"Azur et Asmar", de Michel Ocelot, ou l’actualité brûlante d’un conte sur pellicule

"Azur et Asmar", de Michel OcelotLa une du Parisien du jeudi 15 janvier 2015 établissait comme attendu que la ligne de fracture de l’unité et de l’unanimité nationale s’exprime en tout premier lieu à l’école : le terme « école » devant être compris ici dans son sens large. Il devient ainsi impératif de poursuivre l’action civique en ne jetant pas de l’huile sur le feu sans pour autant céder à l’étouffement de la pensée critique.
C’est à cette fin que nous proposons quelques activités à partir du film de Michel Ocelot, Azur et Asmar (2006). Nous avons interrogé le réalisateur lui-même pour connaître les motivations qui ont présidé à la création de ce film remarquable.
Michel Ocelot est un réalisateur exigeant attaché aux belles images, aux beaux messages et aux belles histoires. On lui doit le célèbre Kirikou, esprit précoce et libre s’il en est ! Que ce soit dans Princes et Princesses ou dans Azur et Asmar – film à partir duquel nous proposons une activité pédagogique à destination des élèves de cycle 3 /sixième –, nous retrouvons la même volonté de combattre les préjugés et de nourrir l’esprit critique des « petits » et des « grands ».

« Azur et Asmar » : quand les différences s’assemblent

Ce film d’animation, tout entier réalisé en images de synthèse, transporte les spectateurs de l’Europe médiévale où se déroule la première enfance des personnages jusqu’à un pays « de l’autre côté de la mer ». Là-bas, les héros se lancent à la conquête de la fée des djinns. Un troisième personnage est central dans le récit : la nourrice d’Azur, rejetée d’Europe, qui devient une marchande reconnue sur la terre de ses ancêtres.
 
"Azur et Asmar", de Michel Ocelot

Entretien avec Michel Ocelot, graphiste humaniste

Michel Ocelot, imaginez qu’« Azur et Asmar » soit projeté en avant-première au lendemain des attentats de janvier, comment présenteriez-vous ce film à un public de collégiens ?
Voici une histoire qui montre des personnes différentes – comme celles qu’on trouve en France. Ces différences tantôt poussent à ne pas s’entendre, tantôt, au contraire, incitent à s’écouter et à s’apprécier plus. Certains des personnages ont la chance de connaître deux cultures, c’est-à-dire de comprendre les uns et les autres. C’est une élite qui a de la chance — il faut s’appliquer à en faire partie.
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Michel Ocelot
Michel Ocelot

Le contexte politique de l’époque de conception du film – la montée de l’intégrisme – a-t-il eu des incidences sur la conception de votre projet ?
L’intégrisme a toujours existé, ici ou là. Je pensais surtout au quotidien en France, à une simple hostilité au quotidien, qui me désole : on s’empoisonne la vie au lieu de profiter de tous les plaisirs à notre portée.
Mais je dois signaler que lorsque nous étions en train de travailler à la séquence d’ouverture, la femme brune qui allaite le bébé blond, nous avons vu en direct sur notre télévision l’écroulement des Twin Towers de New York. Nous nous sommes dit alors : il est temps de faire ce film…
Votre film est construit sur une utopie – l’idée d’une acceptation de l’autre avec ses mœurs et ses croyances. Mais l’utopie a-t-elle encore une place au temps de la « barbarie à visage humain » ?
Mais non, ce n’est pas une utopie ! Cela arrive tous les jours, c’est très simple et naturel ! La différence, d’individu à individu, est souvent un aiguillon supplémentaire à devenir amis. C’est délicieux.
Là où l’on pourrait parler d’utopie, c’est à propos de l’entente entre groupes, entre pays, partis politiques, religions, religions qui se ressemblent – mais Dieu ou les personnes ne les intéressent pas vraiment, les troupeaux et les chefs veulent se rassurer et avoir l’hégémonie.
Cependant les individus qui s’entendent par-dessus les barbelés aident à freiner les abominations. Il y en a toujours.
Tous vos films, du premier « Kirikou » à « Princes et Princesses », mettent en perspective la nuisance des préjugés par rapport au développement des relations interculturelles. Est-ce une ligne directrice consciente de votre œuvre cinématographique ?
J’ai conscience du pouvoir des créateurs, de ceux qui publient. J’en fais partie, je suis auteur, j’atteins un nombre important de gens, en France et dans le monde. Mon « pouvoir », je veux l’utiliser à procurer du plaisir, un plaisir immédiat, puis du bon qui dure. Le bon qui dure, c’est amener de la décontraction et de l’entente (ainsi la conscience des plaisirs qui s’offrent à nous).
Un mot sur la tolérance. On me loue de travailler pour la tolérance. Mais non ! Je travaille pour le plaisir ! Je n’ai aucune tolérance envers les massacreurs ni, pire, envers ceux qui poussent au massacre. Pour une frange de sujets, entendu, de la « tolérance » est utile, mais le plus gros des différences ne demande que du goût pour la vie. Si Jénane s’occupe d’un nouveau-né sans maman, ce n’est pas par tolérance, c’est tout son être qui le lui demande, et l’enfant aussi, et elle est contente d’élever deux garçons. Et les deux garçons sont contents d’être deux plutôt que seuls – leurs bagarres ne sont que des exercices, pas de la haine. Si Azur savoure le couscous, ce n’est pas par tolérance, c’est que c’est bon. Si la petite princesse aide Azur, ce n’est pas par tolérance, c’est qu’elle est heureuse d’aider un prince. Si Asmar, après un moment de mauvaise humeur, redevient frère d’Azur, ce n’est pas par tolérance, c’est par évidence. Si Azur et Crapoux aiment Jénane, ce n’est pas par tolérance, c’est qu’elle est aimable.
Vive tant de plaisirs à notre portée !
 
