Oster va peu à la ligne, lance son lecteur dans des espaces touffus. C’est une masse d’échanges, de dialogues au discours direct ou indirect, avec des incises qui se répètent, comme dans les conversations que l’on capte dans les transports en commun, à ceci près que la langue d’Oster est pour le moins soutenue, jouant sur la digression, le rapprochement incongru ou la comparaison. En ville est un flux de paroles, de réflexions évoquant les faits, leurs échos, et brossant le portrait de quelques êtres autant que d’une époque.
Tous sont dans la cinquantaine. Ils ont aimé, ils ont quitté ou été quittés, ils ont perdu quelque chose : l’innocence, la passion, le rêve, à l’instar de William, si mal dans son corps, dans sa peau, si discret sur sa vie. Ils ne savent pas où ils en sont et à diverses reprises, une sorte de « Où on va ? », pas seulement lié au lieu de vacances, revient dans le texte. Il ne s’agit pas seulement de s’organiser, mais de donner un sens à sa vie, si on veut le dire de façon un peu grandiloquente. Nos années sont là, en filigrane, nos interrogations sur le temps qui passe, sur ce que nous laisserons aux enfants.
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Le désordre savant d’un roman pluriel
C’est d’autant plus difficile que la parole échoue souvent à dire ce que l’on veut. D’où les circonvolutions, les hésitations et redites des personnages, les propos tenus après coup et ceux qu’on ne tiendra jamais, qui font la trame de ces pages. La mort d’un des amis, le soudain amour que découvre un autre, les allées et venues de Jean dans Paris, tout cela crée le désordre savant de ce roman qu’on pourrait dire pluriel.
Certes, Jean est toujours au centre, en tant que narrateur, mais ses voyages dans la ville, ses rencontres tissent la toile qu’on arpente, comme des insectes pris au piège de cette prose aux aspects hypnotiques. Tous les personnages existent, prennent du relief, comme si Jean était le messager portant la parole entre les uns et les autres. C’est particulièrement flagrant dans un chapitre central, réunissant presque tous les personnages dans un café, pour traiter la question des vacances. Mais pas que cela.
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Un humour constant
Drôle de roman donc, et roman drôle. On ne saurait oublier l’humour de Oster, son goût du coq à l’âne, du rapprochement ou du lien logique qu’on n’attendait pas : « Je n’étais pas très chaud pour Malte. Je n’aimais pas le drapeau », dit-il ainsi, en original qu’il est. C’est un exemple parmi d’autres.
On ne saurait terminer sans parler d’un des principaux personnages, à peine nommé, Paris. On sait l’amour que porte le romancier à cette ville. Il ne nommait pas toujours les rues, les quartiers. Ici, on découvrira une face cachée du XVIe arrondissement, près de l’avenue de Versailles, et d’une rue Poubelle dans laquelle on ne jettera pas ce beau roman.
Norbert Czarny
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• « En ville », de Christian Oster, L’Olivier, 2012.
• “Rouler”, de Christian Oster (L’Olivier, 2011), par Norbert Czarny.
• Les romans et contes de Christian Oster publiés à l’école des loisirs.
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