Enseigner l'écriture créative est une nécessité pour la filière Lettres
Ouvrons les fenêtres !
Est-ce qu’on apprend à écrire ? La question brûle les lèvres de quiconque interroge un écrivain. On aurait sans doute envie d’entendre répondre « Non, mais… ». Cette dernière conjonction prend sens depuis longtemps aux États-Unis, pays du creative writing. Voilà en effet des décennies que des romanciers connus forment ou sont formés sur les campus.
Des ateliers d’écriture existent en France ; ils arrivent enfin dans les universités. Après Le Havre, Paris 8, Toulouse et quelques autres, l’université de Cergy-Pontoise propose ses cours, et bientôt un master, comme ses homologues de province.
Enseigner l’écriture créative correspond d’abord à une nécessité pour la filière Lettres. Elle connaît une crise au lycée. Le nombre des étudiants diminue donc dans les universités. Les filières d’enseignement sont en difficulté ; la recherche a peu de débouchés. Trouver un poste à l’université après des années de thèse est délicat. La crise du littéraire semble grave.
Savoir écrire, une compétence si précieuse
Or jamais on n’a eu autant besoin de savoir écrire, et surtout d’aimer écrire. Dans toutes les professions, dans tous les secteurs, savoir écrire et d’abord rédiger est une compétence précieuse. Mais on ne sait écrire que lorsqu’on en a l’habitude, la pratique régulière. Et pour ce faire, les DU ou masters qui se mettent en place donnent les premières réponses. Il faut retrouver dans l’exercice et dans la diversité des pratiques d’écriture ce plaisir dont on a peu parlé depuis le collège, voire l’école élémentaire.
Cela étant, on ne saurait réduire l’écriture telle qu’elle s’enseigne dans les masters à cette « compétence », à cette perspective utilitaire. L’intérêt de ces enseignements donnés à l’université est qu’ils sont décloisonnés. D’abord en termes de liens avec les départements. Si celui des Lettres est souvent moteur, ou responsable sur le plan institutionnel, les Arts plastiques jouent un rôle très important.
Les propositions des plasticiens, la formidable inventivité des professeurs et étudiants, ouvrent des champs nombreux et féconds. On le voit par exemple au Havre et à Rouen : l’École supérieure d’art et design est le cadre dans lequel pratiquent les étudiants en master de création littéraire, à côté des étudiants en arts. Cela vaut sans doute pour d’autres universités.
Apprendre à écrire, aujourd’hui, c’est aussi abattre les cloisons
On sait depuis longtemps que le genre « roman » est un attrape-tout. Un romancier d’aujourd’hui est aussi poète, reporter, biographe, critique, voire chorégraphe ou plasticien. Les formes se mêlent, se confondent, et ces ateliers d’écriture contribuent à poser les frontières autant qu’à les brouiller. D’où le sentiment de liberté que l’on ressent à lire les écrits des étudiants : ils ont des repères, des références, mais ils en jouent, avec une gaieté ou une aisance communicative.
Cette liberté qui n’exclut pas les contraintes et qui même les exige, on la trouve aussi dans les parcours de ces étudiants. Tous ne sont pas, à l’origine, des « littéraires ». Et cette catégorie que l’on pose là depuis l’école par opposition à « scientifiques » est l’une des pires qui soient. Pour ne citer que quelques exemples, Céline était médecin, Gadda et Musil ingénieurs et Echenoz a une formation en chimie… et en sociologie. Bien des « scientifiques » aiment écrire, quand des « littéraires » sont paralysés par leurs références.
Ces masters brouillent les pistes, recrutant leurs étudiants un peu partout, s’efforçant surtout de sentir la motivation, voire la passion. Laquelle se perçoit dès qu’on passe quelques heures avec les dits étudiants. Plus ces cours resteront ouverts, mieux ce sera. Et si des passerelles s’établissent avec les écoles de commerce ou les filières scientifiques, ce n’en sera que mieux, que plus fécond, vivant.
L’enjeu est de remettre la littérature sur la place publique
La présence d’écrivains en résidence, ou intervenant sur de courtes sessions est un facteur essentiel. Il s’agit également de faire en sorte que les auteurs contemporains comme les classiques soient lus et relus avec la perspective de l’écriture. C’est ce que fait par exemple François Bon, avec un livre comme Tous les mots sont adultes, dans lequel Gracq ou Calvino côtoient Novarina (https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3547).
Ce peut l’être dans un atelier d’écriture critique, comme celui que nous avons mené au Havre et qui trouvera son débouché sur un blog lié à un festival littéraire (https://terres-de-paroles.com). Écrire c’est lire, on le sait, et Pierre Bayard le montre avec autant d’humour que de sérieux dans son essai, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? Écrire, c’est s’approprier les livres, les rendre plus vivants encore qu’ils ne le sont en les interprétant, à tous les sens du verbe, puisqu’on rêve autant qu’on lit.
La création de ces masters est une chance rare : elle pourrait avoir des effets sur l’enseignement secondaire. Elle pourrait rendre le goût d’écrire à celles et ceux qui l’ont perdu ou ne l’ont jamais eu, vivifier les pratiques d’écriture au lycée, au collège, rétablir le lien entre la lecture et l’invention : invention d’un monde, mais aussi invention de soi.
Norbert Czarny
• Voir sur ce site : Un diplôme universitaire de formation à l’écriture de création et aux métiers de la rédaction, par Anne-Marie Petitjean.
• Le site de l’École supérieure d’art et design Le Havre / Rouen (ESADHaR)
• Le Master Lettres et Création littéraire de l’ESADHaR.
• « Comment parler des livres que l’on n’a pas lus », de Pierre Bayard, par Norbert Czarny.
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Bonjour, l’écriture ne s’apprend plus à l’école et c’est bien dommage. Pris par un programme trop chargé, un manque de motivations, d’accroches… je ne sais pas exactement. Mais il est grand temps de renouer les jeunes et moins jeunes avec l’écriture. Bonne continuation.