"Baccalauréat", de Cristian Mungiu
Eliza va passer son bac. Excellente élève, elle obtiendra sans peine le 18 de moyenne générale au bac qu’il lui faut pour obtenir la bourse accordée par l’université de Cambridge où ses parents l’ont inscrite. Mais, la veille des épreuves, elle est agressée, manque de peu d’être violée et a le bras cassé. Doit-elle y aller dans cet état ?
Son père, médecin estimé, voyant s’écrouler les rêves qu’il a faits pour elle, est prêt à demander tous les passe-droits pour sauvegarder l’avenir de la jeune fille. Il lui fait donc passer ses épreuves en l’assurant de sa réussite, qu’il a négociée avec l’administration de l’examen. Mais elle ne l’entend pas de cette oreille.
La peinture d’une société corrompue
Christian Mungiu, déjà Palme d’or à Cannes pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours, a obtenu le prix de la mise en scène ex aequo avec Olivier Assayas pour Personal shopper. Il possède en effet au plus haut point l’art de mettre en scène un scénario bien ficelé. Celui-ci, qu’il a lui-même écrit, fonctionne comme une mécanique bien huilée. Il dépeint une société corrompue où chaque personnage achète une faveur et en rend une à son tour, système d’échanges parfaitement admis et partagé qui parvient à huiler tous les rouages bureaucratiques. Cela s’appelle en France “renvoyer l’ascenseur”.
Et c’est un système normal dans un pays comme la Roumanie. Mais il suffit d’un caillou minuscule dans cet engrenage pour que le château de cartes s’écroule, entraînant dans sa chute tous ses intéressés. Et pour que le film familial se transforme en enquête policière.
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Une mise en scène classique et efficace
La mise en scène très classique se revendique comme telle ne serait-ce que par sa bande-son, composée de discrets morceaux de musique de fond. Elle est parfaitement efficace pour démonter l’édifice des combines sur lequel repose la vie socio-économique du pays. Le paradoxe étant que c’est justement pour y faire échapper sa fille que le médecin entend l’envoyer en Grande-Bretagne.
Quitter le pays est son obsession. N’y ayant pas réussi lui-même, il veut cette libération pour sa fille. Mais peut-on renoncer aux habitudes de sa communauté ? Et Eliza le veut-elle vraiment ? Un père peut-il imposer à sa fille sa vision d’un monde moins gangrene, alors que lui-même sacrifie aux coutumes locales ?
Adrian Titieni, dans le rôle de ce père qui veut faire réussir sa fille à tout prix, Maria Drăguș dans celui de sa fille lycéenne qui refuse son aide (elle jouait déjà dans Le Ruban blanc de Michael Haneke en 2009), se distinguent par leur interprétation dans ce film saisissant.
L’intimisme des scènes d’intérieur dramatise parfaitement cette confrontation entre père et fille, entre mari et femme. De mensonges en demi-vérités, de compromissions en petites lâchetés, l’intrigue crée entre tous les personnages une séparation de plus en plus nette, que la mise en scène souligne en remplaçant les champs-contrechamps des dialogues par des plans-séquences frontaux des deux protagonistes face à face.
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Des questions cruciales sur l’intégrité et la transmission morale
Celui qui est au cœur du film donne froid dans le dos. Une telle mise en scène a été primée parce qu’elle montre à l’image le fossé qui se creuse entre deux générations dans le monde d’aujourd’hui, et pas seulement dans les pays de l’est : celle qui a fonctionné à la corruption et a tout obtenu par des moyens illégaux ou de simples compromis et celle des jeunes, qui refusent ces pratiques et veulent arriver par leurs propres moyens.
Entre l’éducation morale et l’exemple donné, l’écart peut s’avérer infranchissable. Ce film pose des questions cruciales sur l’intégrité et la transmission morale. Il exprime l’espoir d’un monde plus juste, plus équilibré et plus honnête d’où le “piston” soit définitivement exclu et où seul le mérite soit récompensé.
Notre système scolaire correspond-il vraiment à ce modèle ou ce rêve est-il une utopie ?
Anne-Marie Baron