Les classiques : une bibliothèque idéale?
.« Un classique est quelque chose que tout le monde voudrait avoir lu et que personne ne veut lire », écrivait judicieusement Mark Twain. « Les classiques sont ces livres dont on entend toujours dire : “Je suis en train de le relire…” et jamais : “Je suis en train de le lire” », renchérissait Italo Calvino.
Deux définitions lucides – et donc cruelles – par deux écrivains eux-mêmes réputés « classiques », sans oublier Flaubert qui, dans son Dictionnaire des idées reçues, inscrit à l’entrée « Classiques » :
« On est censé les connaître… »
L’affaire semble entendue : le « classique » est un remords relié pleine peau, le repentir d’une bibliothèque. Car le classique fait peur. Souvent gros, il intimide. Et puis il évoque des souvenirs scolaires pour lesquels on n’éprouve pas toujours le doux vertige de la nostalgie…
La collection « Classiques » se propose précisément de rendre le classique moins inquiétant, de l’apprivoiser pour le mettre à la portée des jeunes lecteurs, en abrégeant le texte de manière à laisser intacts le fil du récit, le ton, le style et le rythme de l’auteur, chaque livre conservant ainsi son mouvement et sa continuité propres.
Reste, cependant, abrégé ou non, à distinguer ce qui est classique de ce qui ne l’est pas… Depuis le XVIe siècle, est dit « classique » un auteur de premier ordre, « de valeur » et, depuis le XVIIe, un écrivain digne d’être enseigné dans les classes. Nous y voilà : un classique est un ouvrage à la facture littéraire incontestable et qui se lit… à l’école.
Ainsi poinçonnée, l’œuvre est pérennisée, éternisée, marquée du double sceau du chef-d’œuvre et de l’Éducation nationale. Mais quelle est la part de la « valeur » et celle de la patine des siècles, pour ne rien dire de l’ennui poli, dans l’œuvre classique ? Un mauvais livre peut-il être un classique ? Quel rapport entre les « classiques du fantastique », de la SF ou de la BD et les œuvres de Hugo ou de Balzac ?
On le voit, la notion de « classique » peut aisément tourner à l’estampille fourre-tout, AOC opportuniste et baladeuse, bien éloignée de la définition patrimoniale qu’en donnait Sainte-Beuve :
« Un vrai classique, comme j’aimerais là l’entendre définir, c’est un auteur qui a enrichi l’esprit humain, qui en a réellement augmenté le trésor, […] qui a parlé à tous dans un style nouveau sans néologisme, nouveau et antique, aisément contemporain de tous les âges. »
Et qu’y a-t-il de commun entre Andersen et Shakespeare,Cervantes et Dickens, sinon que leurs œuvres forment un patrimoine commun à plusieurs générations, plusieurs pays, transcendant modes et époques ?
Leur vertu d’universalité, elles la tirent d’un paradoxe que cerne admirablement George Steiner dans Errata :
« Je définis un classique en littérature, en musique, dans les arts, dans la discussion philosophique, comme une forme signifiante qui nous “lit”. Il nous lit plus que nous le lisons (l’écoutons, le percevons). »
Autrement dit, le classique nous questionne. Il met au défi notre conscience, notre intelligence, notre perception du monde. Le classique nous demande : as-tu compris, réfléchi, senti, éprouvé cela ? Es-tu capable de le réinventer ?
Le classique se lit moins qu’il ne se vit et, pour reprendre la si jolie formule de René Char dans son poème amoureux « Allégeance », nous « éclaire de loin pour qu’on ne tombe pas ».
Marie-Hélène Sabard
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La plupart des titres de la collection
« Classiques »
ont fait l’objet d’études
et de séquences dans « l’École des lettres », accessibles sur
www.ecoledeslettres.fr