Alors c’est bien, de Clémentine Mélois :
la gloire de mon père
Par Norbert Czarny, critique littéraire
L’écrivaine traverse l’épreuve du deuil en recourant à l’humour pour évoquer son père, « bricoleur de l’inutile », artiste épris de jeux de mots, de fantaisie et de désinvolture, jusqu’aux derniers préparatifs, et aimant sa mère comme dans les contes de fées.
Par Norbert Czarny, critique littéraire
« L’humour est comme une torche enflammée qui tient à distance les bêtes sauvages autour des feux de camp, dans les romans d’aventures. » Cette phrase de Clémentine Mélois s’applique à son récit Alors c’est bien, comme à bien d’autres situations. La mort de son père, Bernard Mélois, forme la trame de ce nouveau livre, et un tel événement se situerait aux antipodes de l’envie de rire. Mais la personnalité qui se devine sous la plume de sa fille est toujours joyeuse ; la façon dont le deuil est relaté n’est en rien tragique, douloureuse ou pathétique. L’écriture est légère, comme portée par l’enfant qu’elle a été et que, par bien des aspects, elle demeure.
Clémentine Mélois est plasticienne et écrivaine. Elle s’est fait connaître par Cent titres (Grasset, 2014), un livre drôle et fin. Reprenant des titres et couvertures de livre de poche, elle opérait quelques transformations fondées sur des contrepèteries, homophonies, calembours et autres glissements verbaux. « Lexomil et le royaume », de Camus, « Le Roi Summer », de Ionesco ou « Hyper au point », d’Hervé Bazin pourraient donner des idées à des amateurs d’ateliers d’écriture, en collège et ailleurs. Que pourrait mettre en scène « Wifigénie », de Racine? Ou quels poèmes constitueraient « La Vie dans l’appli », d’Henri Michaux ? On trouvera ainsi cent titres et autant de pistes.
Dehors la tempête (Grasset, 2020), un autre de ses ouvrages, est un livre à mettre entre toutes les mains : il parle de la lecture, de ses rites et manies, et d’abord du fait qu’on est bien mieux sous la couette pour lire Melville, Conrad ou Stevenson, que sur un bateau. Mais les amateurs de voile auront un autre point de vue.
Oulipienne
Clémentine Mélois est une oulipienne, comme Hervé Le Tellier ou Jacques Roubaud, comme Calvino ou Perec, ses prédécesseurs dans cette fine équipe alliant fantaisie et rigueur, légèreté et intelligence. Alors c’est bien dresse le portrait d’un sculpteur qui aurait pu appartenir à cette noble académie. À ceci près qu’il consacrait son temps à écumer les déchetteries, les dépôts d’ordures, les lieux désaffectés pour trouver de l’émail, bleu outremer de préférence. Ses créations portaient des noms évocateurs : « Origami 4 ter Ratatouille », « Hep, Monsieur, vous avez le feu au cul » ou « Le beau jardinier, cultiver ou être cultivé ».
L’écrivaine en décrit certaines : « Un gros œil motorisé qui regardait autour de lui ; une bicyclette enceinte d’un tout petit vélo ; une chèvre en plâtre ». Mélois utilisait beaucoup les seaux hygiéniques, et son atelier, rempli de ces objets passés entassés, le signifiait. Un portrait de l’avocat et ministre Éric Dupond-Moretti accueillait le visiteur chez lui après ceux de Nicole Belloubet ou de Rachida Dati : toutes et tous avaient été « Gardes des seaux ».
Le bon mot lui plaisait. Pour jardiner au printemps, il utilisait « la pelle du 18 juin ». Quand il téléphonait, en ce jour anniversaire de la Nation, c’était « l’appel du 18 juin ». Ou bien il faisait « Allo ? Ween ? » au téléphone. Il a transmis le goût des jeux de mots à ses trois filles, et principalement à celle qui écrit ce récit.
L’alchimiste
Drôle seulement ? Pas du tout. Il savait exactement d’où il venait et ce qu’il faisait.
