"Dernier train pour Busan", de Yeun Sang-Ho
Quand le gore délivre un message très actuel
Le cinéaste sud-coréen Yeun Sang-Ho s’est fait connaître par ses films d’animation très noirs, très caricaturaux (The King of Pigs, The Fake), où l’animation accentue encore la monstruosité des personnages et de leurs comportements.
Il signe ici son premier film en prises de vue réelles, présenté hors compétition au festival de Cannes et qui m’a semblé l’un des meilleurs de cette année, toutes sélections confondues.
Bien qu’il s’agisse d’un film de zombies, il a connu une sortie fracassante à Séoul et s’annonce en France comme un très grand succès.
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Une intrigue focalisée sur une micro-société
Un père divorcé et très occupé par un métier de la finance emmène sa fille de huit ans en train à grande vitesse depuis Séoul jusqu’à la ville de Busan, où elle doit retrouver sa mère. Mais l’enfant, qui n’a pas les yeux dans sa poche, observe des choses bizarres par la fenêtre, alors que son père est absorbé par son téléphone portable.
En effet, un virus foudroyant a réduit de nombreuses personnes à l’état de zombies, qui errent dans la nature et dont la morsure déclenche la contagion du phénomène. Quand il s’avère que certains sont montés dans le train, l’horreur s’installe. Car ces zombies ne sont pas les monstres léthargiques chers à Georges Romero, pour qui les morts-vivants sont les symboles d’une société de consommation réduite à l’abrutissement. Ceux-ci sont hostiles, agressifs, ils courent à toute allure à l’assaut de tous les êtres sains et menacent de les mordre, comme des vampires assoiffés de sang dont ils acquièrent ce trait distinctif.
Impossible d’arrêter le train pour les fuir car dehors, ils sont partout, et dans le pays à feu et à sang, l’état de siège est déclaré. Lancés à pleine vitesse vers la seule ville (peut-être) épargnée, les passagers doivent tenir coûte que coûte.
L’intrigue se focalise sur un petit groupe de personnages : le père divorcé et sa fillette, une femme enceinte et son mari, deux ados, deux vieilles dames, un homme d’affaires, une micro-société, où sont représentés, comme dans la vie réelle, lâches et courageux, généreux et individualistes forcenés, héros et salauds.
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Un montage magistral
À la fois film catastrophe et film gore, Dernier train pour Busan transcende et sublime les deux genres par un scénario solide qui démarre dans la réalité quotidienne pour arriver graduellement à l’horreur, et par une mise en scène remarquable, qui utilise au mieux le huis clos du train.
Enfilade des compartiments, tout à fait semblables à ceux nos TGV, suite des couloirs interminables, couperet des portes coulissantes, refuge des toilettes, appui des étagères porte-bagages, le réalisateur tire parti de chaque recoin de cet espace étroit et tout en longueur, pour imaginer des scènes de suspense haletant.
Quant au rythme du film, il est progressivement accéléré par un montage magistral qui nous arrache à la quiétude du monde quotidien pour nous plonger dans une horreur effrénée, à fond de train.
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Une métaphore morale, sociale et politique
À la fois métaphore morale, sociale et politique, les zombies incarnent la contagion de l’agressivité et de l’égoïsme. Leur monstruosité physique met en évidence la monstruosité morale latente des gens dits normaux dans une société dite civilisée.
Le jeune père d’abord, monstre froid qui gère des actifs boursiers, interprété par le grand Yoo Gong, dont le visage glabre semble inaccessible à toute émotion, mais qui s’humanise à vue d’œil au contact de sa fille et à mesure que le danger devient plus pressant.
Le mari de la femme enceinte, blagueur et brutal (excellent Dong-Seok Ma !), qui se révèle efficace dans le besoin, le jeune couple d’adolescents, insouciants et bruyants, les deux vieilles dames qui se disputent sans cesse.
Le pire de tous est l’homme d’affaires égoïste et incapable de la moindre empathie, qui, refusant tout contact avec la maladie, entraîne tout le monde dans la catastrophe.
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La nécessité d’une solidarité active
L’épidémie est-elle vraiment un effet collatéral de la course au profit, de la spéculation autour d’une industrie biochimique livrée aux plus offrants? Quoi qu’il en soit, ce film délivre un message d’une brûlante actualité en donnant surtout une dimension spectaculaire au dilemme actuel de nos sociétés.
Il montre la relativité de l’héroïsme et la nécessité de la solidarité active. Nous nous en sortirons tous ensemble ou pas du tout. Avec son regard perçant, son bon sens et sa gentillesse, l’enfant incarne la promesse d’une victoire de la civilisation et la perspective d’une humanité meilleure qui aura dépassé les rivalités et les égoïsmes pour une générosité indispensable à l’échelle du globe. Pas mal pour un film de genre !
Anne-Marie Baron
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