"Blanche-Neige", de Josephine Poole et Angela Barrett

blanche-neige-poole-barrettLa réédition dans la collection « Lutin poche » de l’école des loisirs, du Blanche-Neige de Josephine Poole et Angela Barrett offrira au professeur de sixième le sujet d’une magnifique introduction à l’étude conjuguée du conte et de l’image.
Le scénario reprend fidèlement la trame du conte de Grimm. Les puristes reprocheront peut-être à Josephine Poole, se fondant sur les arguments de Bettelheim, d’avoir un peu trop rationalisé l’intrigue. Ce ne seront qu’esprits chagrins insensibles à la beauté d’un ensemble qui parvient à susciter l’inquiétude en nimbant l’histoire d’une aura romantique et gothique engageante et raffinée.
L’écriture s’avère simplement actuelle. Josephine Poole est revenue au scénario initial dans la mesure où elle a su restituer les situations répétitives que le film des studios Disney avait gommées – les trois visites de la méchante belle-mère chez les nains notamment. Et tout un chacun sait que la répétition est partie intégrante du bonheur de lire et entendre des contes.

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L’enfance de Blanche-Neige

Josephine Poole a pris conscience qu’elle s’adressait à de petits lecteurs d’aujourd’hui qui ont besoin d’explications et donné à cette histoire d’enfant délaissée par son père des fondements psychologiques que le conte ignorait.
Elle évoque notamment l’enfance de Blanche-Neige, prise en charge par des précepteurs et des servantes. Elle explique le délaissement de la fillette par son père : « Le roi n’allait pas la voir aussi souvent qu’il aurait dû, car elle lui rappelait cruellement la reine décédée… » Mais la psychologisation n’altère jamais le sens profond de l’histoire, d’autant que l’illustration n’a de cesse de la mettre en scène de façon élégante et subtile.
Les deux premières illustrations, par exemple, se répondent par le jeu des parallélismes et des antithèses que génère leur succession. La première représente la mère de Blanche-Neige penchée à sa fenêtre et qui contemple, de sa chambre, un paysage enneigé. Angela Barrett a choisi un plan large et en coupe qui saisit à la fois l’intérieur du château – une cloison scinde le personnage de la mère dont la tête se perd déjà, semble-t-il, dans un paysage envahi par la blancheur de la neige.
Au centre de la pièce, à gauche : le berceau de la future princesse, situé au cœur d’un espace douillet mais resserré par le cadrage et qui semble signifier combien le temps du bonheur est court. La neige qui envahit le paysage, à la droite de l’image, c’est déjà l’univers de la mort. Comme l’a justement fait remarquer Lewis Mumford : « Dans la plus secrète idée de cette couleur – le blanc – se cache […] un élément indéfinissable qui frappe l’âme d’effroi plus encore que le rouge du sang. »
La seconde représente la belle-mère, la terrible opposante : même scène de femme solitaire en son château, même ouverture sur l’extérieure – au mépris de tout réalisme, la chambre du miroir aux murs hérissés de sapins noirs s’ouvre sur un ciel nocturne menaçant. Au cœur de l’image, le lit nuptial, rouge, comme il se doit.
D’une image à l’autre les signes se sont inversés. La mère et la belle-mère ne sont peut-être que les deux facettes d’une même personne (ce que suggèrent les parallélismes), mais tout oppose ces deux mères. L’une se tournait vers le monde et l’extérieur pour contempler son désir d’enfant dans le vaste miroir du monde, l’autre scrute sa propre image dans le miroir étroit de son narcissisme.
À la pureté de la neige et du paysage minéral qu’elle suscitait dans l’image précédente, s’opposent désormais les ténèbres d’un ciel déchiqueté par un monde végétal agressif, image de l’inconscient avide et luxuriant.

