« À Table ! » : nouveau programme thématique de français en BTS

L’épreuve de culture générale et expression du brevet de technicien supérieur (BTS) prévoit qu’un thème spécifique soit étudié en deuxième année. Pour la session 2025, ce sera « À table ! : formes et enjeux du repas ». Un axe particulièrement appétissant. Éléments de problématisation.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

L’épreuve de culture générale et expression du brevet de technicien supérieur (BTS) prévoit qu’un thème spécifique soit étudié en deuxième année. Pour la session 2025, ce sera « À table ! : formes et enjeux du repas ». Un axe particulièrement appétissant. Éléments de problématisation.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

L’ouverture des Jeux olympiques de Paris a fait les frais d’une polémique, fruit d’une ignorance. Loin de parodier La Cène, de Léonard de Vinci, le tableau vivant présenté par l’équipe de Thomas Jolly s’inspirait en réalité du Festin des dieux, commencé par Bellini et terminé par Titien, mettant à l’honneur non Jésus-Christ mais Bacchus, incarné par Philippe Katerine1. La force symbolique du repas dans nos sociétés l’a emporté sur la polémique. S’ils ne sont pas tous aussi sacrés que la Cène, le repas demeure en effet un poste de ralliement universel, comme en attestent ses multiples évocations picturales2.

Un thème qui met en appétit

Le repas, pour qui a les moyens d’en (ou de s’en) offrir un – les personnages qui ne peuvent pas sont légion dans la littérature : Oliver Twist, La Petite Fille aux allumettes, etc., et il peut être amusant de demander aux élèves de citer ceux auxquels ils pourraient penser – correspond à un moment clef dans la vie sociale et familiale. Une expression comme « on s’est retrouvés tous ensemble pour un bon repas » n’atteste-t-elle pas d’un premier réseau de connotations du mot ? Le repas implique de réunir un groupe d’individus autour d’un menu partagé, se révélant, en première analyse, un facteur d’unité et de concorde. Pourtant, ne peut-il pas correspondre aussi au lieu de tous les dangers ou de toutes les querelles ? D’où le fait, par exemple, que de nombreuses personnes redoutent le repas de Noël, comme en témoigne le truculent roman familial d’Aurélie Valognes, La Ritournelle (Fayard, 2023) :

« Certains ont des coups de foudre, eux avaient eu un coup de croc. Ils avaient autant envie de se revoir que de se planter une fourchette dans le gosier. Quoique, la planter dans le gosier de l’autre eût pu être distrayant. »

Avant même d’aborder le thème au programme sous un angle culturel, il convient que les étudiants de BTS se saisissent eux-mêmes de l’acception du mot « repas » dans leur esprit. Ce qui suppose, en amont de l’unité d’apprentissages correspondant au développement de ce nouvel axe thématique, de se demander simplement : en quoi le repas est-il important pour moi ? Dans quelle mesure me renvoie-t-il à des souvenirs familiaux ou amicaux précis ?

Ce questionnement a toutes les chances de recouper les deux sous-axes du programme : « Formes du repas » et « Enjeux du repas ».

On peut parier que tous les étudiants ne vont pas accorder la même importance au repas, voire y accoler les mêmes images. Cette réflexion préalable aura ainsi le mérite d’interroger le repas dans le cadre d’une pratique culturelle propre à chacun.

Des repas la sauce aigre-douce

La problématisation du repas suppose de se construire un portefolio où l’on va pouvoir regrouper toutes ses déclinaisons en faisant varier dans les exemples retenus, les arts, les époques et les cultures. L’objectif consiste à appréhender l’idée qu’un repas, quelle que soit sa forme, repose sur des codes. Or, leur transgression intervient toujours comme un évènement perturbateur majeur. Dans le film La Vie est belle, de Roberto Benigni (1997), par exemple, alors que l’assemblée fasciste festoie, les deux amants se retrouvent en dessous de la table, comme l’auraient fait des enfants, afin de se déclarer leur amour.

Dans un tout autre contexte, le repas, lieu a priori convivial, peut devenir celui de tous les dangers, notamment lorsqu’on s’engage dans une conversation politique. C’est ce qu’illustre cette caricature de Caran d’Ache, parue dans Le Figaro le 14 février 1898. « Le dessin décrit la division de la société au cours de l’Affaire Dreyfus. “— Surtout ! Ne parlons pas de l’affaire Dreyfus!”, “ils en ont parlé…” ».

