Briony May Smith redonne le sourire aux Brontë

Cet album restitue aux enfants Brontë une enfance et une insouciance que les deuils successifs ont obscurcies. Les illustrations, qui rappellent l’école belge, lui confèrent la légèreté voulue, et la matière peut se prêter à l’objet d’étude « Famille, amis réseaux » en classe de cinquième.
Par Stéphane Labbe, professeur de lettres (académie de Rennes)

Cet album restitue aux enfants Brontë une enfance et une insouciance que les deuils successifs ont obscurcies. Les illustrations, qui rappellent l’école belge, lui confèrent la légèreté voulue, et la matière peut se prêter à l’objet d’étude « Famille, amis réseaux » en classe de cinquième.

Par Stéphane Labbe, professeur de lettres (académie de Rennes)

« Les gens ont tendance à penser que les enfants Brontë ont eu une vie triste et lugubre », constate, assez justement Sara O’Leary, scénariste de l’album Au pays des histoires. L’enfance de Charlotte, Branwell, Emily et Anne Brontë. Mais ils pensent aussi que, « pendant les années où ils vivaient ensemble et où ils laissaient libre cours à leur imagination, leur enfance semble avoir été heureuse ». La page de couverture donne le ton : les quatre enfants Brontë, au cœur de la grisaille des paysages de lande qui ont inspiré Les Hauts de Hurlevent, sous un ciel chargé de nuages bas, ont le sourire, un rayon de soleil éclaire leurs visages rêveurs et animés. L’image reprend la composition du fameux tableau à la colonne de Branwell : Anne rêve, Emily est absorbée dans sa lecture, Charlotte, plume à la main, retranscrit, sous le regard attentif de Branwell, les idées romanesques que suscite l’émulation des quatre imaginations réunies.

La première double page montre Anne et Charlotte à travers l’une des fenêtres du presbytère d’Haworth, où elles ont grandi, en train de confectionner un petit livre. Charlotte écrit pour sa petite sœur. De façon symbolique, la maison qui occupe la page de droite dévore une partie de la page précédente, laquelle laisse entrevoir le même paysage de lande que sur la couverture. Le monde de l’intériorité symbolisé par la maison prend ainsi le pas sur le monde extérieur. Sur la page suivante, Anne ouvre le petit livre confectionné par Charlotte, et les motifs de l’histoire, des parents qui voyagent, une petite fille et un château, s’impriment sur la tapisserie, à l’arrière-plan. Les frontières entre l’imaginaire et le réel apparaissent ainsi poreuses, le monde de l’imagination en vient à s’inscrire dans le réel.

L’animation l’emporte sur les ténèbres

Le scénario n’occulte pas les drames vécus par la famille Brontë. Une double page saisit en plongée la famille réunie autour d’une table : sur la page de gauche, le père et les quatre enfants sont en train de dîner, à droite, l’autre moitié de la table et trois chaises vides rappellent que la mère et les deux sœurs aînées (Maria et Elizabeth) sont mortes prématurément, « si bien que la maison a été baignée de tristesse pendant de longues années », précise la narratrice.

Les mots du texte sont inscrits sur la partie droite de la table, comme sur une pierre tombale, et la page de droite semble envahie par l’obscurité. La vie et la mort se font face sur cette double page qui n’a cependant rien de sinistre. Le pasteur Brontë préside une table où l’animation des enfants l’emporte sur les ténèbres.

La double page qui suit présente les protagonistes adultes : le père qui écrit, la tante venue de Penzance pour prêter main-forte au pasteur et qui brode dans l’obscurité, et, enfin, la bonne, Tabby, qui pétrit la pâte. L’utilisation de la lumière dans ces petites vignettes témoigne du degré d’affection que ces adultes proches des enfants leur témoignaient. Tabby, par sa fantaisie et les histoires qu’elle racontait, a été l’adulte qui les a le plus choyés.

La suite de l’album montre le décor dans lequel les enfants Brontë ont évolué, une belle double page les saisit dans la rue principale du village : la fratrie, au premier plan, est dispersée. Anne et Charlotte regardent des chapeaux dans une vitrine. Branwell s’adresse à Emily, assise sur une marche à côté de son chien. Elle est sous l’enseigne du Taureau Noir, (le Black Bull) où, des années plus tard, elle ira attendre son frère qui y passera ses soirées à s’enivrer.

Les Juvenilia

L’album rapporte aussi l’anecdote qui donnera naissance aux univers Glasstown, puis d’Angria et de Gondal, ce que les biographes dénomment parfois les « Juvenilia[1] » et qui constituent une part conséquente de l’œuvre des Brontë. L’anecdote est connue, le révérend Brontë offre à Branwell une boîte de petits soldats, chacun des enfants s’empare d’une figurine et en fait le dirigeant d’un royaume imaginaire dont la réunion permettra de créer la confédération de Glasstown. Les enfants écrivent leurs histoires dans de minuscules journaux à l’échelle des soldats. « Les livres que les enfants écrivent, font remarquer Sarah O’Leary, sont microscopiques, mais les mondes qu’ils renferment sont gigantesques ». Une très belle double page présente ainsi les enfants jouant dans l’une des chambres du presbytère. Tous sont pris par le feu de l’action dans leurs jeux, et leurs ombres, sur les murs du fond, se métamorphosent pour donner lieu à une scène où un chevalier, près d’une tour médiévale, affronte un dragon.

Dans les dernières pages, la narration évoque ce pourquoi les enfants Brontë sont devenus célèbres : « les livres écrits dans cette grande maison, il y a deux siècles, sont encore lus ». Et l’on voit le frère, Branwell, peindre le portrait de la fratrie qui se trouve maintenant à la National Portrait Gallery. La conclusion reprend l’intention des autrices : « Gardons le souvenir de quatre enfants pleins de vie et heureux d’être ensemble, au pays des histoires. »

Le grand mérite de cet album réside très certainement dans cette volonté de redonner aux enfants Brontë une enfance et une insouciance que l’ombre portée des drames à venir a souvent occultée ou obscurcie, les biographes n’ayant que les excentricités d’un père austère ou la sévérité d’une tante aigrie par la rudesse des climats du nord. Le dessin de Briony Smith, dont le trait rappelle celui de l’école belge, donne la légèreté voulue à cet album qui, par son sujet, pourrait donner matière à l’objet d’étude « Famille, amis réseaux » en cinquième. Il est en outre suivi d’un appareil didactique intéressant (« Comment fabriquer ton petit livre », une note de la scénariste et une chronologie des Brontë) qui permet à de jeunes élèves de comprendre la dimension historique et littéraire de l’intrigue.

S. L.

`Briony May Smith, Sara O’Leary, Au pays des histoires. L’enfance de Charlotte, Branwell, Emily et Anne Brontë, Gallimard jeunesse, 40 pages, 15,5 euros.

Note

[1] Une partie de ces « Juvenilia », traduite par Patrick Remaux, est disponible dans la collection « Points Poésie », sous le titre Le Monde du dessous et a été rééditée récemment.


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