La dualité des deux mères

La dualité des deux mères est habilement reprise dans la scène qui évoque l’enfance de Blanche-Neige. La petite fille apprend à danser avec son précepteur dans une pièce chaleureuse ouverte à la fois sur l’extérieur et l’intérieur d’un couloir qu’arpente une servante.
À l’arrière-plan, sur le mur de la cheminée, veille la figure de la mère bienveillante et tutélaire, sa couronne et une médaille l’associent à la neige. Sous son portrait, un compas renvoie au monde de la rationalité rassurante. Mais par la fenêtre ouverte, on aperçoit à l’extérieur, dans l’entrebâillement d’une autre fenêtre, la belle-mère. Elle est dans l’ombre, dos au miroir et semble couver d’un regard scrutateur la jeune princesse qui pour l’instant n’est qu’une enfant.
La scène de la fuite de Blanche-Neige est-elle aussi particulièrement signifiante, elle anticipe sur le titre du livre ce Clarissa Pinkola Etses, Femmes qui courent avec les loups – l’album est antérieur de quelques années au livre évoqué. C’est précisément ce dernier détail qui est troublant. On se rappelle bien évidemment qu’il n’y a nul loup dans l’histoire de la pauvre Blanche-Neige suffisamment accablée par sa belle-mère.

Une plongée dans les méandres de l’inconscient

Ici, dans sa fuite éperdue, la jeune femme est accompagnée par des ours, des loups, un lynx ou un serval. Le cadrage est magistral : un plan d’ensemble élargi qui saisit le versant d’une colline au cœur de la forêt.
Dans sa fuite, Blanche-Neige épouse la pente descendante, entravée par les arbres et la masse d’un énorme feuillage au centre. Les animaux la suivent dans son affolement.
L’obliquité de la course, la verticalité des arbres, la largeur du plan instaurent une scène d’une remarquable instabilité. À l’image de ce que vit la jeune femme : une plongée dans les méandres torturés de l’inconscient.

L’inspiration des maîtres romantiques du XIXe siècle et des artistes modernes

Comme le signale le site ricochet jeunes.org, Angela Barrett s’est inspiré des maîtres de la peinture romantiques du XIXe siècle. C’est donc  bien cette atmosphère d’un romantisme désuet et raffiné qui émane des planches de l’album. Et s’il en est une qui mérite notre attention, c’est celle qui évoque la première mort de Blanche-Neige.
La sorcière vient de lui rendre visite et l’a enserrée en des lacets qui l’étouffent. La jeune fille est étendue, morte au premier plan. L’image est particulièrement sinistre. La mort a fait son office et s’en va, à l’arrière-plan, incarnée par la belle mère déguisée. Le Guardian nous apprend que l’image est inspirée d’une photo de Lee Miller.

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Henry Wallis, « La mort de Chatterton »,
1856, Tate Gallery, Londres.

Pour mémoire, Lee Miller, qui fut l’égérie de Man Ray, a aussi couvert de ses reportages photographiques la libération de l’Europe en 1945, et la photo dont s’est inspiré Angela Barrett représentait la femme d’un nazi empoisonnée par son mari, lequel s’était suicidé après avoir tué toute sa famille.
On perçoit aussi dans cette composition l’influence d’Henry Wallis, le peintre romantique qui a représenté la mort de Chatterton. La porte ouverte à l’arrière-plan fait penser à la fenêtre ouverte qui, dans le tableau de Wallis, symbolise l’envol de l’âme vers un monde meilleur.

Un album qui mérite de figurer dans tous les CDI

On le voit, l’album offre matière à l’éveil artistique, ouvrant la porte à toutes sorte de parallélismes. Il rappelle également que les contes ne sont pas seulement des histoires naïves destinés à susciter d’aimables frissons mais qu’il s’agit de récits profonds qui évoquent avec simplicité les arcanes de nos désirs, de nos peurs  ainsi que notre irrépressible besoin de grandir.
Angela Barrett, qui l’a parfaitement compris, les met en scène de façon saisissante et artistique. L’album mérite d’entrer dans tous les CDI et enrichira les cours de français des professeurs qui voudront se donner la peine de le décrypter un tant soit peu.

 Stéphane Labbe

 
• On trouvera le conte dans le tome II des « Contes » de Grimm,  » Classiques », l’école des loisirs.
• Lewis Mumford, « Hermann Melville », Sulliver, 2006.
• Le site ricochet.org.

• Le site du Guardian.

• Un numéro de l’École des lettres sur les contes populaires du monde entier.
Les transpositions de contes dans les albums et romans de l’école des loisirs.

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