Sur le plan littéraire (et philosophique), quelles que soient les époques, les scènes de repas sont omniprésentes, que l’on pense au Banquet de Platon, aux festins gargantuesques de Rabelais, au déjeuner fatal où Néron fait empoisonner Britannicus chez Racine, au dîner de Gervaise dans L’Assommoir.

« Si faire lire en troisième un tome des Rougon-Macquart peut sembler présomptueux, faire découvrir l’expressivité de Zola à partir d’extraits permet d’assurer la transition vers la seconde. Cette séquence, proposée dans l’axe « Dénoncer les travers de la société », s’articule autour du repas de Gervaise, au chapitre 7 de L’Assommoir. »

C’est ce que proposait, entre autres, un article de L’École des lettres, sur le banquet de Gervaise, « La grande bouffe de Gervaise ou le début de la fin », paru dans un dossier « Quand la littérature met l’eau à la bouche » publié en septembre 2022. En Édito, se trouvait le menu :

« À chacun sa madeleine. Il suffit de demander autour de soi : “Quels sont tes souvenirs de lecture les plus gourmands ?” pour voir déferler Hansel et Gretel, Charlie et la chocolaterie, Le Festin de Babette ou Gargantua. »

En 2006, la romancière Agnès Desarthe a publié un ouvrage intitulé Mangez-moi4: « Chez Agnès Desarthe, la cuisine est affaire de création et d’inspiration – une affaire qui l’occupe tout autant que l’écriture, écrit la critique Christine Rousseau dans Le Monde (14 septembre 2006). Rien d’étonnant donc que l’idée lui soit venue de “fusionner” son bureau et ses fourneaux pour offrir, avec Mangez-moi, un véritable festin de mots, de saveurs, de poésie, de délicatesse, d’intelligence vive, d’humour, mais aussi de gravité et de tristesse allègre. »

Dans cet ouvrage, le personnage de Myriam monte un restaurant pour les gens du quartier :

« Suis-je une menteuse ? Oui, car au banquier, j’ai dit que j’avais fait l’école hôtelière et un stage de dix-huit mois dans les cuisines du Ritz. Je lui ai montré les diplômes et les contrats que j’avais fabriqués la veille. J’ai aussi brandi un BTS de gestion, un très joli faux. J’aime vivre dangereusement. C’est ce qui m’a perdue, autrefois, c’est ce qui me fait gagner aujourd’hui. Le banquier n’y a vu que du feu. Il a accordé l’emprunt. Je l’ai remercié sans trembler. »

Se mettre à table progressivement

Avec les étudiants de BTS, il s’agit de poser le thème comme un vecteur de curiosité. Ce qui suppose d’engager d’une part des recherches par le biais de la Toile et, d’autre part, de façon plus singulière, d’aller interroger des gens « proches » ou « inconnus ». En effet, l’erreur serait de simplifier les enjeux et les formes du repas au point, par exemple, d’oublier de le questionner dans son actualité. En effet, aujourd’hui, il apparaît que la composition des menus pose problème. Que faut-il manger, ne pas manger ? Viande, pas de viande, etc.

En outre, comme le souligne la subtile chanson de Joyce Jonathan où l’artiste évoque son anorexie, manger ne relève pas toujours d’une évidence tout comme se mettre autour d’une table :

« Isolée de tout, des tables de famille / Des rendez-vous joyeux / Que je voulais pas subir / J’avais peur de montrer aux autres / Que je ne sais pas me nourrir5 »

Il faut souligner la qualité du document institutionnel qui étaye l’axe thématique6.

« Ne fait-on que s’alimenter quand on prend un repas ? Si se nourrir est une nécessité pour survivre, se mettre à table dépasse la satisfaction d’un besoin vital : par le rapport au temps qu’il engage, son anticipation ou son improvisation, le repas traduit quelque chose de notre humanité et des coutumes anthropologiques dans lesquelles elle s’inscrit. Dépassant le besoin naturel auquel elle répond, cette pratique, universelle, régulière, parfois itérative à l’occasion de célébrations, se réalise selon des formes et des organisations variées. Solitaire ou collectif, en famille ou entre amis, expéditif ou festif, frugal ou pantagruélique, sinistre ou dionysiaque, le repas est un rituel social, culturel, voire symbolique, dont la portée, les formes ou les enjeux expriment une part de notre rapport au monde, à l’autre, ou à une certaine conception de la civilité, voire de la civilisation. »

Outre divers axes de réflexion, il propose un corpus de référence éclectique en n’ignorant ni la Bande dessinée, ni le cinéma. De quoi donner envie de passer à table !

A. S.

Ressources

« Quand la littérature met l’eau à la bouche », L’École des lettres, septembre-novembre 2022

Notes


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron