Capes 2022, préparez vos mouchoirs…
De même qu’un train peut en cacher un autre, une réforme peut en cacher une autre : après le nouveau bac 2021, se profile le nouveau Capes 2022. Que celles et ceux qui ignorent encore ce que sera le prochain concours de recrutement s’apprêtent à découvrir un monument dévasté.
« Nouveau venu qui cherches Rome en Rome / Et rien de Rome en Rome n’aperçois… » Ce souvenir de Du Bellay, évoquant ainsi sa déception de la Ville éternelle victime des hommes et du temps, ne peut que revenir en tête, à l’heure où nous tournons les yeux vers le Capes et où rien du Capes ne revit sous nos yeux.
L’entretien de personnalité,
nouvel arbitre de toutes les compétences
En effet, si le Capes, création décidée en 1950, consacrait des candidats ayant une méritoire connaissance de leur discipline, désormais le Capes 2022 saluera des candidats sachant ouvrir Internet et réciter les valeurs de la République. La référence ne sera plus l’agrégation, horizon ultime d’excellence, mais l’entretien de personnalité, nouvel arbitre de toutes les compétences.
Depuis les années 2000, les épreuves écrites avaient déjà peu à peu fusionné, conservant cependant à côté de la dissertation une épreuve de langue englobant grammaire, stylistique et ancien français. Même sans être brillant, chacun pouvait savoir ainsi ce qui constituait les piliers d’une formation complète. Chacun pouvait se situer, être fier ou honteux de son niveau mais rester toujours plein d’estime pour un concours qui était exigeant et faisait autorité. Or bientôt, à côté d’une épreuve écrite disciplinaire aux contours encore mal définis, s’imposera une épreuve écrite inédite, dite de « discipline appliquée », appuyée sur la mise à disposition de ressources documentaires et numériques afin de construire une séquence. Exit le savoir, le savoir travaillé, fait sien, assimilé, acquis après de vraies études de lettres, et bienvenue à ce qui ressemble déjà à un devoir d’élève : compilation, reproduction, copié-collé, paraphrase… Dès l’écrit, le concours vacille.
De l’explication de texte à la « séance d’enseignement »
Mais l’ébranlement du savoir n’en reste pas là : l’oral est le véritable coup de grâce porté à l’exigence disciplinaire. L’explication de texte disparaît, diluée dans une « leçon » n’étant autre qu’une « conception et animation de séance d’enseignement » avec en point de mire des compétences pédagogiques. Et la seconde épreuve, point d’orgue du nouveau concours, est un entretien qui nul ne présente mieux, dans sa vérité éhontée, que ses concepteurs ministériels, la qualifiant ainsi de :
« Seconde épreuve orale d’entretien sur la motivation du candidat et sa connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation, sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et à se positionner en fonctionnaire. L’oral d’entretien doit permettre au candidat de faire valoir son parcours, mais aussi de valoriser ses travaux de recherche. »
Un entretien de personnalité au Capes : que l’on se rende compte de ce que cela signifie pour toutes les générations qui se sont présentées depuis 70 ans à ce concours ! Quelle stupeur, quelle désolation doivent s’emparer des capésiens d’hier et d’aujourd’hui ! Quel recul !
Faut-il croire que l’on manque de candidats à ce point pour s’orienter vers un recrutement d’enseignants non plus professeurs de français, de mathématiques ou d’histoire, mais simples professionnels du service public, des valeurs de la République et de l’ « animation de séances » ? Peut-on croire que l’exigence disciplinaire aurait été la cause première, sinon la cause unique de la désaffection d’un métier dont le concours d’accès serait trop difficile dans sa forme actuelle ? N’y-a-t-il pas là qu’une analyse simpliste, délibérée et illusoire ?
