Citoyens et citoyennes dans la cité antique et dans l’Empire romain

« Une affaire de fabrication »

Détail du Groupe statuaire de Domitius Ahenobarbus © Musée du Louvre.

Le parcours  ici proposé fait suite à celui intitulé  « Vitam agere in civitate-urbe » dans le cadre de l’objet d’étude de Première « Vivre dans la cité », d’après les Nouveaux Programmes de LLCA. Après la notion de « cité » entre civitas et urbs, nous partons à la découverte du mot « citoyen ».
Ce parcours a été réalisé par des élèves confinés, guidés par une professeure confinée elle aussi, dans un souci de « continuité pédagogique ». C’est pourquoi ses supports sont essentiellement audiovisuels, podcasts et iconographies accompagnant les textes. Il peut tout aussi bien être fait par groupes, en classe, en CDI ou salle informatique.

Objectif pédagogique : Cerner la notion de « citoyen », de « citoyenne » également dans la cité antique et dans l’Empire romain.

Qui est citoyen romain ?

Cette question va faire l’objet de notre parcours qui risque de comporter bien des raccourcis insatisfaisants alors que la notion est compliquée, vaste surtout, mobile encore, si on prend en considération des périodes aussi variées que la Royauté étrusque, la République de Menenius Agrippa ou l’Empire des Julio Claudiens ou des Flaviens. Que dire aussi du citoyen romain « nouveau » d’Orient ou de Gaule ? C’est certain : le temps va nous manquer. C’est pourquoi nous aborderons cette notion de citoyen après avoir découvert dans une séquence préalable ce que recouvre celle de « cité », un idéal et une réalité dans le monde antique.
Une manière de « préparer le terrain » en quelque sorte, de sensibiliser les élèves sur le fait qu’une notion se construit en nuances, s’ébauche à la lumière des mots. La démarche sera tout aussi précautionneuse, s’attachant à certains mots donc, qui nous paraissent propres à circonscrire le concept de citoyen. Ce ne sont pas les seuls mais ils vont nous être précieux.

 À Rome, la citoyenneté mais….

 « L’esprit patriotique est un esprit exclusif, qui nous fait reconnaître comme ennemi tout autre que nos concitoyens. Tel était l’esprit de Sparte et de Rome », Jean-Jacques Rousseau, Lettre à Paul Usteri, 1763.

D’abord regardons celui qui vit à Rome, ce citoyen-civis à l’époque de Cicéron par exemple. Regardons ce qu’il est certes, mais les mots qui sculptent la notion disent peut-être surtout ce qu’il n’est pas. En tissant un réseau de substantifs autour de lui, grâce à la recherche lexicale qui ouvre notre séquence, nous réalisons que c’est un citoyen qui se définit en creux, par la négative en quelque sorte ; comme à Athènes, quatre ou cinq siècles plus tôt, la définition du citoyen se dessine par soustraction, par éviction. « Une citoyenneté mais… ».
Le Gaffiot, site en ligne (https://www.lexilogos.com/latin/), nous ouvre un champ de connaissances : le civis est en interaction avec d’autres : le Populus Romanus, les peregrini, la familia, mais aussi le libertus, la plebs ou les  patres [voir l’Annexe en fin d’article ]. On le voit, il se comprend donc dans sa relation à un groupe d’hommes, de femmes, d’esclaves, d’enfants, d’affranchis, de pérégrins, de nobles et de plébéiens. Il est membre d’un groupe, d’un corps social, dans lequel il s’inscrit pleinement, pour lequel il revêt des rôles, des fonctions et des missions ; ou au contraire, il se caractérise par rapport à ces groupes auxquels il n’appartient justement pas. Circonscrire une notion, c’est donc bien tracer des limites et laisser apparaître des mots connexes qui l’éclairent, le discriminent aussi.

