"Au Cœur de l’océan", de Ron Howard
Avec Au Cœur de l’océan, Ron Howard signe un grand film épique qui tient à la fois du récit d’aventures, du film de monstres et du récit de survie. Hermann Melville (Ben Whishaw), jeune auteur prometteur débarque à Nantucket avec l’intention d’en savoir un peu plus sur le mystérieux naufrage de l’Essex qui a défrayé la chronique quelques années plus tôt.
La reconstitution du port de Nantucket, n’est pas aussi poétique que celle de John Ford dans Moby Dick mais les larges plans d’ensemble alternant avec ceux d’un phare qui balaye l’espace donnent au port la crédibilité souhaitée et permettent de manifester la position unique de l’île dans l’histoire de la chasse à la baleine.
De cet ilot situé au large des côtes de la Nouvelle Angleterre, devaient partir les baleiniers chantés par Melville et qui couvraient les besoins en huile de la plus grande partie du continent américain.
Le récit cadre montre les réticences du dernier survivant de l’Essex, Thomas Nickerson (Brendan Gleeson) muré depuis des années dans le silence et se refusant à raconter son histoire au jeune Melville qui se dit fasciné par le thème de la chasse à la baleine.
Thomas Nickerson, engagé comme mousse sur l’Essex, semble à jamais marqué par l’expérience qu’il a vécue. Loin d’être délaissé, le récit cadre réapparait de façon périodique au fur et à mesure que l’on progresse dans l’histoire de l’Essex. Le propos du film étant bien, entre autre, de montrer la genèse d’un chef d’œuvre, un peu comme le faisait John Madden dans Shakespeare in Love à propos de Roméo et Juliette.
On retrouve dans le film de Ron Howard, comme dans le roman de Melville, une dimension didactique qui consiste à décrire le processus de la chasse à la baleine. La prise du premier cachalot est l’occasion de mettre en scène ce qui ressemble à un affrontement disproportionné entre l’homme et l’animal, affrontement qui se concluait pourtant généralement par la capture du cachalot.
Comme le roman de Melville, le film s’attarde sur le dépeçage de l’animal qui se fait sur place. Cette séquence est ouverte par un remarquable plan d’ensemble qui saisit le navire sur l’océan à la fois rougi par le sang et le couchant et dont la composition rappelle le pré-impressionnisme des toiles de Turner.
Comme Tashtego, chez Melville, Thomas Nickerton doit s’introduire dans la tête de l’animal pour recueillir le spermaceti (à l’origine de l’ambre gris). La scène, qui fait penser à un accouchement, rappelle la dimension initiatique du roman de Melville et explique sans doute le fameux chapitre ou le Harponeur Tashtego disparaît dans la tête de l’animal pour renaître ensuite littéralement accouché avec humour par Queequeg.
Dans sa première partie, le film multiplie les clins d’œil qui renvoient au chef d’œuvre de Melville. L’intrigue s’encombre toutefois d’une histoire de rivalité entre le capitaine (Benjamin walker) et son second, Owen Chase (Chris Hemsworth), véritable héros du récit. Elle distribue entre les deux hommes la fureur du futur capitaine Achab de Melville.
Ce sont surtout les scènes qui mettent en jeu le cachalot blanc vengeur, véritable Leviathan, comme le surnommera fréquemment Melville, qui impressionnent le spectateur autant par leur maîtrise technique que par la majesté et l’impavidité qu’elles confèrent à l’animal. Film de son temps, Au cœur de l’océan, laisse à penser que le cachalot qui s’en prend à l’Essex est une sorte de monstre qui venge les océans de l’action meurtrière des hommes.
Melville laissait en suspens la question des significations qu’on pouvait donner à la créature. Ron Howard est plus explicite : l’Atlantique a été dépeuplé de sa population de cétacés, le côtes du Chili sont désormais désertées, l’Essex et ses baleiniers doivent s’enfoncer au cœur du Pacifique pour remplis les cales du navire.
En cela, le réalisateur suit le récit d’Owen Chase, dont Melville eut sans doute connaissance par le biais de ses mémoires publiées en 1820. Le récit cadre de notre film est donc fort peu probable mais donne de Melville l’image d’un écrivain enthousiaste, et complexé par la réputation de Hawthorne dont il deviendra pourtant l’ami. Le film se clôt d’ailleurs sur une citation de Hawthorme – « “Moby Dick” est le grand récit épique américain » – qui laisse accroire que le roman fut un succès alors qu’il constituait le deuxième des grands échecs de Melville qui abandonnera bientôt toute velléité de création romanesque pour se consacrer à une carrière d’inspecteur des douanes.
La deuxième partie du film qui raconte l’Odyssée des marins après le naufrage est aussi la plus faible. Le monstre marin qui a détruit l’Essex n’y fait qu’une brève apparition, comme pour confirmer son rôle de vengeur, et le récit s’infléchit, se faisant quête d’une impossible survie dont les péripéties sont assez convenues.
Le film est malgré tout une réussite et les amateurs de Moby Dick s’amuseront des allusions au roman et apprécieront le travail du réalisateur qui a cherché à rendre la dimension initiatique d’une œuvre devenue plus que « le grand récit épique de l’Amérique », le grand récit épique de l’humanité confrontée à son inexplicable condition.
Stéphane Labbe
• Voir sur ce site : « Les Baleiniers. Témoignages 1820-1880 », réunis par Dominique Le Brun.
L’École des lettres met à votre disposition
l’étude approfondie de l’un des plus grands romans jamais écrits
La séquence proposée porte sur une nouvelle traduction de Moby Dick publiée dans la collection « Classiques abrégés » de l’école des loisirs.
Elle n’a d’autre ambition que de conduire les élèves à goûter cette œuvre dont la version intégrale – plus de sept cents pages –, leur serait d’un abord trop difficile. Mais l’aventure est là, et le récit de cette chasse au cachalot, qui est aussi celui d’une vengeance, prend des proportions cosmiques qui les fascineront.
En effet, l’histoire du capitaine Achab peut se lire « comme la passion funeste d’un personnage fou de douleur et de solitude. Mais elle peut aussi se méditer comme l’un des mythes les plus bouleversants qu’on ait imaginé sur le combat de l’homme contre le mal et sur l’irrésistible logique qui finit par dresser l’homme juste contre la Création et le Créateur lui-même, puis contre ses semblables et contre lui-même… »
Albert Camus, Écrivains célèbres, 1952.
Épopée maritime, roman universel, allégorie biblique, livre culte, Moby Dick résiste, par son immensité, à toutes les approches, toutes les définitions. On y entre comme on poserait le pied sur un continent ; on en sort non pas en lecteur, mais avec le sentiment d’avoir vécu une expérience. D’ailleurs, on n’en sort jamais tout à fait.
Ce livre est hanté : il suffit d’en parcourir quelques pages pour être habité – définitivement. Pourtant, son intrigue même tient en quelques mots : la traque obsessionnelle par un homme du cachalot qui lui a arraché une jambe…
Cette étude conviendra parfaitement aux classes de quatrième puisque le programme les invite à étudier le XIXe siècle.
L’approche thématique du roman permet, au cours de chaque séance, de mettre en relief l’un de ses aspects : roman d’aventures, roman philosophique, roman poétique… car Moby Dick est tout cela et bien plus encore.
Ce dossier se prolonge par l’étude de la composition du roman, un florilège de citations et une bibliographie.
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