Leurs enfants après eux : phénomène et chambre d’échos

Succès chez les 14-25 ans, l’adaptation du roman de Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, par Ludovic et Zoran Boukherma, croise d’autres films événements de la fin 2024 comme L’Amour ouf, de Gilles Lellouche et Vivre, mourir, renaître, de Gaël Morel.
Par Antony Soron, Maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Insp Paris Sorbonne-Université

Succès chez les 14-25 ans, l’adaptation du roman de Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, par Ludovic et Zoran Boukherma, croise d’autres films événements de la fin 2024, comme L’Amour ouf, de Gilles Lellouche et Vivre, mourir, renaître, de Gaël Morel. 

Par Antony Soron, Maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Insp Paris Sorbonne-Université. 

À la fin de l’année 2024 sont sortis trois films qui se font écho : Vivre, mourir, renaître, de Gaël Morel, L’Amour ouf, de Gilles Lellouche et Leurs enfants après eux, de Ludovic et Zoran Boukherma. Tous trois mettent en scène le passage de la figure d’ado au « young adult ». Leur deuxième point commun saute aux oreilles : c’est l’importance que chacun accorde aux tubes contemporains du contexte de l’histoire. Dans Leurs enfants après eux, par exemple, les pépites du hit-parade des années 1990, de Jean-Jacques Goldman (« Je te donne »), Johnny Hallyday (« Que je t’aime ») ou encore Francis Cabrel (« Un samedi soir sur la Terre ») ont pour fonction de souligner les émotions suscitées par différentes situations dramatiques. Sans compter que l’explosion de la diffusion musicale à l’époque a fait de certains textes de véritables hymnes populaires.

Cela était d’ailleurs déjà repérable dans le roman de Nicolas Mathieu, paru en 2020 (Babel), et que Ludovic et Zoran Boukherma ont choisi d’adapter au cinéma :

« Anthony n’eut pas l’occasion d’insister. Alors qu’ils remontaient vers la terrasse ; le brouhaha gai que faisaient les convives s’interrompit brutalement et il ne resta que la voix de Cyndi Lauper. Elle chantait Girls just wanna have fun. Dans cette soudaine ambiance de mort, ça semblait totalement incongru. » (p. 60)

Beaucoup d’amour

Autre élément amusant : Gilles Lellouche, réalisateur de L’Amour ouf, en salle depuis le 16 octobre, joue un des rôles principaux dans Leurs enfants après eux, sorti le 4 décembre. Il est en effet Patrick, le père alcoolique d’Anthony. En outre, L’Amour ouf, adapté du roman traduit de Neville Thomson (2000), situe l’adolescence du couple héros dans les années 1980, soit une décennie avant celle de l’aventure amoureuse en pointillés des personnages de Leurs enfants après eux

Les connexions possibles entre les deux récits pourraient être ainsi démultipliées en sachant que, dans les deux cas, l’histoire se déroule dans un décor de friche industrielle sur fond de crise économique. Néanmoins, à l’image du roman qu’ils adaptent chacun fidèlement, les frères Boukherma, adoptent par rapport au projet de Gilles Lellouche, une esthétique plus naturaliste. Il soulignent la banalité d’un quotidien étriqué, lesté par la misère sociale qui ronge la Moselle, région hantée par le passé de ses hauts-fourneaux désormais désaffectés.

Le pays des assignés 

Le film Leurs enfants après eux se concentre sur le parcours chaotique d’Anthony (Paul Kircher), prisonnier de ses complexes et entravé dans ses désirs d’émancipation, entre un père violent et une mère (Ludivine Sagnier) à la fois aimante et mal aimée. La dynamique narrative du film tient à la rivalité violente qui va s’instaurer entre Anthony et Hacine (Sayyid El Alami), d’ascendance marocaine, dont le père a été, aux temps glorieux des haut-fourneaux, un ancien collègue du père d’Anthony. 

Enfant d’un quartier classe moyenne pour l’un, enfant de la ZUP pour l’autre, leurs destins des deux jeunes garçons s’opposent et se croisent, dans un contexte où les différents personnages semblent condamnés à une forme d’assignation sociale. Dans ce marasme où l’inertie devenue force de loi alimente la consommation d’alcool et de drogue, la lueur d’espoir émane de Steph (Angelina Woreth), qui, issue d’une famille plus aisée, a quant à elle le désir de fuir sa région mortifère. 

Le film captive l’attention par un jeu d’allers-retours entre les différents personnages. Hacine quand il revient d’un séjour forcé de deux ans au Maroc pour se venger d’Anthony et Steph que le scénario suit à Paris où elle s’est inscrite en prépa littéraire. À l’inverse, Anthony paraît aimanté à ce pays de malheur, le regard incertain, la dégaine maladroite, la parole marmonnante. 

Le désir ouvre des brèches

Comme le roman de Nicolas Mathieu qu’il adapte, Leurs enfants après eux aurait pu être aussi déprimant que les situations qu’il évoque. Mais sa peinture de l’éclosion des désirs ouvre des brèches dans ce paysage sinistré et monolithique, comme si une once de romantisme venait soudain éclairer la noirceur d’un naturalisme post-Zola.

Le scénario s’avère d’autant plus solide qu’il est construit autour de trois triangles actanciels interdépendants où Anthony constitue l’un des pôles. Anthony, entre Vanessa, et Steph, la partenaire effective et la partenaire fantasmée ; Anthony entre un père défait et une mère en reconstruction ; Anthony entre son cousin et presque frère et Hacine son frère-ennemi. 

La séquence du 14 juillet, « Un samedi soir sur la terre », qui corrèle le premier baiser de Steph et Antony et une catastrophe, constitue une des scènes phares du film. Les chansons qui en forment la bande-son contribuent à décupler l’émotion de même que les gros plans alternés sur le visage de chacun des protagonistes. 

Moins spectaculaire que L’Amour ouf, moins original peut-être que Vivre, mourir et renaîtreLeurs enfants après eux restera comme un évènement cinématographique de l’année 2024, par la justesse de son propos, l’efficacité de sa mise en scène et surtout le jeu de comédiens habités, au diapason d’une histoire humainement sublime. 

A. S.

Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, Actes Sud, 2018. 

Adaptation par Ludovic et Zoran Boukherma, avec Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami, sorti en salle le 4 décembre 2024.

Neville Thompson, L’Amour ouf, 10/18, 2024. 

Adaptation par Gilles Lelouche, avec Adèle Exarchopoulos, François Civil, Mallory Wanecque, sorti en salle le 16 octobre 2024.

Vivre, mourir, renaître, de Gaël Morel, avec Lou Lampros, Victor Belmondo, Theo Christine, sorti en salle le 25 septembre 2024.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
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