"Une aventure théâtrale, 30 ans de décentralisation", de Daniel Cling
Alors que pour beaucoup, actuellement, le spectacle vivant reste loin derrière les divers écrans dont nous disposons, il semble important de rappeler, ou d’apprendre, que, il y a quelques décennies, l’ensemble des artisans de l’art théâtral a voulu faire connaître celui-ci à toute la population française, et plus seulement parisienne, et sans renier sa qualité artistique.
C’est ce que montre le film de Daniel Cling, Une aventure théâtrale, 30 ans de décentralisation, qui avait été présenté en juillet dernier au Festival d’Avignon, et qui vient de sortir en France en janvier 2018. Ces « 30 ans » sont en fait 34, le film partant de 1947, année où Jeanne Laurent, sous-directrice des spectacles et de la musique au département Arts et Lettres du ministère de l’Éducation nationale, initie cette décentralisation, jusqu’à l’élection de François Mitterrand, qui coïncide avec la fin de cette aventure.
Une véritable révolution dans le monde du spectacle vivant
Pendant plus de trente ans donc, comédiens, metteurs en scène, auteurs et techniciens furent saisis d’un puissant désir de porter l’acte théâtral au-delà de ses sphères traditionnelles, essentiellement parisiennes, vers un public renouvelé et jusque-là exclu. Cette aventure s’apprêtait à tomber dans l’oubli, du fait de la mort progressive de ses acteurs (les deux plus récents étant Jacques Lassalle et Pierre Debauche), et malgré les travaux importants (quatre volumes) de Robert Abirached (Actes Sud), plus réservés aux spécialistes.
Sachons donc gré à Daniel Cling, connaisseur de tous les aspects de théâtre, d’avoir réussi le délicat pari de nous entraîner, en 1h 40, sur les traces vivantes de ce qui constitue une véritable révolution dans le monde du spectacle vivant. Cette réussite est largement due au fait que l’histoire de la décentralisation se trouve racontée par ceux qui l’ont faite : près de quarante personnalités sont convoquées au fil de rencontres menées par un des acteurs de cette aventure, Philippe Mercier, qui avait 8 ans au début de la décentralisation, et 17 quand il a rejoint la Comédie de Ouest.
Les pionniers et les héritiers
Le premier intérêt de ce document initié et produit par l’Union des Artistes est de constituer une leçon d’histoire. À cet effet, Daniel Cling a délimité chronologiquement trois étapes.
• La première (1947-1959) évoque l’extraordinaire enthousiasme des pionniers. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de représentants de l’art dramatique éprouvent le besoin de se serrer les coudes et de retrouver une fraternité par le théâtre. Influencées par l’Éducation populaire et un catholicisme social, certains veulent reproduire l’exemple des Copiaux, ce groupe fondé vers 1920 par Jacques Copeau, qui quitta Paris pour s’installer en Bourgogne.
C’est ainsi que plusieurs troupes vont partir à la conquête d’un nouveau public, notamment Jean Dasté (le gendre de Copeau) à Saint-Etienne, André Clavé à Colmar et Maurice Sarrazin à Toulouse. Leur situation matérielle extrêmement précaire est compensée par une créativité artistique et humaine illimitée : promouvoir un théâtre exigeant avec des répertoires inédits, mais dans une grande proximité avec le public, à l’instar de Jean Vilar et de son Théâtre national populaire.
• À cette époque des pionniers succède, de 1959 à 1968, celle des héritiers, qui coïncide avec la politique culturelle d’André Malraux, notamment sa création des Maisons de la culture dans plusieurs villes de province. Devant les progrès de l’urbanisation, c’est aussi le début de la difficile conquête des banlieues : Pierre Debauche à Nanterre, Gabriel Garran à Aubervilliers, Bernard Sobel à Gennevilliers.
• Enfin, de 1968 à 1981, l’ère de la décentralisation cède de plus en plus à celle des créateurs tout-puissants, surtout du fait de la disparition progressive des troupes dans les institutions au profit des seuls metteurs en scène.
Au carrefour des générations
Mais ce rappel historique demeurerait froid sans l’expression de la vie qui y circule constamment. Loin de se perdre, comme c’était le risque, dans les innombrables archives qui existent sur le sujet, Daniel Cling, avec le concours de sa monteuse attitrée Anne-Marie Leduc, les emploie avec finesse et parcimonie, et, en outre, établit une fluidité dans la narration grâce au fil rouge constitué par Philippe Mercier.