Domus et Manus :
des privilèges, des prérogatives et des distinctions

Outre les catégories sociales énumérées plus haut, deux mots vont nous intéresser particulièrement. Deux noms communs dont les sens seconds et métaphoriques vont éclaircir notre recherche. La domus d’abord : son radical dom– met en lumière combien la citoyenneté est liée au pouvoir qu’un être vivant a sur un autre : dans sa dom-us, le dom-inus dom-ine toute sa familia. Le citoyen a des pouvoirs (qui peuvent être des droits mais pas seulement), pouvoirs augmenté par le fait qu’il peut être un citoyen patronus, considéré, par des clients qui le servent. Le civis est vénérable, honoré ; il possède des privilèges : c’est bien là l’un des sens primitifs de pater qui appartient à la même famille de mots. Privilèges, faveurs, droits qui le distinguent.
De même, la manus donne toute sa clarté à ce qu’est un citoyen romain car son sens figuré porte de riches symboles. Il permet à des élèves de Première de revoir avec domus la quatrième déclinaison. Mais ce terme nous éclaire surtout ce qu’est un rite : un geste concret qui, parce qu’il est fait, a un réel pouvoir.

La main imposée ou la main prise sont là encore signes de pouvoir, nous dirions de « mainmise ». Ici la citoyenne affirme son pouvoir sur la jeune esclave.

La notion de citoyen semble se constituer d’un faisceau de mots signifiant des prérogatives devenues droits avec le temps. Rappelons le : une prérogative est un « avantage, un droit, un pouvoir lié (exclusivement) à certaines fonctions, ou à certaines dignités » (Centre national de ressources textuelles et lexicales). C’est donc cela d’abord : la prérogative exclut les autres qui ne l’ont pas. D’ailleurs, dans le même Gaffiot, nous trouvons pour illustrer les emplois figurés de manus des exemples éloquents, rappelant le pouvoir premier des hommes :

Majores nostri feminas voluerunt in manu esse parentium, fratrum, virorum (Liv. 34, 2, 11, « Nos ancêtres voulurent que les femmes soient sous la dépendance des pères, des frères, des maris »,

ou encore :

Cum mulier in viro in manum convenit (Cic.Top., 23, «Quand une femme tombe sous la puissance légale d’un mari »), soit « quand une femme se marie ».

Si son sens premier est la « main », partie de notre corps, de manière métaphorique, elle devient souvent manifestation du pouvoir car la main (métonymie de tout le bras), c’est la force ; la force militaire mais aussi la force politique et juridique. On trouve enfin ce mot dans des occurrences où il signifie violence. La manus est l’autorité du dominus sur toute sa familia, et du pater familias sur toute sa gens (sa « famille » en tant que « souche »). Enfin, l’expression utilisée par Cicéron Servum habere sibi ad manum (Cic. Or., 3, 225 : « avoir sous la main – à sa disposition –, un esclave ») rappelle bien que l’autre (le servus ou la femina-mulier), inférieur, n’est réduit qu’à une chose.

Bas relief représentant le rituel d’affranchissement de deux esclaves (1er siècle av. J.-C) © Musée royal de Mariemont, Belgique.

La Mancipium (est l’« action de prendre avec la main la chose dont on devient acquéreur », selon le Gaffiot). Il s’agit bien d’un transfert de propriété. Cette préhension corporelle concerne le transfert de la propriété d’un bien . Ces res mancipi pouvaient être des hommes libres ou des esclaves, des terres ou des animaux. Ainsi, « vendre » peut se dire mancipio dare et « acheter » mancipio accipere.
L’é-mancipation ou manu-mission est bien la fin de cette mainmise du père sur l’enfant, du maître sur un membre de sa familia. Celle-ci se faisait avec le recours de certaines formalités accomplies devant témoins. Selon une règle de la Loi des Douze Tables, un père libérait son fils de son autorité paternelle en le vendant trois fois à un ami qui l’affranchissait. Le fils était alors libéré de l’autorité du père et pouvait poser lui-même des actes juridiques.
Enfin, le citoyen domine surtout parce qu’il est fortifié par ses concitoyens : Omnes cives tui disait Cicéron (Cat.1,17) : le civis signifie d’ailleurs autant « citoyen » que « concitoyen ».

Dans l’Empire romain, la citoyenneté aussi

Ce fort conservatisme qui s’observe jusqu’au début du règne d’Auguste au Ier siècle de notre ère, conservatisme assis sur des prérogatives données à quelques-uns surtout, ne va pouvoir durer dans un Empire de plus en plus important. Car l’Empire romain compte des peuples hétérogènes qu’il devient urgent d’unifier dans un même territoire gigantesque. Rome va se faire pragmatique. Elle va inclure…  « La citoyenneté, une romanité aussi… ».
 

 « Devenir et être citoyen romain »

Pour comprendre comment la citoyenneté va devenir inclusive, on invitera les élèves à écouter Dimitri Tilloi d’Ambrosi, professeur d’histoire spécialiste de l’Antiquité dans l’émission Storiavoce du 22 avril 2018 (https://storiavoce.com/devenir-et-etre-citoyen-romain/). Il rappelle comment on devenait citoyen romain avant l’édit de l’empereur Caracalla et axe sa réflexion autour de trois questions principales :
• Quelles sont les différentes façons pour devenir citoyen et qui peut le devenir ?
• Quels sont les rites qui marquent l’accès à la citoyenneté ?
• Quels sont les droits du citoyens et ses privilèges ?
Ce seront les trois questions que nous poserons aux latinistes pour motiver leur écoute et prise de notes. L’objectif est de comprendre ce qu’est la romanité au début de l’Empire, romanité distribuée plus largement que la citoyenneté athénienne. Notons que l’historien emploie volontiers le terme de « romanité », terme complexe qu’il serait ambitieux d’expliquer dans toutes ses nuances à des lycéens. Ce terme remplace « citoyenneté » fréquemment dans la bouche du professeur. Gardons l’idée première qu’il désigne tout à la fois « l’ensemble des territoires dominés par la Rome antique » et « les caractères et mœurs des anciens Romains ».

Groupe statuaire de Domitius Ahenobarbus (IIe siècle av. J.-C.) © musée du Louvre.

Ainsi, la naissance, l’affranchissement, le service dans l’armée mais aussi le fait d’avoir rendu de grands services à l’Empire sont autant de moyens d’obtenir le statut de « citoyen romain ». Un individu, une cité voire une province tout entière peut recevoir la citoyenneté. Le mot « citoyen romain » diffère de l’acception que nous en avons aujourd’hui : le civis appartient à la communauté où l’intérêt du plus grand nombre prime sur l’individu. L’invité décline durant quinze minutes les insignes, les droits et les obligations du citoyen. Tout est affaire de contrepartie : le citoyen doit accepter les charges coûteuses qu’il va assumer et, citoyen riche, il va mettre ainsi sa fortune au service du plus grand nombre.
Détail du Groupe statuaire de Domitius Ahenobarbus © Musée du Louvre. Le sens de l’intérêt commun, on le voit, est très fort et constitue le ciment de ce grand Empire, un facteur insigne d’inclusion. Des noms comme l’historien Flavius Josèphe ou le chrétien Paul de Tarse, tous deux juifs et citoyens romains, sont bien la preuve de cette inclusion progressive d’habitants de l’Empire.

Dimitri Tilloi d’Ambrosi évoque aussi une forme d’exclusion qui demeure encore mais qu’il sait nuancer. La femme tout d’abord peut être qualifiée de « citoyenne » : l’expression civis Romana se trouve sous la plume de Cicéron (Balb, 55), preuve qu’on peut parler de « citoyenne » puisqu’elle enfante des citoyens et leur donne la citoyenneté mais sans jouir elle-même de droits. Les pérégrins par ailleurs peuvent parfois être citoyens de leur cité d’origine mais également citoyens romains quand cette cité fait partie de l’Empire. Seuls les esclaves demeurent sans personnalité propre, ne pouvant s’impliquer dans la vie politique.
L’illustration de l’accès à la citoyenneté tel qu’il l’est expliqué dans l’émission pourra faire l’objet de recherche complémentaires, par groupe ou individuellement, selon les modalités d’enseignement. On demandera par exemple d’apposer à des reproductions trouvées sur des sites les légendes suivantes (inspirées de l’émission écoutée) :
1. L’inscription dans une tribu (au sens électoral de groupe de citoyens).
2. La toge virile.
3. L’ abandon de la bulla ou la depositio barbae.
4. Le port des tria nomina.
5. Le vote. (Dimitri Tilloi d’Ambrosi  rappelle en effet combien les gestes précis de cet acte citoyen sont lisibles sur l’autel de Domitius Aenobarbus conservé au Louvre.)
6. Le port de vêtements marqueurs de la catégorie sociale, comme des insignes honorifiques notoires : la toge laticlave pour les sénateurs (à large bande pourpre) ou angusticlave pour les chevaliers romains (latus,a,um,« large » étant l’antonyme de angustus,a,um, « étroit »). Ce sont autant de marques, symboles et signes extérieurs notifiant cette appartenance à la citoyenneté romaine dans tout l’Empire.
Gravure réalisée par Pierre Etienne Moitte d’après un dessin de Jean-Baptiste Oudry représentant la fable « Les membres et l’estomac », de Jean de La Fontaine (fable 2 du livre III), 1755-1759.

« Les membres et l’estomac »

Cet octroi de droits et de privilèges s’observe en fait dès la naissance d’une Rome républicaine qui devient puissante. L’historien Tite-Live déjà s’est attaché à raconter dans son Histoire de Rome depuis sa fondation (littéralement Ab Urbe Condita), comment Rome s’est fortifiée des concessions et des inclusions faites à l’égard  d’habitants du Latium d’abord, puis de Latins pour qu’un Royaume puis une République unifiée vive. La notion de « citoyen » devient la « garante » d’un territoire ne cessant de s‘étendre car il est nécessaire que cette croissance s’accompagne d’un idéal partagé : celui d’être citoyen romain, même hors de Rome. Une des premières images qui va sceller ce contrat est celle du corps.
L’anecdote est célèbre et la fable de Menenius Agrippa plus encore. Sa lecture de manière bilingue ou en ménageant un temps de version incite à comprendre cette nécessité de cohésion, cet impératif aussi d’inclusion de droits nouveau pour le citoyen. Pour des élèves de Premières, c’est aussi l’occasion de découvrir que l’apologue est un genre littéraire, une argumentation indirecte très prisée dès l’Antiquité. À telle enseigne que La Fontaine la traduira en fable versifiée  dans son livre III des Fables (1668).
Tite-Live raconte ainsi la dissension à l’intérieur d’un corps politique. Par cet apologue inventé par un habile orateur, d’origine plébéienne, le consul Menenius Agrippa, l’auteur rappelle non seulement à ses lecteurs que le conflit se règle par la parole, mais encore que, dans bien des cas, un régime est fortifié, conforté par la confrontation quand celle-là trouve son issue dans un consensus. Ici entre les Patriciens et les Plébéiens.
Situons l’instant de crise qui éclate en cette année 494 avant J-C. Une lutte interne travaille depuis longtemps le corps social romain et  fragilise le pouvoir en place. Ce pouvoir est tenu par les patriciens, les plus anciennes familles romaines, et par le Sénat constitué de ces mêmes patriciens. La plèbe, quant à elle, est à un moment critique de son existence : appelée au service militaire, elle ne peut travailler. Donc, couverte de dettes, elle est menacée par l’esclavage puisqu’on peut devenir servus par endettement. Alors, risquant d’être amputée de ce bien, de ce pouvoir qu’est la citoyenneté en devenant servile, privée de la liberté, elle demande des droits, et fait sédition. Elle se retire sur le mont Sacré, au-delà du fleuve Anio, sans aucun chef, refusant de prendre les armes, « tranquilles durant quelques jours dans un camp fortifié » nous dit Tite-Live.
Et la ville a peur. Elle redoute l’agression d’un peuple voisin, d’être sans défense. Le Sénat envoie Menenius Agrippa qui choisit le langage simple de l’apologue pour convaincre :