Tout porte à croire que l’on s’égare dans les services du ministère
(Trop) peu de candidats aux concours ne peut signifier ou impliquer de renoncer au respect dû aux bons candidats. Car si l’on parle souvent des postes non pourvus faute de candidats « au niveau », il faudrait aussi rendre hommage à tous ceux – majoritaires – qui sont d’excellents candidats, connaissant et aimant leur discipline, parfaitement capables de transmettre leur goût et leur savoir, véritable avenir des générations passés d’enseignants. N’est-ce pas déjà assez, déjà insupportable, qu’à l’heure actuelle ce soit les collèges et lycées en zone d’éducation prioritaire qui accueillent le plus grand nombre de vacataires, donc les personnels les moins bien formés ? Là où les élèves les plus en difficultés réclament eux-mêmes le droit à des professeurs compétents, loin d’entendre le message d’alerte, on se tourne vers un recrutement qui amplifiera inexorablement le sentiment d’abandon…
Certes la réforme s’inscrit dans le cadre d’une révision du master MEEF et de la pré-professionnalisation qu’elle rend possible. Certes la plupart des candidats pourront faire valoir des expériences d’enseignement amorcées durant des stages dès la licence et en M1. Certes ils auront une connaissance du terrain, des élèves, mais la connaissance de leur discipline ? Comment en sortirait-elle renforcée ? Seule certitude : les étudiants en seront un peu plus privés, eux qui ressentent toujours le besoin d’y consacrer plus de temps. Comme s’il y avait lieu, à terme, d’abolir la division entre Capes externe et Capes interne, et d’imposer le modèle de l’interne dans un concours qui, pour l’heure, sanctionne encore des études et honore encore des étudiants.
Dans toute cette affaire, le recrutement de fonctionnaires de l’État glisse vers les formes du recrutement commercial et privé : un entretien, et bientôt un commentaire de son CV plutôt qu’un commentaire de texte littéraire. Décidément le temps presse pour limiter la casse.
Pascal Caglar
• Un exemple de réaction : la position des membres du Capes externe de philosophie, des enseignants et des chercheurs en philosophie.
Je me dois de répondre au commentaire ci-dessus : j’ai passé le capes d’allemand en 2015, et un bon 40% des épreuves (entre l’écrit et l’oral) portait déjà sur la pédagogie, la didactique, les valeurs de la République etc.
Et tout cela a largement suffi pour que je m’en sorte pendant mon année de stage (dans le 93), ainsi que les années suivantes, muté dans plusieurs collèges et lycée de la Seine-et-Marne. Pas besoin d’en rajouter : très souvent, ce sont les cours de l’ESPE (INSPE ou ancien IUFM) qui sont totalement déconnectés de la réalité ! Ce qui a fait de moi un professeur d’allemand est la connaissance de l’allemand, de sa grammaire, de sa littérature, de son histoire.. sans cela, comment répondre aux questions des élèves ?
Dommage de constater que le Ministère de l’Education Nationale prive son école de professeurs préparés. Sans vouloir manquer de respect à la future collègue qui a écrit avant moi, les professeurs de demain seront beaucoup moins préparés que nous – qui sommes déjà largement bien équipés de tout le tralala pédagogico-socioconstructiviste-bienveillants ! Je suis désolé, votre commentaire est méprisant vis-à-vis de nous, personnel déjà en poste, qui ne faisons pas moins preuve d’humanité que celle que vous ferez demain!
Alors déjà, quel noir tableau ! Je suis en master MEEF, cette dernière année avant la réforme, et on nous en a bien parlé. Dans ma discipline (physique-chimie) le nouveau programme de terminale est bien plus complet que l’ancien, donc de plus en plus de notions au contenu éliminatoire sont à prévoir. Les enseignements seront certes plus orientés sur le numérique, mais comme le sont les nouvelles professions. Avant même cette reforme on a déjà des stages en M1, et j’apprends bien plus de ma discipline avec ces stages (en me basant dessus pour mes révisions du concours) qu’avec des cours faits par des universitaires et n’ayant pas de rapport avec les contenus à enseigner. Faire ses cours à partir de recherches personnelles c’est bien plus formateur pour approfondir une discipline que d’apprendre des CMs aux contenus trop larges pour tout revoir en 8 mois. Je ne pense pas que je serais une moins bonne enseignante disciplinaire avec cette nouvelle réforme qu’avec la formule actuelle. Le public évolue, l’école doit aussi évoluer, et ça ne signifie pas nécessairement perdre en niveau, mais travailler différemment en sélectionnant ce dont on va avoir le plus besoin pour débuter. Aussi si on veut faire que du disciplinaire il ne faut pas être prof, c’est un fait qu’il y a un aspect humain et c’est bien aussi de le mettre en avant pour éviter d’avoir des profs qui n’aiment pas leur métier et qui font payer aux gamins leur frustration.