Ce dernier tisse une vaste toile de rencontres au carrefour des générations en nous introduisant dans l’intimité des protagonistes (leur salon, leur bureau, un repas partagé), qui mêlent de savoureuses anecdotes au rappel de leurs principes fondateurs. Une mise en perspective des événements et de leurs acteurs apparaît en montrant ces derniers à la fois jeunes et moins jeunes, donnant ainsi de l’épaisseur à la durée, au temps qui passe.
Enfin, la variété des intervenants parachève cette impression de vie et d’humanité. On y trouve à la fois des metteurs en scène (Gabriel Monnet, Gabriel Garran, Antoine Vitez, René Loyon, Bernard Sobel, Jean-Pierre Vincent, Roger Planchon et son successeur au TNP de Villeurbanne, Christian Schiaretti), mais aussi nombre de comédiens (Pierre Vial, Roland Bertin, Évelyne Istria, Hélène Vincent, avec une mention spéciale à la radieuse Françoise Bertin, décédée peu après, qui ouvre le film après l’intervention de Robert Abirached, et à Isabelle Sadoyan, décédée en 2017, qui le clôt).
Ajoutons-y l’émotion suscitée par quelques images d’époque : le car désuet de la Compagnie de Saint-Étienne, les yeux émerveillées d’un public de village, une répétition du Cercle de craie caucasien de Brecht.
Une invitation à faire nôtre cette histoire du théâtre
Malgré tout, le film ne sombre pas dans la nostalgie. Il invite bien plutôt à raccorder le passé au présent en faisant nôtre cette histoire, afin qu’elle soit susceptible d’irriguer de nouveau la création et le fonctionnement du théâtre aujourd’hui.
On a besoin plus que jamais d’un théâtre populaire, mais non populiste, intelligent mais non élitiste, pour contrer la logique marchande en vogue. C’est tout à l’honneur de Daniel Cling d’avoir réalisé ce travail de transmission, qui a œuvré ici pour le théâtre, comme il l’avait fait auparavant, en tant que fils de rescapé d’Auschwitz, pour la mémoire de la déportation. Espérons, pour terminer, que ceux qui ne verront pas le film en salles pourront le visionner bientôt en DVD.
Alain Beretta
.• Bande annonce d’« Une aventure théâtrale, 30 ans de décentralisation”.
• “Ce film, annoncé comme “documentaire”, dont je pensais qu’il promettait seulement d’être intéressant sur le sujet, est un évènement artistique. De très grande importance. Non seulement pour ceux qui aiment le théâtre ou seulement s’y intéressent, mais pour tout le monde. C’est un grand film, artistique je viens de le dire, mais aussi politique, citoyen, humaniste et tout simplement : humain.” Philippe Caubère, comédien.
• Premières projections 2018 : Du mercredi 31 janvier au mardi 13 février, cinéma Mélies, 42000 Saint-Étienne. – Du mercredi 31 janvier au mardi 13 février, Espace Robert-Hossein
13450 Grans. – Mardi 6 février, cinéma Le Morvan, 71200 Le Creusot. – Mardi 6 février 2018, cinéma Saint André des Art, 75006 Paris. – Du vendredi 23 février au mardi 6 mars, Maison du Théâtre, 29200 Brest. – Mercredi 28 février, cinéma Le Club, 87470
Peyrat-le-Chateau.
J’ai vu le film, rencontré Daniel Cling qui espérait pouvoir réaliser un CD.
Pas trace… les fonds ont-ils manqué ?
Savons-nous combien de fois, dans combien de villes et de salles le film a-til été diffusé ?
merci d’avance
Comment peut-on se procurer le documentaire et/ou comment peut-on le diffuser?
Nous sommes une compagnie de Théâtre à Biarritz
Dans l’attente d’une réponse.
Codialement
Marie-JUlienne Hingant
Merci Alain Beretta pour ces lignes qui traduisent on ne peut mieux ce que le film entendait transmettre.
Cordialement,
Daniel Cling
PS/ Nous sommes en préparation d’un DVD avec plusieurs partenaires, dont Canopé, afin que le film touche le plus de jeunes possible. Il devrait sortir en mai.
Merci, Monsieur Cling, à mon tour , pour votre approbation de mon article sur votre film: il m’a tant ému quand je l’ai vu à Epinal en décembre
Bonne chance à vos pistes pour le DVD
Cordialement
Alain Beretta