 
"Azur et Asmar", de Michel Ocelot
« Azur et Asmar », de Michel Ocelot

 .Perspectives de lecture

La ligne directrice de l’histoire reste relativement simple et linéaire. Elle respecte le schéma narratif classique du conte. En outre, le récit permet de développer un système de contrastes : ouverture / fermeture aux autres ; tolérance / intolérance ; noirceur / lumière.
L’idée force du film demeure que l’ouverture à autrui, le bon sens, l’intuition, la part de rêve et l’esprit critique constituent un idéal humaniste nécessaire.

Propositions pédagogiques

Le professeur pourrait faire alterner des activités ancrées sur des séquences filmiques, sur des extraits textuels (le film existant sous la forme d’un roman de jeunesse) et sur l’écoute de certains passages (Azur et Asmar existant aussi en version audio).
L’idée est de particulièrement s’attacher aux épisodes clefs ou problématiques susceptibles d’alimenter la réflexion civique et citoyenne.
Nous recensons ici les questions qui pourraient nourrir des débats régulés en les mentionnant dans l’ordre chronologique du film.
Quel est le sens du mot « Sarrazine » prononcé par le père d’Azur ? Quel type de rejet exprime-t-il ?  – Cette question pourrait clore le travail d’étayage mené après le visionnage de la première partie du film sur l’enfance des deux héros.
Quel est le point commun entre Jenane, la Princesse et la sage Yadoa ? – Ils ont envie de connaître d’apprendre sans se laisser obscurcir l’esprit par les préjugés et les idées reçues.
À partir de la définition du mot « préjugé » (activité lexicale préalable à l’aide d’un dictionnaire), listez tous ceux que l’on retrouve dans le film. – Activité de synthèse : qui peut être partielle si l’on souhaite travailler particulièrement sur tel ou tel préjugé.
Quelle vision « idéale » du monde découvre-t-on quand Azur et la Princesse regardent la ville du haut d’un arbre ? – Toutes les religions sont représentées.
Pourquoi la Princesse est-elle menacée ? – Parce qu’elle est la représentante d’un monde tourné vers l’avenir et non replié sur des croyances qui stérilisent l’esprit critique.
Quelle « morale » peut-on tirer du dénouement du film ? – Il faudra ici s’interroger sur ce que nous ressentons en regardant le film et ce sur quoi il nous fait réfléchir.
• Bilan : écrivez un poème inspiré par le film qui reprend des mots du film en l’agrémentant d’illustrations qu’il vous a inspirées.

L’éveil de l’esprit critique

En regardant Azur et Asmar, n’est-on pas tentés de se dire qu’au sens strict l’obscurantisme est l’ennemi de la lumière ? En effet, chez Ocelot la lumière du bleu azur par exemple apparaît comme le symbole des « lumières » en référence à la philosophie d’émancipation du même nom.
Il s’agit là d’une idée importante sinon décisive. Car le fondamentaliste religieux est avant tout ennemi du spectre chromatique. Il est un homme du recouvrement, du caché, de la noirceur et du gris. Or, le propre de l’Homme est aussi de se laisser guider par ses sens. Pour un croyant, ce serait d’ailleurs un des plus extraordinaires dons de Dieu. En ce sens, le film de Michel Ocelot a pour mission de rappeler l’évidence qu’il n’est de monde vivable qu’en couleurs et que l’opacité du regard demeure le corollaire tragique de l’obstruction de l’esprit critique.

Antony Soron

.• Bande annonce d’Azur et Asmar.
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Antony Soron
Antony Soron

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