Tempore, quo in homine non, ut nunc, omnia in unum consentientia… (« Dans le temps où l’harmonie ne régnait pas encore comme aujourd’hui dans le corps humain »).
À la fin du conte, «  La comparaison de cette sédition intestine du corps avec la colère du peuple contre le Sénat, apaisa, dit-on, les esprits. »

La réalité est que pendant deux siècles, une lutte des classes va « travailler » le corps politique romain : la république aristocratique va élargir son concept de « citoyen » pour aboutir à une constitution romaine an 287 avant J-C. Au début sur la défensive, la ville de Rome lutte pour garder sa place au sein du Latium, comme ses patriciens désirent préserver leur « manus », plus exactement leur auctoritas (« droit », « garantie », « autorité » « importance et prestige » d’après le Gaffiot). Puis cette ville étend son influence sur toute la péninsule italienne pour devenir capitale.
On peut envisager d’initier une recherche personnelle ou en petits groupes des droits acquis progressivement à partir de cette crise historique. De nombreux sites offrent des réponses au fait que le pouvoir des tribuns ne cessa de s’étendre au cours des années suivant la crise de 494 avant J-C,  jusqu’à obtenir le droit de veto (l’intercessio soit un veto sur tous les actes des magistrats).
On peut de manière moins  chronophage proposer une recherche sur ce mot propice aux métaphores : corpus, corporis, mot neutre, tout à la fois « corps humain » , « individu » et « ensemble constituant un tout » telle une « ossature ».
Un parcours plus ludique consiste à analyser les divers bâtiments qui ont constitué le montage de l’illustration du parcours « Vivre dans la cité », que voici. La recherche peut être ainsi lancée :

• Quels bâtiments reconnaissez-vous dans cette composition ? Quel lien faites-vous avec l’activité, les droits et les devoirs du citoyen romain ? Pour répondre, il faudra vous renseigner sur ces droits et devoirs d’un citoyen romain, sur sa journée type, révélatrice de ses activités et privilèges.
On observera un mélange de monuments romains et athéniens, espaces à ciel ouvert, lieux pour « faire corps » ; on reconnaîtra ainsi un théâtre grec en hémicycle, au cœur de la cité, mais aussi  un forum romanum avec les rostres du forum républicain à Rome sur le Comitium, la Curie et quelques fragments d’arcades de la basilique Iulia. Certains lieux sont en revanche refermés sur eux-mêmes : les temple comme le Temple de d’Auguste recelant ce qui est sacré (le sacer étant étymologiquement « ce qui est séparé, à part »).
Il indique aussi combien le culte de l’empereur devient constitutif de la définition de citoyen romain sous l’Empire. On distingue enfin des silhouettes de citoyens en toge défilant pour voter. Pour pouvoir reconstituer les divers éléments d’un forum, on pourra indiquer des sites aux élèves, où des visites virtuelles sont proposées tel que https://sites.google.com/site/errarebozelumest/home/le-coin-des-4eme/civilisation/rome-antique ou la vidéo du 25 août 2011, de Bernard Frischer « Rome Reborn » sur You Tube.
Au sujet du traitement réservé au citoyen romain quand il était jugé, condamné, Dimitri Tilloi d’Ambrosi a rappelé dans son intervention radiophonique le sort réservé à Paul de Tarse, apôtre de Jésus, mort par l’épée et non crucifié comme un esclave, du fait qu’il était citoyen romain.
Si l’on désire davantage goûter aux textes latins, on pourra proposer aux élèves la lecture bilingue ou la traduction (aménagée car difficile) du supplice que Verrès fait subir au citoyen Gavius, supplice raconté par Cicéron dans son discours De Suppliciis (Livre V, LXII). Retentit son cri déchirant « JE SUIS CITOYEN ROMAIN ! ». Et Cicéron d’ajouter :

« Il croyait par ce seul mot écarter tous les tourments et désarmer ses bourreaux. Mais non ; pendant qu’il réclamait sans cesse ce titre saint et auguste, une croix, oui, une croix était préparée pour cet infortuné, qui n’avait jamais vu l’exemple d’un tel abus du pouvoir. LXIII. O doux nom de liberté ! droits sacrés du citoyen ! loi Porcia ! loi Sempronia ! puissance tribunitienne, si vivement regrettée, et enfin rendue aux vœux du peuple, vous viviez, hélas! et dans une province du peuple romain, dans une ville de nos alliés, un citoyen de Rome est attaché à l’infâme poteau. »
 

Citoyen et citoyenne dans la cité antique…
petit détour à Athènes pour une recherche nuancée

« On ne naît pas citoyen, on le devient »,
Simone de Beauvoir, « Le Deuxième Sexe » (1949).

