« Demander plus aux élèves » :
décryptage du plan collège
de Gabriel Attal
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université
Pour rebondir sur les résultats de l’enquête Pisa annonçant une chute du niveau des élèves en maths et en lecture, Gabriel Attal a lancé le 5 décembre un plan collège proposant, notamment, d’instaurer des groupes de niveau et de rendre le brevet obligatoire pour le passage au lycée.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université
C’est avec sa fameuse formule sur le « choc des savoirs » que Gabriel Attal a ouvert son discours du 5 décembre dans le CDI du collège Charles-Péguy à Paris (11e). L’enjeu était notamment de répondre fermement à la publication de l’enquête Pisa sur le niveau des élèves. Menée auprès de 700 000 élèves de 15 à 16 ans dans 81 pays, cette enquête s’appuie sur des tests en maths, sciences et lecture. Du fait de la pandémie de Covid, elle n’avait pas eu lieu depuis 2018. Or, les données récoltées en 2022 témoignent d’une baisse générale du niveau des élèves, partout dans le monde, y compris en France où pourtant les écoles sont restées largement ouvertes. En mathématiques, les performances auraient baissé de 15 points entre 2018 et 2022, 10 points en lecture, et seraient restées stables en sciences. Vent de panique au ministère, qui en a profité pour publier son plan de redressement.
Ce n’est pas la première fois qu’un locataire de la rue de Grenelle promet des lendemains qui chantent aux enseignants, du reste encore échaudés par les dysfonctionnements du plan Blanquer pour le lycée. Le plan Attal s’attaque plus spécifiquement au présumé maillon faible du système scolaire français, à savoir le collège, défini comme « unique » depuis la réforme Haby de 1977. Le ministre s’est fait fort d’avoir entendu le message des parents d’élèves et des professeurs concernant la baisse de niveau, tout particulièrement en mathématiques et en compréhension de textes. Il lui est donc apparu urgent de revenir sur des marqueurs forts de l’éducation traditionnelle comme le redoublement ou les groupes de niveaux. « Nous avons décidé d’ouvrir une nouvelle page pour notre école », a-t-il annoncé, en prévenant que son plan allait en « demander plus aux élèves ».
Restaurer l’exigence dès l’école
Partant du principe que « le temps des constats est dernière nous », Gabriel Attal fait de « l’exigence » le maître-mot de sa réforme. Il revendique la fin d’un « déni » tant sur le plan des « notes » que du « niveau ». Des termes qu’il préfère visiblement à « compétences » et « positionnement », plus valorisés par les sciences de l’éducation. Le lexique est un bon indicateur de positionnement politique, comme en témoignent, plus loin dans ses propos, l’emploi des mots « efforts » et « autorité ».
Ainsi posé ce discours de « vérité », le ministre a décliné les axes de son plan « d’action » en précisant qu’il s’adressait prioritairement aux parents des classes populaires et moyennes auxquels il entend redonner confiance dans le service public au détriment d’un privé plus « coûteux ». C’était d’ailleurs un des éléments de son discours de rentrée. Convaincu que le « bon sens » constitue la « boussole » de sa réforme, il en vante la dimension concrète au point de se saisir de l’expression : « Il y aura un avant et un après ».
Du côté du concret, il est d’abord question des programmes (école primaire et collège) qui devront être revus et corrigés par le Conseil national des programmes selon quatre principes : clarté, exigence, sciences et culture générale, par opposition au « fouillis » des programmes actuels qu’il a pointé. Ici encore, le ministre a dit s’appuyer sur les constats des enseignants consultés et le refus du jargon.
La réforme des programmes de primaire sera effective en septembre 2024 pour les classes de CP, CE1, CE2, et en septembre 2025 pour les CM1 et CM2. L’accent devant être mis sur les savoirs fondamentaux en français et en mathématiques. Ce qui se fera notamment par une restauration de l’usage de manuels « labellisés ».
La première nouveauté (ou « grand bond en entière » selon le tweet de Philippe Meirieu) reste bien le retour au « redoublement » qui le conduira, par « décret » au « début de l’année 2024, à modifier le code de l’éducation ». Il s’agit là, comme le concède le ministre, d’un sujet à débat, qui nécessite, pour une bonne mise en œuvre, un accompagnement rigoureux. La mention, « la décision appartiendra aux enseignants », suit le fil implicite du discours, comme s’il s’agissait de redonner aux enseignants une forme de pouvoir qu’une école trop ouverte aux parents leur aurait retiré. « Le redoublement est la preuve de notre manque d’imagination pédagogique », a commenté la sociologue Marie Duru-Bellat sur France info.
La fin du collège unique ?
Sortir du « collège uniforme » constitue le mot introducteur du chapitre « collège ». Ce dont se félicite le Snalc, porteur depuis longtemps de la revendication d’un « collège modulaire ». Il s’agit de tout remettre à plat en commençant par un véritable programme pour les langues vivantes. Ainsi, en déclinant le chantier du collège, le ministre est passé du « choc » à « l’électrochoc » en faisant des changements entrepris sur cette période centrale de la scolarité le cœur de son plan. En l’occurrence, il entend réinstaurer des groupes de niveau en français et en mathématiques, cassant de fait le modèle universel promu par le collège unique.
Gabriel Attal s’est voulu très précis dans sa présentation, soulignant en particulier que le groupe de niveau 1, correspondant aux « élèves les plus en difficulté », ne pourra pas excéder 15 collégiens. Cette innovation sera mise en œuvre en septembre 2024 pour les classes de 6e et de 5e, et en septembre 2025 pour la 4e et la 3e. Elle s’accompagnera toujours pour les élèves en grande difficulté de possibles « cours de remise à niveau » pouvant se substituer au cours dans d’autres disciplines (le ministre pensait-il aux matières artistiques ?).
Le risque principal des groupes de niveau, parce qu’il y en a à l’étranger, c’est que ça se transforme en des filières dont on ne pourrait plus sortir, a mis en garde Marie Duru-Bellat. Elle a souligné que les inégalités sociales étaient renforcées en France par le fait que « le système éducatif n’est pas le même selon les endroits » : « Il y a une différence de qualité de l’offre scolaire qui est très importante et qui sans doute se creuse. Il y a des écoles où plus personne ne veut mettre ses enfants. Il y a des écoles et notamment dans les grandes agglomérations où il y a des parents « bien informés » qui fuient dans l’enseignement privé. »
Pour des chercheurs cités par Le Monde, « les groupes de besoins – et non de niveau – peuvent être pertinents s’ils sont temporaires, centrés sur des compétences précises, et surtout flexibles, de manière à éviter la stigmatisation ». Éric Charbonnier, analyste à la direction de l’éducation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a indiqué qu’il faudrait veiller à ce que« les enseignants soient formés », au risque que « les écarts augmentent, et que le bien-être des élèves diminue ».
Gabriel Attal a conclu son plan avec une définition des enjeux du brevet (DNB) qui doit, selon lui, redevenir « la clef de voûte » du collège. En faisant du DNB le symptôme d’un « affaissement du niveau d’exigence », il a dénoncé une évaluation finale peu crédible où les notes du professeur correcteur sont décrédibilisées par des directives académiques visant à relever artificiellement les moyennes. Il a également annoncé que le DNB deviendrait obligatoire en 2025 pour rentrer au lycée, rompant ainsi avec l’histoire de ce diplôme. Les collégiens échouant à l’examen se verront proposer des « prépas lycée » pour remise à niveau ou orientation.
Le système de notation devrait également évoluer : le contrôle continu devrait voir sa part réduite à 40 %, contre 50 % aujourd’hui, et devrait être constitué des notes attribuées durant l’année et non plus de la validation de certaines compétences par les conseils de classe. Les résultats de l’épreuve devraient compter pour 60 % de la note finale sans plus faire l’objet de« correctifs académiques ». Ceux-ci faisaient par exemple, d’après Gabriel Attal, qu’un 8 sur 20 pouvait être gonflé en 10 ou 12.
Le retour aux bonnes vieilles recettes d’antan, en dépit du « bon sens » qu’elles semblent traduire, n’en invite pas moins à interroger les présupposés politiques qui les animent. Edwige Chirouter, professeure des universités en philosophie de l’éducation à l’université de Nantes, va jusqu’à évoquer dans Libération une « machine à idées réactionnaires ». Avec son « choc des savoirs », le ministre de l’Éducation nationale ne commet-il un hors sujet ? interroge l’UNSA éducation. « Quid de l’écart persistant, quasi structurel, entre les élèves des milieux modestes et ceux venant de familles plus favorisées ? Quid de la formation et de l’accompagnement des enseignants et enseignantes qui ne sont pas évoqués par ce discours. Ou encore du nombre d’élèves par classe plus élevé que la moyenne des pays faisant partie de l’OCDE ? »Qu’en est-il surtout de la consultation des principaux concernés, de la concertation avec les représentants syndicaux, des apports de la recherche ? Le plan est en marche.
A. S.
Ressources
- Ingrid Merckx, « Gabriel Attal : faire confiance aux fondamentaux », L’École des lettres, 29 août 2023.
- Marie Duru-Bellat, Géraldine Farges, Agnès Van Zanten, Sociologie de l’école, Armand Colin, 2018, 384 p., 32 euros.
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