Il avait passé son enfance pendant et après la Seconde Guerre mondiale à Malestroit, un bourg breton, « un monde qu’on peut à peine se figurer », dont sa fille livre une description édifiante.
Il avait fui ce coin où il se sentait très à l’étroit pour Nancy et ses beaux-arts. Il avait échappé à la conscription en se faisant passer pour fou ; en Algérie, à coup sûr, il le serait devenu ou aurait déserté. Et puis tout a commencé et tout a continué, avec Michèle : « Un amour comme celui de mes parents ne se voit que dans les livres ou les séries de Noël à la télévision – celles qui sont mal doublées et qu’on regarde pour se réconforter, en mangeant du chocolat, quand on a la grippe ou le cafard ».
Considérant l’artiste, sa fille le qualifie d’alchimiste : « il transformait en sculptures bariolées les déchets générés par la société marchande ». Sa démarche était pensée, même s’il se qualifiait de « bricoleur de l’inutile ». Il n’aimait pas les mondanités, ne cherchait pas les honneurs ni la fortune. Longtemps, Michèle, qu’il appelait « My shell », « ma coquille », ou « mon coquillage », a fait bouillir la marmite. Et puis les acheteurs sont venus à Villers-Cotterêts, Pierre Seghers d’abord, André Parinaud ensuite, qui interrogeait à l’époque tous les artistes qui comptaient pour la radio publique. Mélois a connu quelques désagréments avec des galeristes plus proches du bonimenteur ou de l’escroc que de l’amateur passionné, mais cela ne l’affectait pas. Quand il travaillait, il chantonnait Petite fleur, de Bechett, et sa phrase fétiche était de Paul Valéry : « Que vous êtes heureux ! Il ne vous manque que le sentiment de l’être. »On aimerait se la rappeler chaque matin.
Bleu RAL 5002
Le récit de Clémentine Mélois commence avec les préparatifs de l’enterrement auxquels il participe sans crainte. Il se sait gravement malade, il souffre par moments de ce mal, mais il ne perd pas sa lucidité et sa désinvolture. Il faut lui assurer un « enterrement de pharaon ». Il a choisi la couleur du cercueil : un bleu RAL 5002 à fabriquer pour l’occasion. Il existe bien des bleus, ce sera celui-là. La croix sera émaillée. La tombe se trouvera dans le « Luberon » local, tout près d’une chapelle qui sera son « cimetière marin ». L’intérieur du cercueil, décoré par des tissus divers, est confortable. Les employés des pompes funèbres le surnomment « le cercueil à Michou ». Il est vrai que le voyage durera et qu’il faut être bien installé…
Tout est-il si facile ? Pas sûr. Quand Bernard Mélois meurt, le chagrin est là, vif. La narratrice et sa sœur aînée ont suivi un rituel corse qui veut qu’on ne se coiffe ni ne se lave. Vrai ou inventé, peu importe. La suite est racontée : « J’étais assise au premier rang, à la droite du cercueil. Les super-héros mettent toujours un costume avant d’aller sauver le monde. Par-dessus ma robe bleue, j’avais pris soin d’enfiler mon armure de déni. Il me fallait tenir le réel à distance avec la plus grande fermeté, pour me prémunir d’une catastrophe émotionnelle digne du drame du barrage de Malpasset, près de Fréjus. Sa rupture en 1959 avait entraîné le déferlement d’une vague de trente mètres de haut qui avait tout englouti sur son passage. »
Depuis longtemps, au moins depuis ses études aux Beaux-Arts, la narratrice est prête au pire. Son chef d’atelier disait alors : « Qui pense au pire devine juste ; bienvenue au malheur s’il est venu seul ; encore un peu de patience et tout finira mal ». On n’est pas loin de Beckett et de son « cap au pire ». La vie est heureusement un bon démenti.
Ce récit limpide, à la fois profond et allègre, est de ceux qui vous laissent le sentiment de la grâce. L’enfant est là, dont la voix nous émeut, sans chercher les effets.
N.C.
Clémentine Mélois, Alors c’est bien, collection « L’arbalète », Gallimard, 208 pages, 19,50 euros.
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