À la fin de notre parcours, nous proposons ici une mise en regard de la notion de citoyen telle qu’elle peut être aujourd’hui comprise dans le monde grec. L’écoute et la prise en notes d’une émission  de « La fabrique de l’histoire » sur France Culture , diffusée le 15 janvier 2019 engagent à interroger et  redessiner les diverses figures de la participation citoyenne dans la Grèce antique. Les invités, Violaine Sébillotte-Cuchet et Vincent Azoulay, permettent de prendre conscience que la définition du citoyen selon Aristote peut être nuancée, dépassée même : les recherches contemporaines tentent à prouver que le citoyen et la citoyenne jouissaient de certains privilèges, pas les mêmes pour tous certes.
Citoyens et citoyennes  jouissaient à Athènes, au Ve siècle, de droits, divers, variables et fragmentés, dont certains pouvaient leur être retranchés. Nos connaissances vont ainsi pouvoir être affinées et nos idées, parfois trop « reçues », être sensiblement ou radicalement modifiées. Les intervenants rappellent ainsi qu’il y avait un vrai contrôle des élites de ce régime appelé « démocratie ».
Ils s’attachent surtout à remettre en cause le seul critère qui a eu la vie longue, selon lequel était citoyen l’homme blanc, ni métèque, ni esclave, ni femme. Un critère par la restriction, là encore, par lequel des historiens, aujourd’hui dépassés, estimaient que lui seul  participait à la vie politique, c’est-à-dire était  autorisé à juger, à détenir le pouvoir de jugement (la crisis) et à remplir une magistrature (c’est à dire détenir le pouvoir appelé archè).

Plaque dite des Ergastines : fragment de la frise est du Parthénon. Ces illustres tisseuses du peplos d’Athéna, ces travailleuses orgueil de la cité, marchent en procession. © Musée du Louvre / Daniel Lebée et Carine Deambrosis.

Comment une telle définition du citoyen athénien a-t-elle su vivre si longtemps ? Parce que la recherche pendant des siècles a été fondée sur des sources essentiellement littéraires, des transcriptions de ces assemblées citoyennes, où des hommes prennent la parole devant des hommes. Mais c’est oublier un fait : le lieu sur lequel se rassemblaient les citoyens, la Pnyx, pouvait accueillir 6 000 citoyens au temps de Périclès, 8 000 au IVe siècle avant J-C, soit 10 % des citoyens. Une représentativité limitée donc, qui était de plus intermittente et irrégulière. Une deuxième raison s’ajoute à ces progrès de la recherche. Ainsi, de nouvelles sources nourrissent aujourd’hui les spécialistes : des frises qui ornent les monuments sacrées, des stèles et des inscriptions que les épigraphes ont eu le bonheur de traduire.
Nos deux intervenants reprennent dès lors à leur compte la formule devenue slogan qui ouvre le deuxième tome du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas citoyen, on le devient » C’est une affaire de fabrication : « On fabrique la féminité comme on fabrique d’ailleurs la masculinité, la virilité » dira la philosophe à Pierre Viansson-Ponté éditorialiste au  Monde en janvier 1978. L’émission reprend cette formule pour aborder particulièrement la citoyenne athénienne, qui existait à part entière et qui avait des droits et des prérogatives dont certains qu’elles ne partageaient pas avec les citoyens hommes.  Séparer les femmes puis définir deux autres catégories (métèques et esclaves), c’est oublier que les femmes forment la moitié de l’humanité : il y avait donc des femmes, des citoyennes, des femmes esclaves, des  femmes métèques.
Être citoyen se fabrique aussi parce qu’on est tout d’abord citoyen athénien par un acte de proclamation fait par le père, en accord avec la mère la plupart du temps. Puis on devient citoyen par éducation, d’abord indifférenciée entre garçons et filles puis selon leurs fonctions à remplir dans la société. Cette éducation varie aussi selon la classe sociale, la richesse de la famille, l’époque…Les sépultures ont révélé que des jeunes filles, choisies pour tisser le peplos d’Athéna en vue des  fêtes des Panathénées, étaient citées sur des stèles, sur l’Acropole. Leur nom apparaissait selon leur tribu et leur dème, tout comme des guerriers cités et honorés. C’est bien là la preuve que ces ergastines étaient citoyennes, puisque leur identité est inscrite dans un groupe, dont elle sont membre : leur tribu et leur dème sont indiqués comme pour les citoyens masculins. La religion est pleinement incluse dans les fonctions citoyennes et y participent des femmes et des hommes.
Enfin ces historiens nous remémorent qu’en période de crise, les contours de la  communauté peuvent bouger. On a vu des esclaves enterrés et cités au champ d’honneur lors de la bataille de Marathon en 490 avant J-C ; c’est ce que nous rapporte Pausanias, disant par là même que ces esclaves furent traités comme des citoyens. C’est vraiment un critère essentiel pour être ou devenir citoyen que d’être attaché aux fonctions utiles à sa cité, fonctions auxquelles des honneurs importants sont attribuées. Détenir une terre, transmettre un héritage, participer à certaines cérémonies, pénétrer dans certains lieux (notamment religieux ou la Pnyx) sont des privilèges primordiaux que la recherche récente tend à valoriser. Ce sont ces fonctions utiles, ces privilèges et ces droits, fragmentés souvent qui constituent une définition plus honnête et plus complète du citoyenne et de la citoyenne.
Ces faveurs et pouvoirs peuvent être retranchés ; c’est le cas de l’ostracisme ou de l’atimie (la déchéance de la femme adultère). Mais ils peuvent être tout autant octroyées comme nous l’avons vu. On voit bien qu’est dépassé le seul critère d’Aristote concernant l’homme athénien libre et blanc. La citoyenneté se fabrique car elle se construit et se déconstruit.

Haude de Roux

ANNEXE

Pour plus de précisions sur la signification des mots évoqués ci-dessus….
Populus Romanus : c’est l’ensemble des citoyens (cives) : ils sont membres du Populus Romanus, patriciens et plébéiens possédant des droits politiques dont deux majeurs : le droit de vote, le droit d’engager un procès.
Peregrini,orum,m.pl : « les « étrangers » ; leur nombre n’est pas négligeable à Rome, particulièrement lors de l’extension de l’Empire. Ils étaient privés des droits spécifiques aux Romains, mais le droit romain n’était pas indifférent à leur égard : un magistrat, le préteur pérégrin, s’occupait de leurs relations avec les Romains, sur le plan juridique. Ces étrangers pouvaient bénéficier d’une protection particulière : celle du patron (mot forgé sur le même radical que pater,patr-is,m ; il dit ce respect et ce lien hiérarchique). Le patronus donc, en faisant son « client » d’un pérégrin,  lui garantissait son aide en échange de devoirs ( assimilés à des services rendus).
Familia,ae,f : le premier sens du Gaffiot est clair : c’est l’ensemble des esclaves de la maison ; les « dom-estiques » d’une domus, c’est-à-dire le personnel des esclaves. Les esclaves (servi) forment une catégorie nettement distincte,  sous la dépendance (manus) du dominus (étymol. de la dom-us). Ce maître de maison avait droit de vie ou de mort sur eux, comme le pater familias sur ses enfants. Ils sont considérés comme des « choses » : on trouve chez Strabon en effet le terme res dans des inventaires du matériel et du bétail de fermes-villae ; les esclaves sont des outils agricoles parmi d’autres. Ils sont donc avant tout regardés comme des forces productives appartenant à la familia, ce qui implique que le maître est tenu d’appliquer certaines règles à leur égard.
La croissance des latifundia, grands domaines agricoles, garantissant la fortune des grandes familles patriciennes, engendra une transformation économique réelle : vers le IIème siècle av. J.-C., on assista à une arrivée en masse des esclaves, liée aux conquêtes générant grand nombre de prisonniers de guerre venus de tout l’Empire. L’accroissement de la main d’œuvre servile permit par là même l’enrôlement  des petits paysans quittant la terre pour l’armée. L’Empire grandit sans que l’économie en pâtisse, bien au contraire.
Libertus,i,m : l’affranchi appartient au corps des citoyens romains, mais demeure membre d’un groupe particulier qui peut occuper des fonctions élevées tout en restant lié à leur maître  devenu leur patron (patr-onus) après l’affranchissement. Le libertus est donc lié à la domus par le lien de la clientèle, lien solide qui donne toute sa cohérence à la structure sociale de Rome. Les affranchis prenaient d’ailleurs le prénom et le nom de leur maître auxquels ils adjoignaient leur surnom d’ancien esclave. S’ils n’avaient pas de fils ni fait de testament, leur fortune revenait à leur ancien maître.
Dans la société impériale, ils occupèrent une place grandissante : certains furent même chargés du culte impérial ; ces six prêtres étaient appelés  seviri Augustales (se-viri pour *sex-viri : « 6 hommes »). On a vu des sénateurs trembler devant certains affranchis, favoris et conseillers des empereurs ; en retour, ces affranchis essuyaient le mépris des membres de cette même aristocratie sénatoriale. D’ailleurs, dans la littérature, ils sont dépeints comme des nouveaux riches, des Trimalcion à l’hospitalité exubérante et grossière.
Modèle risible du parvenu, l’affranchi fait naître le comique au théâtre ou dans les romans. Sa richesse a été favorisée par la loi Claudia en 218 apr. J ;-C. Elle interdisait en effet aux sénateurs d’exercer des activités commerciales ou financières importantes. Ce fut le creuset qui servit la fortune de nombreux affranchis qui amassèrent alors beaucoup d’argent par les services rendus à leur patron.
Plebs,is,f : la plèbe, c’est-à-dire l’ensemble des plébéiens : tels sont les sens premiers que donne le Gaffiot. C’est le « peuple » par opposition aux patriciens. On trouve aussi des significations plus péjoratives comme le « menu peuple », la « classe inférieure », la« populace » ; enfin  le « vulgaire ». L’histoire des premiers siècles de la République romaine, nous le verrons, est centrée sur les luttes intestines qui opposèrent la plèbe, opprimée et désireuse d’obtenir plus de droits, aux patriciens. (Voir le récit de Tite-Live dans son Ab Urbe Condita)
Le terme de « patriciens » est évocateur par son étymologie : pater,tris est une épithète laudative qui signifie « divin », « auguste », « vénérable ». Virgile parle du « pater Aenea » (le divin Enée). Ju-piter est le dieu-de lumière(*Ju-). Le mot est avant tout lié au sacré, à ce qui constitue le fondement de la civilisation romaine, celle des premiers âges, avec ses « pères fondateurs », ses patres, « ancêtres » dont la généalogie rappelle leurs origines divines. Le Latium est une terre divine, choisie, civilisés par des « hommes vénérables », les élus de la patr-ia.
Patres,trum, m.pl : Ces « hommes vénérables », justement, ces « dignes de recevoir un culte », sont les « ancêtres » ; ils constitueront la première assemblée d’une Rome naissante, royale ; ils sont les compagnons de Romulus, ces chefs de famille  qui selon la légende, l’aidèrent à chasser l’oncle usurpateur d’Albe, qui le suivirent pour bâtir la ville nouvelle, qui siégèrent dans les premières assemblées. Puis, sous la République, ils désignèrent aussi « les sénateurs ». Ce sont les Patres conscripti, les sénateurs, qu’invoque souvent Cicéron dans ses discours. À eux la noblesse, la richesse, les distinctions et le pouvoir.

Haude de Roux

 
 
 
 

Haude de Roux
Haude de Roux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *